Rechercher
Rechercher

Idées - Point de vue - Pour mémoire

Frontières maritimes : le Liban doit sortir au plus vite de sa position de faiblesse dans les négociations

(note : Nous avons publié ce texte le 28 mai 2022. Sa lecture est plus que jamais d'actualité avec l'arrivée dimanche dans les eaux contestées entre le Liban et Israël d'un navire destiné à commencer à produire du gaz pour l'Etat hébreu)

Frontières maritimes : le Liban doit sortir au plus vite de sa position de faiblesse dans les négociations

Illustration : infographie réalisée en avril 2022 par « L’Orient-Le Jour » pour illustrer un article consacré à la proposition Hochstein et reproduite ici pour les besoins de cette tribune.

Des réformes administratives et judiciaires trop longtemps reportées, jusqu’au vote de lois essentielles pour répondre à la crise économique et sociale qui ravage le Liban depuis deux ans, en passant par les échéances institutionnelles : la tâche qui attend la nouvelle législature est de taille. Dans cet agenda très chargé, un sujet semble pourtant avoir été éclipsé de l’actualité depuis plusieurs semaines : la reprise des négociations sur la délimitation de la frontière maritime avec Israël et l’adoption d’une position officielle claire de la part du Liban sur ce dossier crucial dans la perspective d’exploitation des gisements potentiels d’hydrocarbures offshore.

En effet, depuis la réouverture, en octobre 2020, des pourparlers après dix ans d’impasse, Israël n’a cessé de faire semblant de négocier dans le seul but de gagner du temps. Cela m’est apparu comme une évidence dès que je me suis engagé à accompagner, en tant qu’expert, la délégation libanaise à cette négociation. En effet, pour Israël, jouer la montre présente l’avantage de ne rien céder en attendant que le navire de production permettant l’extraction du gaz de Karish arrive de Singapour d’icià quelques jours. À partir de ce moment, le Liban risque fort d’être mis devant le fait accompli et n’aurait plus que ses yeux pour pleurer. Car même si ce dernier se situe dans une zone contestée et donc, selon les règles du droit international de la mer, interdite d’exploitation, un représentant de la compagnie Energeam, chargée d’effectuer l’exploration de Karish, a indiqué le 18 mai dernier au journal Les Échos avoir « reçu l’assurance que ce gisement se trouvait dans la (Zone économique exclusive) d’Israël. »

Impasse

Or le Liban dispose depuis le début des pourparlers d’une carte maîtresse qui pouvait totalement inverser le rapport de force en sa faveur et forcer Israël à venir sérieusement à la table de négociation. Pour le comprendre, un bref retour en arrière s’impose sur cette querelle qui a débuté en 2011 avec le dépôt par le Liban à l’ONU d’un tracé (la ligne 23) délimitant sa frontière sud, tandis qu’Israël en revendique un autre plus au nord (la ligne 1) créant ainsi une zone de conflit de 860 km2. Une négociation s’ouvre alors avec la médiation de l’américain Frederic Hof conduisant ce dernier à un partage 55 %/45 % en faveur du Liban. Proposition que ce dernier a refusé à d’autant plus juste titre que l’organisme britannique mandaté par Beyrouth pour délimiter sa frontière maritime (UKHO) avait établi que le Liban pouvait revendiquer une ligne nettement plus avantageuse que la ligne 23. S’ensuivent près de dix ans d’impasse dans ce dossier pendant lesquels Israël a avancé significativement dans l’exploitation de ses gisements gaziers tandis que les tiraillements politiques locaux ont entraîné une multiplication des retards dans ce domaine avec, en parallèle, le maintien d’une position de faiblesse dans la perspective de négociations.

