Le vice-président du groupe de la Banque mondiale (BM) pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), Ferid Belhaj, et son directeur exécutif, Merza Hussain Hasan, sont attendus cette semaine à Beyrouth pour tenter une nouvelle fois de faire réagir la classe politique libanaise sur la gravité de la situation du Liban. C’est le moment qu’a choisi l’institution pour publier la version mise à jour du rapport sur le pays du Cèdre, le Lebanon Economic Monitor (LEM), dans lequel elle détaille sur 94 pages tous les volets de la crise que traverse le pays depuis près de deux ans.
Intitulée « Le naufrage du Liban (top 3 des pires crises mondiales) », l’étude dresse un constat sans appel : la crise libanaise « est probablement l’une des dix, voire l’une des trois pires crises que le monde a connues depuis le milieu du XIXe siècle ». Et ce, en comparant avec pas moins de huit autres crises, dont deux en Argentine (1980, 2001-2002), aux Philippines (1981), au Mexique (1981-1982), au Chili (1981), au Venezuela (1994), en Uruguay (2002) et en Grèce (2009).
« Bail-out »
Parmi les conséquences de cette période qui a vu la livre se déprécier de plus de 88 % et dont les effets ont été amplifiés par le Covid-19 ainsi que l’explosion meurtrière qui a ravagé Beyrouth le 4 août 2020, la Banque mondiale relève notamment l’effondrement du PIB, qui est passé de 55 milliards de dollars en 2018 à environ 33 milliards de dollars en 2020. Une chute qui traduit également une baisse du PIB/habitant de près de 40 %, soit une dégradation « brutale et rapide », qui survient habituellement dans des périodes de guerre ou de conflits, explique l’institution internationale.
Ce n’est pas la première fois que des analystes pointent du doigt cette anomalie. La semaine dernière, l’ancienne rédactrice en chef du Commerce du Levant et actuelle directrice des politiques publiques au sein de l’organisation Kulluna Irada, Sibylle Rizk, a par exemple signalé lors d’une conférence organisée par la Fondation citoyenne libanaise que le PIB libanais a fait une chute sans équivalent dans le monde en termes de rapidité, faisant passer le PIB par habitant à son niveau du début des années 1990. Cette baisse prolongée du PIB a d’ailleurs poussé la Banque mondiale à considérer que le Liban était dans une phase de « dépression économique sévère », un terme désignant une forme grave de crise économique, qui peut être caractérisée par plusieurs facteurs, dont une chute de production durant au moins trois ans. Une case que le pays coche donc avec des contractions de -1,93 % en 2018, -6,7 % en 2019 et -20,3 % en 2020 (en déduisant à chaque fois l’effet de l’inflation). Pour 2021, la Banque mondiale s’attend à une contraction de 9,5 % cette année, avec une inflation annuelle de près de 100 %.
L’institution insiste une nouvelle fois – comme elle l’avait fait dans son rapport de décembre – sur l’effet aggravant des restrictions bancaires illégales, mais néanmoins imposées aux clients des banques libanaises. L’organisation rappelle que la majorité de la main-d’œuvre libanaise et les petites entreprises ont donc vu leurs économies bloquées, leur pouvoir d’achat se réduisant en raison de l’inflation à trois chiffres (+157,86 % à fin avril), projetant plus de la moitié de la population sous le seuil national de pauvreté. Elle souligne aussi que ce sont justement ces entreprises et ces ménages modestes qui subissent « le fardeau de l’ajustement en cours et du désendettement dans le secteur financier » à travers la « lirification » et les « haircuts » (les « ponctions ») sur les dépôts en dollars. La Banque mondiale qualifie ces mesures de « bail-out » (renflouement du secteur bancaire) qui ne sauvegardent pas les dépôts.
Solde primaire en baisse
L’institution revient également sur l’évolution du déficit public qui, même s’il a baissé en 2020, est loin de traduire une réelle amélioration de la gestion des finances publiques du pays. Elle signale que cette baisse est en effet liée à celle, importante, des dépenses publiques, qui ne remboursent plus la dette depuis le défaut sur les eurobonds (obligations en devises) annoncé en mars 2020; une baisse combinée à un effondrement simultané des recettes de l’État, fiscales et non fiscales, conséquence de la baisse de l’activité.
Signe de la détérioration effective des finances publiques que la baisse du déficit rend moins visible, le solde primaire en 2020 – soit le solde total du budget moins le service de la dette (les sommes engagées pour la rembourser) – a régressé de 2,3 %, pour atteindre un niveau équivalent à 2,8 % du PIB. Le solde budgétaire global de 2020 a, lui, progressé de 0,7 % pour atteindre 4,9 % du PIB. Les importations, qui pèsent généralement très lourd sur la balance des paiements, se sont, elles, contractées de 45 % durant les dix premiers mois de 2020, entraînant une baisse du déficit commercial de 54,8 %.
La baisse des importations trouve sa source dans la crise de liquidités en devises que subit le pays, liée en grande partie à la baisse des réserves en devises auprès de la Banque du Liban (BDL). Des réserves qui servent jusqu’ici à financer les différents mécanismes de subvention de facto mis en place depuis octobre 2019 par la banque centrale pour limiter l’impact de la dépréciation sur les prix en livres de certains produits importés et que les autorités veulent rapidement rationaliser. Bien que la Banque mondiale conçoive que sans elles la balance des paiements (total des flux entrants au pays moins ceux sortants) se porterait mieux en diminuant considérablement les importations subventionnées (dont le coût passera de 5,78 milliards de dollars à 3,21 ou 2,91 milliards), elle met en garde sur les répercussions sociales de cette mesure, qui causera également une hausse de l’inflation de 24 %. La BDL a, de son côté, répété ces dernières semaines qu’elle ne pouvait pas mobiliser les réserves obligatoires en devises des banques, qui composent actuellement la quasi-totalité de ses réserves en devises, pour continuer de financer les subventions. Toutefois, de plus en plus d’observateurs pointent du doigt le fait que les autorités sont indirectement en train de réduire non pas la voilure des subventions, mais bien les quantités importées, via par exemple les retards dans les délais de validation des dossiers par la BDL.
La Banque mondiale consacre enfin tout une partie de son rapport à la dégradation, liée à la crise, de services publics qui sont de plus en plus sollicités par les Libanais les plus démunis.
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22 h 12, le 01 juin 2021