« Un an de crise économique sévère et l’absence délibérée d’action politique efficace de la part des autorités ont soumis l’économie libanaise à une longue et difficile dépression. »
La Banque mondiale a une nouvelle fois dérogé à sa neutralité habituelle pour pointer du doigt l’irresponsabilité de la classe politique libanaise qui a manqué toutes les tentatives de réformer le pays, surtout depuis le début de la crise que celui-ci traverse depuis plus d’un an et qui est au centre d’un nouveau rapport publié hier par l’organisation. Un clou enfoncé par son directeur régional pour le Moyen-Orient, Saroj Kumar Jha, cité dans le communiqué annonçant la nouvelle publication. « L’absence de consensus politique sur les priorités nationales a sévèrement entravé la capacité du Liban à mettre en œuvre des politiques visionnaires à long terme », a notamment lâché le cadre.
Les auteurs du rapport appellent une fois de plus les dirigeants à mettre en œuvre un « agenda de réformes globales » qui s’attaque aux racines de la crise et qui va ouvrir la voie à un redressement de l’économie « plus équitable et efficace ». Saroj Kumar Jha a lui appelé à débloquer le processus de formation d’un gouvernement (plus de trois mois après la démission de celui de Hassane Diab), à qui il a enjoint de mettre « rapidement en œuvre une stratégie crédible de stabilisation macroéconomique ».
Le ton direct du rapport, intitulé « La dépression délibérée », est loin d’être anodin. Dès le résumé publié en introduction du rapport, la Banque mondiale met en effet en perspective l’inertie de la classe politique avec le « processus d’ajustement » financier piloté par la Banque du Liban (BDL). Celle-ci a publié une grosse cinquantaine de circulaires en un an et demi pour intervenir sur divers aspects critiques de la politique monétaire et l’organisation du secteur financier, en plus de mesures de politique économique (les subventions à certaines importations) qui ne sont pas supposées rentrer dans ses attributions.
Un processus qui fait, poursuit l’organisation, « porter l’essentiel du poids de la crise aux petits déposants, entrepreneurs et travailleurs payés en livres », via la dévaluation massive de la monnaie nationale ; la « lirification » (forcée) des dépôts en devises, les restrictions sur l’accès à ces derniers ; et la décote (haircut) de facto, via des dispositifs qui obligent les Libanais à retirer les dollars qu’ils avaient en banque avant le 9 avril à un taux inférieur à celui du marché (via la circulaire n° 151). Le 9 avril correspond à la publication de la circulaire principale n° 150, à travers laquelle la BDL a pour la première fois entériné la distinction créée de toutes pièces par les banques en novembre 2019, entre les comptes en devises soumis à restriction et les « fonds frais », non soumis à une limite.
Le contrôle des capitaux forcé créé par cet ensemble de mesures n’a lui toujours pas été légalisé par le Parlement, ce qui a permis au secteur bancaire de jouer sur les zones grises pour faire de la discrimination entre leurs clients. Des dérives qui, selon plusieurs sources concordantes, ont contribué à favoriser la fuite d’une partie des capitaux détenus par la classe politique, avant et pendant la crise.
Absence de complaisance
L’absence de complaisance de la Banque mondiale vis-à-vis de la classe politique libanaise ne date pas d’hier. L’organisation avait par exemple intitulé « The Great Capture » (La grande confiscation) son rapport d’automne 2015 sur le pays, qui tirait à boulets rouges sur le système de gouvernance en place depuis la fin de la guerre civile en 1990. Il reste que les responsables de l’organisation, qui généralement font preuve de diplomatie dans leurs déclarations publiques, prennent de moins en moins de pincettes avec les dirigeants libanais depuis que ces derniers ont failli à respecter les engagements de réformes pris lors de la conférence de Paris (CEDRE).
Avec 4 milliards de dollars de prêts, l’organisation est de fait le plus gros contributeur de l’enveloppe de plus de 11 milliards de dollars en prêts et dons devant financer la réhabilitation des infrastructures du pays, promis par les acteurs présents à cette conférence organisée à l’initiative de la France et sous l’égide du groupe international de soutien au Liban (GIS). Ces fonds sont toujours bloqués, faute de réformes.
