Loin de la polémique interne et des intérêts politiques, le dossier du tracé de la frontière maritime devrait connaître un important développement. À l’invitation des autorités libanaises, l’émissaire américain Amos Hochstein est attendu à Beyrouth en début de semaine prochaine pour reprendre sa médiation entre le Liban et Israël. Selon une source qui suit de près le dossier, depuis qu’il a été question de l’arrivée imminente du navire Energean Power, pour entamer l’extraction du gaz dans le champ de Karish pour le compte d’Israël, le Liban s’est démené pour pousser l’émissaire américain à reprendre sa médiation. Celle-ci s’était arrêtée à l’automne dernier, parce qu’à l’époque, selon les Américains, M. Hochstein n’avait pas senti que les responsables libanais étaient décidés à faire un pas pour que les négociations progressent.
Maintenant que le navire a atteint le champ de Karish, le Liban ne peut plus faire la sourde oreille et il souhaite donc relancer au plus tôt les négociations indirectes, via le médiateur US. Contrairement aux rumeurs sur l’imminence d’une guerre, selon la même source, la tendance est plutôt aux pourparlers et, pour la première fois, toutes les parties les réclament. Le navire Energean Power ne s’est pas approché de la ligne 29 réclamée par le Liban et il l’a bien fait savoir aux autorités libanaises par des canaux discrets, ajoute-t-on. De même, le principal partenaire de la compagnie qui possède le bateau, la grande compagnie américaine Halliburton, a entrepris des contacts pour éviter toute possibilité de confrontation entre le Liban et Israël. D’ailleurs, le montant de l’assurance versé par la compagnie propriétaire du bateau n’est pas élevé. Ce qui montre bien qu’il n’y a aucune intention d’escalade de part et d’autre. Car s’il y avait un risque de sécurité, les compagnies d’assurances exigeraient des montants beaucoup plus élevés.
Les informations parvenues aux responsables libanais montrent donc qu’il n’y a aucune volonté de défi de la part des Israéliens, mais qu’ils souhaitent plutôt pouvoir exploiter le gaz au large des côtes palestiniennes. Sur ce plan, les Israéliens ont une longueur d’avance sur le Liban qui, lui, n’a même pas encore entamé la prospection. Mais les Israéliens savent aussi que s’ils avancent trop vers la zone controversée, ils pourraient se heurter à une réaction violente de la part du Liban, et en particulier du Hezbollah. Celui-ci a fait savoir à tous ceux qui l’ont sollicité, publiquement et à travers des canaux plus discrets, qu’il se tient derrière l’État libanais dans cette affaire. Lorsque celui-ci délimitera les frontières du pays, le parti chiite considérera alors qu’il est de son devoir de les protéger. Mais d’ici là, il ne compte pas intervenir et ne veut pas participer aux négociations indirectes entre le Liban et Israël.
À la veille de l’arrivée d’Amos Hochstein, la situation se présente donc comme suit : le Liban se trouvait face à 4 lignes : la ligne 1, qui donne pratiquement tout à Israël ; la ligne Hoff, qui donne au Liban 60 % des 860 km² considérés il y a quelques années comme conflictuels ; la ligne 23, adoptée officiellement par le Liban à l’époque du gouvernement Mikati en 2011 par le décret 6433 et qui lui donne la totalité des 860 km² ; et la ligne 29, récemment avancée par l’armée et qui donne au Liban 1 430 km² supplémentaires.
Selon la source précitée, le Liban a avancé dans ce dossier en dépassant désormais la ligne 23. Mais il n’a pas encore reconnu officiellement la ligne 29 en envoyant un amendement du décret 6433 aux Nations unies, se contentant d’adresser une lettre officielle au Conseil de sécurité à ce sujet. Mais une polémique a éclaté au Liban sur l’insuffisance de cette lettre et sur la nécessité d’envoyer un amendement au décret 6433 aux Nations unies pour reconnaître la ligne 29 au lieu de la ligne 23. Les différentes parties politiques sont divisées sur ce sujet. Deux positions s’affrontent : la première insiste sur la signature du décret amendé par le président de la République et son envoi à l’ONU pour consacrer les droits du Liban. La seconde estime qu’il ne faut pas se presser. D’abord, le décret en question n’est pas prêt. La version présentée comportait des lacunes et, de toute façon, il faut que ce décret soit adopté en Conseil des ministres, or le gouvernement précédent était démissionnaire lorsqu’il en a été question et l’actuel l’est aussi depuis le 21 mai. Il faudrait donc décider si un gouvernement démissionnaire peut se réunir pour adopter un tel décret. Ce qui est probable en raison de l’importance de l’affaire. Ensuite, cette carte doit être laissée pour la fin et n’être utilisée qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres possibilités auraient été épuisées.
Rappelons que lorsque la délégation libanaise présidée par le général Bassam Yassine avait évoqué la ligne 29, les Israéliens avaient riposté en réclamant la reconnaissance de la ligne 1, et les négociations avaient été suspendues. Aujourd’hui, il s’agit de sonder les intentions des Israéliens et des Américains. Mais ne pas envoyer le décret aux Nations unies ne signifie pas que le Liban renonce à la ligne 29, précise la source. Il affiche simplement une certaine souplesse en se réservant la possibilité d’envoyer le décret amendé lorsqu’il le jugera bon. Selon cette source, le Liban a un dossier solide. D’autant que cette question revient à la pointe de l’actualité dans un contexte régional et international particulier. Le gaz du Moyen-Orient est devenu plus précieux à cause de la guerre en Ukraine, et l’Europe et les États-Unis veulent pouvoir en profiter en toute sérénité. Pour cela, ils ont besoin d’une stabilité... et d’un minimum d’entente avec la Russie influente dans la région. Les perspectives sont donc favorables à une exploitation sereine du gaz. Reste à savoir si le Liban sera prêt.
Les libanais en général ne sont absolument pas pressés de voir ces richesses exploitées tant que les mafieux sont au pouvoir. Ils savent qu’ils ne bénéficieront que des effluves écœurantes du forage, tout en vivant sans électricité ni eau ni rien du tout, pendant que la bande raflera le butin. Voilà pourquoi ils tiennent à rester au pouvoir malgré leurs échecs et leurs déboires à tous les niveaux. On se demande comment est ce possible dans un pays dit démocratique.
12 h 21, le 10 juin 2022