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Économie - Crise

La Banque mondiale fustige le « grand déni » des responsables libanais

Avec une chute du PIB nominal de 58,1 % en deux ans, le Liban est au premier rang sur 193 pays en termes de contraction sur cette période, devant Macao, la Libye ou le Venezuela.

La Banque mondiale fustige le « grand déni » des responsables libanais

Attendu depuis décembre dernier, le rapport d’automne de la Banque mondiale (BM) sur une conjoncture libanaise plombée par la crise dans laquelle le pays s’enfonce depuis 2019 (voire 2018, selon certaines analyses) a finalement été publié hier. Et une fois de plus, l’organisation n’a pas mâché ses mots pour dénoncer le désastre provoqué par l’absence « d’action politique efficace de la part des autorités » qu’elle avait déjà dénoncée dans ses rapports de décembre 2020 (« La dépression délibérée ») et de juin 2021 (« Le naufrage du Liban »).

Intitulé « Le grand déni », ce troisième rapport consécutif, long d’une soixantaine de pages et diffusé dans le cadre de la série du Lebanon Economic Monitor (LEM), reste sur les mêmes bases que les précédents, bien qu’il critique de manière un peu plus frontale le fait que la classe dirigeante ait abandonné à la Banque du Liban (BDL) le rôle de « décideur exclusif » pour gérer les effets de la crise. Les experts de la BM reprochent notamment à celle-ci d’avoir utilisé la « lirification des dépôts » comme « principal outil » de désendettement, soulignant les défis liés à la multiplication des taux de change que les mesures adoptées ont entraînés. Ils critiquent également sa politique de subvention de certaines importations, qui a provoqué d’importantes distorsions sur le marché – contrebande, hausse illégitime des prix et stockage de produits subventionnés.

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La BDL n’est pas la seule à en prendre pour son grade, à un moment où « l’ampleur et la portée de la dépression délibérée du Liban conduisent à la désintégration des principaux piliers de l’économie politique de l’après-guerre civile », déplore encore l’organisation qui a réitéré ses principaux griefs envers la classe politique en matière de gestion, de corruption et de dévoiement des institutions publiques, tout comme son incapacité à tenir ses promesses de réformes vis-à-vis de ses soutiens internationaux. La BM souligne de plus le risque que la banqueroute, la destruction des services publics de base ou encore l’émigration de masse qui résultent de cette succession de mauvais choix ne finissent par se traduire par un « éclatement national ainsi qu’un effondrement de la paix sociale ». « Ces observations s’inscrivent toutes dans le sillage de ce que nous avions constaté auparavant avec de nouvelles contre-performances », résume pour L’Orient-Le Jour Wissam Haraké, économiste senior au sein de l’organisation.

Contribution des exportations

Une de ces nouveautés se situe par exemple au niveau de la chute du PIB nominal en deux ans (en tenant compte de l’effet de l’inflation), qui est passé de 52 milliards de dollars à fin 2019 à 21,8 milliards à fin 2021. Soit une baisse de 58,1 % qui place le Liban au premier rang sur 193 pays en termes de contraction sur cette période devant Macao, la Libye ou le Venezuela qui affichent tous des taux inférieurs à 50 %. Un nouveau point noir à ajouter au bilan du pays du Cèdre dont la récession avait déjà été considérée par la BM, en juin dernier, comme l’une « des trois pires crises que le monde ait connues depuis le milieu du XIXe siècle ». Le PIB réel (soit en retirant l’effet de l’inflation) a, lui, reculé de 10,5 % en 2021, contre -21,4 % en 2020, comme l’avait déjà souligné la BM en octobre. À noter que ce sont les exportations qui ont le plus contribué au PIB réel en 2021, alors que c’était généralement la consommation privée qui occupait ce rôle avec, entre autres, un ratio de 92,3 % du PIB entre 2015 et 2018, a ajouté la BM.

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Le rapport souligne de plus que l’inflation libanaise (+154 %, selon l’Administration centrale de la statistique) a été la troisième plus forte du monde en 2021 derrière le Venezuela (+2 800 %, selon la BM) et le Soudan (359,09 %, selon les chiffres officiels de ce pays qui a récemment souscrit un programme d’assistance du Fonds monétaire international). Le Liban est également troisième pire élève au monde en termes de ratio recettes publiques/PIB, avec seulement 6,6 % en 2021, soit moins de la moitié de celui affiché en 2020. Seuls deux pays, en guerre qui plus est, à savoir la Somalie (près de 6 %) et le Yémen (6,2 %), font moins bien. Le rapport souligne que la baisse des dépenses publiques hors service de la dette est de 61 % en comptant l’impact de l’inflation et de la dépréciation, une réalité qui n’est pas retranscrite dans les comptes publics – où la parité officielle de 1 507,5 livres est toujours utilisée dans les calculs.

