Vingt-quatre heures après la formation d'un gouvernement qui s'est fait attendre pendant 13 mois dans un pays frappé par une crise socio-économique inédite, plusieurs ministres du nouveau cabinet de Nagib Mikati se sont exprimés samedi. Entre constats amers de la réalité du pays et appels à lancer le chantier de travail, leurs propos semblent converger en faveur d'un dépassement des clivages politiques, même si ces ministres sont au final proches ou affiliés aux partis traditionnels accusés d'avoir mené le pays vers cet effondrement.
Lors d'un accueil populaire dans sa région natale de Baalbeck, le nouveau ministre de l'Agriculture, Abbas Hajj Hassan, qui travaillait jusque-là en tant que journaliste, a reconnu que le Liban était "dans la phase d'effondrement et non au bord de l'effondrement", mais il s'est voulu optimiste. "La volonté de toutes les forces politiques existe sur le terrain, et nous sommes déterminés", a-t-il ajouté, avant de saluer "l'action" du président du Parlement Nabih Berry. "Nous sommes à un tournant historique. La communauté internationale nous regarde tous et nous allons mettre tous les moyens au service du sauvetage du pays, sur les plans économique, social, politique et sécuritaire. Les rivalités politiques vont se poursuivre sans aucun doute, mais la priorité aujourd'hui est aux citoyens et à l'humain, ainsi qu'à tous ceux qui souffrent dans ce pays", a ajouté le ministre. Concernant l'agriculture, il n'a rien voulu promettre "car nous sommes au premier jour et la passation de pouvoir n'a pas encore eu lieu". Mais il a affirmé s'attendre à ce que le nouveau gouvernement consacre un "vrai" budget à ce secteur.
Armes automatiques et roquettes en guise de célébrations
Toujours dans la Békaa, le ministre des Travaux publics et des Transports Ali Hamiyé, proche du Hezbollah, a été accueilli par une foule d'habitants, au milieu de tirs nourris en l'air d'armes automatiques lourdes. Quelques tirs de roquettes ont également été enregistrés, selon des images qui circulent sur les réseaux sociaux. Cette pratique courante au Liban pendant les célébrations occasionne souvent des victimes.
"Je dois être à la hauteur de la responsabilité qui m'a été confiée", a affirmé M. Hamiyé, entouré d'habitants de son village natal de Taraya. "Je suis ministre originaire de Taraya. Mais je suis ministre de tous les Libanais, de tout le Liban. J'ai des responsabilités envers tout le pays", a-t-il martelé.
Pour sa part, le nouveau ministre des Déplacés, Issam Charafeddine, a été reçu à Khaldé, au sud de Beyrouth, par le leader druze proche de Damas, Talal Arslane. Quant au nouveau ministre du Travail, Moustapha Bayram, réputé proche du Hezbollah pro-iranien, il a reçu dans son village natal de Wardaniyé des habitants venus le féliciter. Dans une déclaration, il a estimé que sa nomination constituait "un message de communication (...) avec toutes les forces" politiques du pays.
De son côté, le nouveau ministre de l'Industrie, Georges Bouchikian, a affirmé devant une délégation venue le féliciter à Zahlé qu'il est temps de "travailler et semer de l'optimisme afin de sortir de cette réalité amère". "Ce n'est pas le moment de la politique et des rivalités", a-t-il estimé.
En soirée, samedi, notre correspondante Hoda Chedid rapportait que le Premier ministre Nagib Mikati a tenu une série de réunions en journée avec ses ministres et a évoqué avec eux les dossiers principaux, ainsi que la rédaction de la déclaration ministérielle sur base de laquelle il devra obtenir la confiance du Parlement. M. Mikati s'est également réuni avec les ministres actuels et leurs prédécesseurs qui sont concernés par la mise en place de la carte d'approvisionnement censée être distribuée dans les prochains mois aux familles les plus démunies.
La formation du gouvernement Mikati a été annoncée vendredi, plus d'un mois après la désignation du leader sunnite. Quatrième équipe du genre mise sur pied pendant le mandat du président de la République Michel Aoun, élu le 31 octobre 2016, elle comprend 24 ministres (le président du Conseil, le vice-président et 22 portefeuilles), dont une seule femme, répartis à parts égales entre chrétiens et musulmans. Les ministres font partie de trois groupes de 8 pour chaque camp (Aoun, Mikati-Joumblatt et le tandem chiite) afin qu'aucun ne détienne le tiers de blocage. Officiellement donc, le tiers de blocage, que le camp présidentiel était accusé de vouloir obtenir à tout prix, n'existe pas dans la composition actuelle du cabinet. Reste à savoir, une fois que le gouvernement aura obtenu la confiance du Parlement et entamé sérieusement sa mission, comment certains ministres, fruits de "consensus" entre les deux présidents, et même certains ministres alliés à chacun des camps, sortiront de la zone grise.
Grillo et "l'urgence à travailler"
Sur le plan diplomatique, et en échos aux appels internationaux à des réformes, l'ambassadrice de France au Liban, Anne Grillo, a plaidé en faveur d'un "engagement constructif" de la part de la nouvelle équipe en place. "Après 13 mois de vacance, la formation d'un gouvernement est une première étape essentielle au redressement du Liban. Il y a maintenant urgence à travailler", a écrit la diplomate sur son compte Twitter. "La situation dramatique du pays requiert un engagement constructif de toutes les forces politiques pour que le gouvernement conduit par le Premier ministre Nagib Mikati puisse œuvrer résolument au service de la stabilité, de l'unité, de la prospérité du Liban et de tous les Libanais", a estimé Mme Grillo. "Chers amis libanais, la France restera engagée à vos côtés et vigilante pour que des réponses et des actes concrets soient apportés à vos besoins et à vos aspirations. Sur le terrain, je continuerai à y veiller et à agir avec et pour vous", a conclu l'ambassadrice, accompagnant son message du mot-dièse #FranceLibanEnsemble.
Vendredi, le président français, Emmanuel Macron, avait salué la mise sur pied du cabinet, estimant qu'elle constitue "l'étape indispensable" pour "sortir le pays de la crise profonde dans laquelle il se trouve".
Il reste que scepticisme et critiques prévalaient samedi au Liban, tant dans les milieux de l'opposition politique qu'au sein d'une population désabusée, mise à genoux par deux années de crise étouffante.
commentaires (10)
Il faudrait peut etre expliquer a Mme l'ambassadrice de France qu'il n'est nullement de bon aloi de se rejouir de la mise en place d'un gouvernement preside par quelqu'un qui traine autant de casseroles.
Michel Trad
23 h 29, le 12 septembre 2021