Ce sujet ne sera cependant véritablement remis sur la table qu’en juillet 2020, avec le dépôt d’un projet d’amendement du décret 6344/2011 au Conseil des ministres. Quelques mois plus tard, les États-Unis parviennent à convaincre les autorités libanaises, et en particulier le chef du Parlement, Nabih Berry, de signer un « accord-cadre » en six points qui ouvre la voie à la réouverture de négociations indirectes sous médiation américaine à Nakoura en octobre 2020. Une délégation Libanaise est alors nommée, présidée par le général Bassam Yassine et comprenant le colonel Mazen Basbous, Wissam Chbat et Najib Messihi. Ce nouveau « round » de négociations est suspendu en décembre de la même année et il faut attendre le mois d’avril 2021 pour que le gouvernement Diab signe le projet de décret et le transmette au président de la République qui ne l’a toujours pas signé à ce jour. Le même mois, les négociations reprennent jusqu’en mai 2021, sans qu’aucune avancée ne soit constatée.

Or, dès la reprise des négociations, l’équipe libanaise a présenté la ligne 29 (objet du projet d’amendement) qui accorde 1430 km2 de plus que les 860 km2 contestés jusque-là. À noter que la défense de cette nouvelle ligne, pour laquelle l’équipe avait un mandat formel du président de la République, ne s’avère pas tant être une position maximaliste consistant à « demander plus pour obtenir moins » mais une revendication légitime, fondée aussi bien sur les études effectuées par l’UKHO que sur celles l’armée libanaise. Cependant, l’équipe israélienne a d’emblée rejeté cette demande, au prétexte qu’elle n’a aucune raison d’accorder au Liban plus que celui-ci ne réclame officiellement à l’ONU (la ligne 23).

La délégation libanaise est néanmoins restée ferme sur la ligne 29, tout en se montrant ouverte à être « challengée » – y compris par des experts internationaux neutres acceptés par les deux parties – sur ses critères objectifs. Ce qu’Israël a aussi refusé.

Stratégie graduelle inappliquée

Pour sortir de l’impasse et éviter l’accusation de surenchère, j’ai alors suggéré à la délégation libanaise de recommander aux décisionnaires politiques d’adopter une stratégie graduelle en 3 étapes plutôt qu’un dépôt immédiat aux Nations unies de la ligne 29. La première consistait à retirer la ligne 23 déposée en 2011. En effet, celle-ci non seulement est arbitraire et ne garantit pas les droits libanais sur les gisements d’hydrocarbures contenus dans ses frontières maritimes – selon les critères de délimitation reconnus mondialement –, mais obligerait, lors de son exploitation ultérieure, à partager le champ de Qana avec la partie adverse. Cette action aurait tout simplement tiré le tapis sous les pieds d’Israël qui ne pouvait plus arguer de cet argument. Et, pour éviter de se mettre en défaut vis-à-vis des règles internationales et de bloquer ainsi l’exploration par Energean du champ de Karish, Tel-Aviv aurait été contraint de reprendre sérieusement les négociations. Dans un deuxième temps, le Liban aurait adopté l’amendement du décret 6344 qui définit la ligne 29 comme nouvelle ligne pour le pays. Et, en signe de bonne foi, diffère le dépôt de cet amendement aux Nations unies. Et, enfin, dans un troisième temps, en cas d’obstination israélienne, Beyrouth aurait déposé l’amendement aux Nations unies rendant cette ligne 29 totalement officielle aux yeux du monde.

L’importance d’aboutir à des frontières officiellement reconnues a pourtant été confirmée dans les faits avec du processus d’attribution des blocs constituant la ZEE libanaise. Le consortium Total/Eni/Novatek, qui s’était vu attribuer deux blocs lors d’un premier round en 2018, n’a exploré que le bloc n° 4 (sans trouver de preuves concluantes de quantités commercialisables) et continue de se contenter des études préliminaires déjà réalisées sur le bloc n° 9 (dont 8 % de la surface se trouve dans la zone contestée). Quant au deuxième round d’attribution portant sur l’ensemble des autres blocs, il a connu plusieurs reports avant d’être désormais prévu pour juin prochain. Ces reports s’expliquent non seulement par le contexte international mais aussi le manque d’appétit des investisseurs du fait du risque juridique lié aux frontières. Une position plus ferme du Liban aurait donc pu permettre d’appliquer cette même logique à la partie adverse.

