Après la panique liée à l’arrivée au large d’Israël le week-end dernier de l’unité flottante Energean Power, chargée d’extraire et de stocker les hydrocarbures offshore de l’État hébreu, le Liban s’active pour jouer la carte diplomatique. Avec maladresse toutefois. Après le tollé provoqué par les craintes libanaises d’empiètement de la plateforme sur la zone maritime contestée par le Liban, la tension est retombée lorsqu’un rapport de l’armée libanaise a balayé hier ces craintes, observant qu’« Energean Power est localisée à 2,5 à 3 milles nautiques de la zone maritime contestée », selon une source proche de la présidence.
Entre-temps, le ministre des Affaires étrangères Abdallah Bou Habib a échoué à réunir les ambassadeurs des cinq membres permanents du Conseil de sécurité – États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Chine – comme il avait l’intention de le faire. Une rencontre catégoriquement rejetée par les États-Unis, car il était inconcevable que soit critiqué Washington qui joue le rôle de médiateur dans le dossier des négociations sur la frontière maritime libano-israélienne, devant d’autres ambassadeurs nullement concernés par le dossier, selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih. Le ministre Bou Habib a finalement reçu lundi le chargé d’affaires américain, Richard Mickeals, avec lequel il a abordé la présence de la plateforme en Méditerranée orientale et le dossier plus global de la frontière maritime libano-israélienne.
Une visite pas encore confirmée par Washington
À l’issue de ce revers, Beyrouth a adressé une invitation au négociateur américain Amos Hochstein, qui attend toujours la réponse officielle libanaise à sa proposition présentée en février dernier. Une frontière sinueuse sur base de la ligne 23, qui accorde au Liban une importante partie du champ d’hydrocarbures de Cana et l’autre partie de ce même champ à Israël. Par contre, elle accorde à Israël la totalité du champ de Karish, de même qu’une partie du bloc 8. Incapable d’adopter une position claire et unifiée sur ses revendications frontalières maritimes pour cause de tiraillements politiques internes, bien loin d’exploiter son gaz offshore alors que son voisin hébreu n’est plus qu’à quelques semaines d’extraire gaz et pétrole du champ Karish, le Liban se tourne donc une nouvelle fois vers la médiation américaine. Le palais de Baabda et le chef du législatif Nabih Berry annoncent déjà la visite du négociateur Hochstein. « Nous avons appris de manière informelle l’arrivée prochaine, dimanche ou lundi, d’Amos Hochstein », confirme à L’Orient-Le Jour la source informée proche de la présidence. Même si la visite n’a toujours pas été validée par Washington, l’objectif annoncé est d’évoquer la poursuite des négociations et d’éviter toute escalade qui desservirait la stabilité dans la région.
Les tentatives d’unifier les positions
Que dira le Liban officiel à Amos Hochstein ? Lui donnera-t-il une réponse unifiée, ou une nouvelle fois les tiraillements internes prendront-ils le dessus, paralysant le dossier pour la énième fois ? Rappelons-le, Beyrouth peine à décider s’il s’accroche à sa revendication première portant sur une zone de 860 km² délimités par la ligne 23 et enregistrés auprès de l’ONU par le décret 6433/2011 ; ou alors s’il cède à ses ambitions maximalistes, revendiquées par les négociateurs techniques et encouragées par une partie de la classe politique et de l’opinion publique, en réclamant un droit supplémentaire de 1 430 km² limités par la ligne 29. Mais pour ce faire, il doit amender le décret 6433. Ce que le chef de l’État Michel Aoun, qui a le dossier en main, s’est abstenu de faire, de même que le gouvernement. Une telle mesure ne serait d’ailleurs pas pour plaire au médiateur américain, car elle serait vue comme une escalade, au risque de mettre fin aux négociations.
« Le chef de l’État mène des concertations avec le Premier ministre sortant Nagib Mikati et le président du Parlement Nabih Berry afin d’unifier les positions », souligne la source proche de Baabda. Mounir Rabih rapporte que ces rencontres impliquent le chef du législatif, le député et vice-président de la Chambre Élias Bou Saab (conseiller du chef de l’État) et le ministre des Affaires étrangères. Les réunions portent sur les deux points conflictuels, la ligne 23 ou la ligne 29. Le seul dénominateur commun entre les différentes positions est « le refus de la ligne frontalière sinueuse proposée par l’émissaire américain », rappelle la source proche de la présidence. Un refus que le Liban entend bien signifier à Amos Hochstein. En même temps, les responsables sont déterminés à « débattre de la question de la zone disputée » et avancer des idées, « possiblement un no man’s land ». C’est dire le flou qui règne sur la capacité du Liban à apporter une réponse claire et unifiée à Washington. Et s’il continue de brandir la carte de la ligne 29 initialement considérée comme une ligne de négociations, et donc l’amendement du décret 6433 « comme moyen de pression », rien n’est moins sûr qu’il en fera usage.
« Diplomatiquement, le Liban ne fait rien, il gesticule, car il a peur des Américains », analyse l’universitaire et expert dans le dossier du gaz Charbel Skaff, doutant de la capacité libanaise à apporter une réponse à Amos Hochstein et dénonçant « une gestion catastrophique du dossier ». « Il est évident, en observant le comportement des responsables, qu’ils sont tous contre l’amendement du décret 6433, constate-t-il. Ils ont juste peur de le signifier à l’opinion publique et à certains députés, notamment ceux issus de la contestation. D’où cette tentative de gagner du temps pour apaiser les tensions, sans prendre la moindre mesure concrète. »
Il faut se dépêcher un peu car peut-être dans 10 - 20 ans l'usage du gaz naturel risque de n'être plus écologiquement acceptable.
16 h 45, le 08 juin 2022