La Cour d'appel civile de Beyrouth a rejeté lundi les recours présentés par les députés Nouhad Machnouk, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter contre le juge d'instruction Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur la double explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth, une affaire dans laquelle sont impliqués ces élus, ainsi que d'autres responsables politiques et militaires.
L'information a été confirmée à L'Orient-Le Jour par une source judiciaire. Selon plusieurs médias locaux, la Cour d'appel s'est déclarée incompétente et a décidé de rejeter tous ces recours qui visaient à dessaisir le juge. Elle a également ordonné aux trois députés de payer une amende de 800.000 livres libanaises. "Dès à présent M. Bitar peut reprendre ses investigations et pourrait convoquer dans un proche avenir les trois députés pour interrogatoire", a affirmé une source judiciaire à l'AFP.
Réagissant au verdict de la Cour d'appel civile de Beyrouth, le ministre de la Justice, Henri Khoury, a dit "respecter cette décision", soulignant avoir "pleinement confiance" en cette instance. Interrogé dans les médias locaux, l'avocat de Nohad Machnouk, Naoum Farah, a pour sa part estimé que la décision de la Cour d'appel était un "scandale judiciaire". "Nous allons publier un communiqué détaillé, reprenant tous les documents présentés devant la Cour pour prouver que notre demande était légale et que la Cour d'appel était compétente", a-t-il ajouté.
Le magistrat Bitar avait dû suspendre ses investigations, dans l'attente du verdict de la justice. Des ONG et des proches des victimes avaient déploré une nouvelle preuve d'obstruction politique. La déflagration, qui a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés, a dévasté des quartiers entiers de la capitale. Elle a été imputée, de l'aveu même des autorités, au stockage sans mesures de précaution, depuis 2013, d'énormes quantités de nitrate d'ammonium. Un troisième recours pour "suspicion légitime" contre le magistrat a été présenté par l'ex-ministre Youssef Fenianos, également poursuivi. C'est à la Cour de cassation de trancher sur ce plan, ce qu'elle n'a pas fait jusqu'à présent.
Par ailleurs, comme tous les 4 du mois, des proches des victimes du drame ont organisé en soirée un sit-in devant le port, au cours duquel ils ont notamment exprimé leur soutien au juge d'instruction.
Pointées du doigt pour négligence criminelle, les autorités libanaises ont rejeté toute enquête internationale, l'enquête locale continuant de piétiner, alors que la classe dirigeante est accusée de tout faire pour la torpiller et éviter des inculpations dans un pays où sévit la ''culture d'impunité" selon des ONG. De hauts responsables politiques, sécuritaires et judiciaires étaient conscients des dangers de la substance hautement volatile au port, mais n'ont pris aucune mesure préventive. Ce drame a enfoncé dans l'abîme le Liban, dont la classe politique, immuable depuis des décennies, est accusée de corruption, d'incompétence et d'inertie.
Le prédécesseur de Tarek Bitar, le juge Fadi Sawan, avait été lui-même dessaisi, mi-février, de l'enquête et démis de ses fonctions après un recours similaire présenté par les députés Khalil et Zeaïter, déjà mis en cause à l'époque. La Cour de cassation avait alors basé sa décision sur le recours présenté contre le juge Sawan en estimant que son objectivité pouvait être remise en question, la maison qu’il occupe, qui appartient à s0n épouse, ayant été endommagée par l’explosion, et qu'il n'avait pas respecté les immunités parlementaires des députés mis en cause en affirmant qu'il "ne reculerait devant aucune immunité ni devant aucune ligne rouge".
commentaires (9)
“... Elle a ordonné aux trois députés de payer une amende de 800.000 livres libanaises ...” - Wow! Trop fort! Ça va les déstabiliser et les décourager. Bien vu...
Gros Gnon
23 h 57, le 04 octobre 2021