Or les autorités libanaises n’ont jamais consenti à adopter cette approche, notamment en raison de craintes diverses – allant de la crainte que tout résultat inférieur à la ligne 29 soit ensuite interprété comme un renoncement, à celle d’une escalade conflictuelle avec Israël – que l’équipe a tenté à chaque fois de dissiper, sans effet.

Tirer la sonnette d’alarme

Résultat, la seule proposition officiellement sur la table est celle effectuée par le nouveau médiateur américain Amos Hochstein, qui est également ressortissant israélien et joue un rôle ambigu en recourant à la carotte et au bâton. Elle consiste à pousser le Liban à accepter de négocier à l’intérieur des 860 km2 en proposant une ligne « hybride » en escalier qui donne au Liban une partie de Qana, en mettant le bloc 8 au niveau de Hof et en grignotant le bloc 10. Le Liban ne l’a pas accepté en l’état.

Pour autant, suite à une lettre adressée le 23 décembre dernier par Israël destinée à bloquer le lancement du deuxième cycle pour accorder des licences gazières et pétrolières par le Liban, ce dernier a réagi. Le ministère des Affaires étrangères a adressé le 28 janvier dernier une lettre officielle aux Nations unies. Elle mentionne la ligne 29 ; dit que Karish est un champ contesté par le Liban ; met en garde Energean et d’autres compagnies de travailler dans la zone contestée ; et indique enfin qu’en cas d’échec des négociations, le Liban procédera à l’amendement du décret 6344. Cela étant, même si cette lettre pourrait avoir un effet dissuasif sur Energean, elle n’offre pas autant de garanties qu’un dépôt formel de la ligne 29 à l’ONU.

Il est donc indispensable, avant qu’il ne soit vraiment trop tard, que les différents groupes de pression issus de la société civile et certains nouveaux députés tirent la sonnette d’alarme et fassent entendre leurs voix pour contraindre le gouvernement à transcender ses divisions, adopter immédiatement le projet de décret et présenter la ligne 29 à l’ONU, afin de renforcer le pouvoir du Liban dans le cadre de réouverture des négociations et préserver ses richesses maritimes potentielles. Car, en face, Israël privilégie toujours l’épreuve de force et ne montre généralement aucun respect pour un vis-à-vis affaibli et divisé.

Par Michel GHAZAL

Expert international en négociation, médiateur et consultant auprès de la délégation libanaise aux négociations de Nakoura.

Des réformes administratives et judiciaires trop longtemps reportées, jusqu’au vote de lois essentielles pour répondre à la crise économique et sociale qui ravage le Liban depuis deux ans, en passant par les échéances institutionnelles : la tâche qui attend la nouvelle législature est de taille. Dans cet agenda très chargé, un sujet semble pourtant avoir été éclipsé de...

commentaires (11)

C'est vraiment du bla bla bla pour RIEN ! L'horrible Sieur Amos nous a clairement affirmé que les Israéliens cesseraient immédiatement les négociations dès que nous adopterons la ligne 29 comme position officielle . Les Israéliens ont donc tenu à cette ligne , et si nous voulons continuer à négocier , il nous sera impossible de le faire dès que nous affirmerons par écrit que notre choix est la ligne 29 ! ëchec et Mat ! Parlons d'autre chose . Les usurpateurs sont très forts . Le Hezbollah aussi .

Chucri Abboud

17 h 23, le 11 juin 2022

Tous les commentaires

Commentaires (11)

  • C'est vraiment du bla bla bla pour RIEN ! L'horrible Sieur Amos nous a clairement affirmé que les Israéliens cesseraient immédiatement les négociations dès que nous adopterons la ligne 29 comme position officielle . Les Israéliens ont donc tenu à cette ligne , et si nous voulons continuer à négocier , il nous sera impossible de le faire dès que nous affirmerons par écrit que notre choix est la ligne 29 ! ëchec et Mat ! Parlons d'autre chose . Les usurpateurs sont très forts . Le Hezbollah aussi .

    Chucri Abboud

    17 h 23, le 11 juin 2022

  • Israël s’en fou du Liban car le Liban n’existe pas c’est l’Iran / Liban ????