Dans ce contexte, Saroj Kumar Jha a été avec Farid Belhaj, vice-président pour la région Moyen-Orient et Afrique, celui qui a le plus durci le ton dans ses déclarations. Peu après le début du vaste mouvement de contestation populaire dirigé contre cette même classe politique qui a éclaté le 17 octobre 2019 et s’est poursuivi pendant plusieurs mois, Saroj Kumar Jha avait averti le président Michel Aoun que le pays risquait de faire face à une dégradation accélérée de sa balance des paiements et à des sorties de capitaux, en insistant sur les conséquences sociales de la crise.
Le Liban était alors aussi sans gouvernement, celui d’alors dirigé par Saad Hariri venant tout juste de démissionner après avoir présenté un budget pour 2020 qui n’avait de réformateur que le nom et la population découvrait à peine les contours de cette crise, déjà pressentie comme l’une des pires de son histoire récente. En mal de liquidités en dollars, les banques avaient commencé à restreindre l’accès des déposants à leurs comptes en devises ; la monnaie nationale avait commencé à flirter avec la barre des 2 000 livres pour un dollar (soit 4 fois moins qu’aujourd’hui), la croissance était déjà négative (-6,7 % sur l’ensemble de 2019) et la hausse des prix était encore contenue, en partie parce que la BDL avait décidé dès octobre de subventionner certaines importations en puisant sur ses réserves de devises déjà bien entamées.
Hausse du ratio, baisse de la valeur
Un an plus tard, le scénario décrit par Saroj Kumar Jha s’est bel et bien concrétisé, avec deux chocs de plus subis par le pays, avec les répercussions de l’épidémie de Covid-19, celles de la double explosion (aux causes non élucidées) qui a ravagé le port de Beyrouth le 4 août, et enfin celles du défaut partiel de paiement sur la dette publique décidé en mars dernier. Les responsables ont de plus paralysé les négociations avec le Fonds monétaire international qu’ils avaient pourtant sollicité en mai dernier pour débloquer une assistance financière et ont refusé de jouer le jeu proposé par l’initiative française en septembre, qui demandait la formation rapide d’un gouvernement, ou encore le lancement de l’audit juricomptable de la BDL.
Au niveau des chiffres, la Banque mondiale table toujours sur une contraction de 19,2 % du PIB réel l’exercice (un chiffre avancé en octobre), suivie par une chute de 13,2 % en 2021. Elle souligne que l’hyperinflation de plus de 75 % attendue en 2020, puis de 40 % en 2021 (selon les estimations) a précipité une importante partie des Libanais sous le seuil de pauvreté.
La BM s’attend en outre à ce que le ratio dette/PIB passe de 171 % en 2019 à 194 % en 2020, puis à 211,7 % en 2021. Cette hausse du ratio se traduit cependant par une baisse de la valeur de la dette en dollars – celle-ci étant majoritairement libellée en livres. Le « stock total de dette » pourrait ainsi passer de 88,9 milliards de dollars en 2019 (un montant ajusté pour tenir compte de la dépréciation de la livre par rapport aux plus de 91 milliards comptabilisés au taux de 1 507,5 livres par le ministère des Finances pour la même période) à 62,3 milliards à fin 2020, puis 55,5 milliards en 2021.
Le ratio déficit public/PIB devrait lui se contracter en raison de la fonte des dépenses et des revenus de l’État passant de 10,5 % en 2019 à 5,9 % en 2020, puis 4,6 % en 2021. Le déficit commercial a lui profité de la baisse des importations favorisée par les restrictions bancaires et la dévaluation, avec un ratio passant de 24,9 % du PIB en 2019, à 4,4 % en 2020, puis un surplus de 2,7 % (grâce à une hausse des exportations).
Si nous etions vraiment un peuple, il y a longtemps que nous aurions dresse les potences. Malheureusement nous relevons du regne confessionnel c.a.d. Animal.
15 h 49, le 25 janvier 2022