Le ratio dette/PIB du Liban atteint, lui, 183 % en 2021 (contre 179,1 % en 2020), ce qui lui permet d’occuper la 4e place mondiale derrière le Venezuela (310 % en 2020, le ratio de 2021 n’a pas été communiqué) ; le Japon (près de 250 %) ; le Soudan (environ 220 %) et la Grèce (210 %). Le Liban a fait défaut sur sa dette en devises depuis mars 2020 et ne l’a toujours pas restructurée.

Décotes des circulaires

Pour en revenir au pilotage de la BDL, la BM cible plus particulièrement le processus engagé via les différentes circulaires publiées depuis avril 2020 qui ont autorisé ou contraint, selon les points de vue, les déposants à retirer leurs fonds bloqués par les restrictions bancaires en place depuis la seconde moitié de 2019 en subissant une décote par rapport au taux du marché. La BM cite notamment les circulaires n° 151 et n° 601 qui ont institué et fait perdurer le concept de dollars bancaires (ou lollars) ; la n° 158 qui a autorisé les premiers retraits en dollars frais, mais avec l’obligation d’en retirer à chaque fois une portion équivalente, mais en livres, à un taux de 12 000 livres pour un dollar ; et enfin, la circulaire n° 161 à travers laquelle des déposants ont pu convertir leurs livres en dollars au taux de Sayrafa.

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Selon la BM, les décotes imposées aux clients des banques sont de 84 % pour la circulaire n° 151 (les retraits en livres à 3 900 livres pour un dollar) ; de 23 % pour la n° 601 (retraits à 8 000 livres pour un dollar) ; et de 26 % pour la circulaire n° 158 (en considérant que les clients pourraient retirer en espèces l’intégralité des montants en livres pouvant être encaissés, ce que le dispositif ne permet pas).

Pour la BM, ces circulaires ont non seulement permis aux banques d’échapper au respect des obligations contractuelles les liant à leurs déposants, mais elles ont aussi impacté les « petits et moyens déposants » en mettant en place, sur leur dos, une stratégie de désendettement qui ne s’intègre pas dans une « approche globale » de sortie de crise. Ces mesures, combinées à la dépréciation de la livre (près de 24 000 livres pour un dollar hier) et à l’inflation (145 % à fin novembre 2021, selon la BM), ont lourdement pesé sur la pauvreté qui atteint des sommets (74 % des personnes vivant au Liban, soit presque trois fois le niveau affiché en 2019, selon une étude de l’Escwa publiée en septembre). Le chômage a, lui, atteint 37,7 % entre mai et juillet 2021, selon les chiffres de la BM obtenus suite à une enquête par téléphone, un taux presque égal à celui de décembre 2020, selon la BM (près de 40 %). 

Attendu depuis décembre dernier, le rapport d’automne de la Banque mondiale (BM) sur une conjoncture libanaise plombée par la crise dans laquelle le pays s’enfonce depuis 2019 (voire 2018, selon certaines analyses) a finalement été publié hier. Et une fois de plus, l’organisation n’a pas mâché ses mots pour dénoncer le désastre provoqué par l’absence « d’action...

commentaires (5)

Article très complet !

Emmanuel Durand

12 h 44, le 25 janvier 2022

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Article très complet !

    Emmanuel Durand

    12 h 44, le 25 janvier 2022

  • C'est ce que vise la campagne de Kulluna Irada, malgré le bashing en ligne.

    Bachir Karim

    11 h 59, le 25 janvier 2022

  • le FMI prete t il oreille a la BM ? ou est ce que ces 2 la quoique indépendants l'un de l'autre se veulent sourds aux constats de l'un ou de l'autre ? PIETRE SITUATION POUR NOUS LIBANAIS !

    Gaby SIOUFI

    09 h 59, le 25 janvier 2022

  • RESPONSABLES LIBANAIS!!! C’est une espèce disparue depuis très longtemps remplacée par une meute d’incompétents, de corrompus, de voleurs, de bandits de grand chemin…. Voilà la réalité de tous les politiciens de tous bords depuis 1988 à ce jour.

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 55, le 25 janvier 2022

  • Au moins on est premier dans quelque chose. Merci, grand déni!

    Gros Gnon

    01 h 48, le 25 janvier 2022

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