    Eleni Caridopoulou

    18 h 12, le 07 juin 2022

  • I; EST DEJA HELAS TROP TARD. UN TAS DE CONNERIES FURENT COMMISES PAR NOS ABRUTIS DEPUIS BIEN LE DEBUT. LA CREME Y EST. RIEN NE S,Y AJOUTE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 35, le 07 juin 2022

  • Si la limitation des frontières maritimes se base sur l'équidistance des deux cotés du pic de Naqoura, alors visuellement la ligne 29 parait diverger... en faveur du Liban. Est-ce que l'OLJ peut nous expliquer comment la ligne 29 a été obtenu? Mais aussi, pourquoi est-ce que le Président Aoun n'a pas formalisé à l'ONU le droit du Liban sur une démarcation basée sur la Ligne-29? Si la Ligne-29 était plausible, ne l'aurait-il pas fait?

    Zovighian Michel

    05 h 32, le 30 mai 2022

  • Voyons donc avec ce nouveau parlement cousu de divers courants si les négociations de Nakoura porteront leurs fruits cette fois

    Antoine Sabbagha

    19 h 22, le 29 mai 2022

  • En avion de retour au Liban suite à un déplacement de quelques h; l’hôtesse de l’air de la MEA pensant que j’étais un étranger pour des raisons qui dépassent mon intelligence; répond à ma voisine en arabe: «  Il n’est pas Libanais! » Évidement je lui répond en arabe poliment; elle toute étonnée: Mais madame personne n’est Libanais de nos jours; on est tous des étrangers!!! Courage pour la cause des hydrocarbures quand le reste de la planète s’éloigne…. Concentre toi plus tôt sur l’eau abruti de gouvernement !!!!! L’eau ne sera jamais taxée par les grandes puissances…..

    Samir Tabet

    18 h 36, le 29 mai 2022

  • Toutes les injonctions, recommandations et autres conseils ne servent strictement à rien ! Nos "responsables" politiques ont grandi dans un milieu de corruption, de mensonges et de méconnaissance totale de la vie du petit peuple. Ils n'ont aucune idée de ce que signifient les principes de base pour diriger un pays. Un bon coup de pied bien placé pour les expédier tous loin...très loin, si possible "à l'ombre", est la seule solution valable pour sauver notre Liban. - Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 08, le 29 mai 2022

  • Si Israël cèderait au Liban la moitié du champ de Karish, voire son entièreté, ça ne serait pas de trop pour compenser PARTIELLEMENT les dégâts qu'ils ont directement ou indirectement affligés au Liban. Franchement, la Communauté Internationale n'a pas honte de maintenir le suspens au lieu d'imposer le partage dudit champ.

    Céleste

    09 h 15, le 29 mai 2022

  • The ineptitude, incompetence, and collusion of the Lebanese political elite class is proven once again. They're more interested in preserving their own interests than those of the general public. They're unable to take any meaningful and decisive action to salvage the country, and much less to preserve its territorial integrity and natural resources. The so-called resistance is toothless at confronting the bullying and intimidation by Israel. Their weapons are used to intimidate their internal opponents than to challenge Israel.

    Mireille Kang

    04 h 01, le 29 mai 2022

  • S'il faut attendre de la canaille du pouvoir qu'elle defende les interets du Liban, nous savons tous a quoi nous en tenir sur leurs compromissions et leur corruption.

    Michel Trad

    00 h 49, le 29 mai 2022

  • les recommandations que mr Ghazal aurait adresse aux Decisionnaires sont peut etre tres bonnes, je dis bien peut etre-, mais mr Ghazal s'adresse a des personnes alors que les decisions a prendre sont ailleurs, ceci a joute au fait lamentable que lors d une decision aurait ete prise "ailleurs", les Decisionnaires locaux-en l'occurence Kellon qui tiennent ce dossier entre les maisn vont certainement faire des surencheres, faire trainer les choses jusqu'a toucher un prix quelconque... faute de quoi faudra attendre leur disparition "disons administrative" pour voir d'autres tetes qui en decideraient.

    Gaby SIOUFI

    11 h 21, le 28 mai 2022

Retour en haut