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À l’école de la survie

Enfin, un gouvernement pour un pays en profonde crise et longtemps abandonné à son sort par un pouvoir prompt à se dégager de ses énormes responsabilités !


Formée hier sous la pression croissante de la communauté internationale, la nouvelle équipe n’a pourtant pas de quoi susciter l’enthousiasme débordant des foules ; mais elle n’est pas tout à fait un clone du gouvernement sortant. Comme pour ce dernier, les spécialistes qu’elle compte ont bien été sélectionnés, triés et puis imposés, au prix de laborieux marchandages, par les divers camps en lice ; en dépit de leurs aptitudes, ils en seront inévitablement l’instrument. En échange, Nagib Mikati est clairement mieux équipé pour le job que l’inconsistant Hassane Diab.


Non point que le nouveau Premier ministre, un habitué du Sérail, soit à l’abri des critiques. Il fait éminemment partie de cette même caste dirigeante décriée, pour son incurie et son affairisme, par la vaste rébellion populaire d’octobre 2019. Outre une notable assise populaire et le soutien des instances politiques et spirituelles sunnites, Mikati détient cependant un substantiel carnet d’adresses internationales qui peut s’avérer précieux dans le contexte actuel. Dès hier, il se faisait fort de ramener le Liban dans le giron arabe sans exclure, il est vrai, un dialogue avec la Syrie de Bachar el-Assad. Reste à savoir s’il parviendra à dissiper les vieilles et tenaces rancunes du royaume saoudite, un des principaux pays donateurs du Liban : à faire banco là où un Saad Hariri s’est cassé les dents.


Encore plus grave est l’incertitude persistante quant à la productivité de ce cabinet de 24, constitué de trois tiers théoriquement égaux. Celui-ci, assure son chef, échappe désormais à cette hérésie de tiers de blocage qui a longtemps voué à la paralysie les gouvernements des dernières années. Cela, seul le proche avenir le dira ; certaines de ces fraîches excellences, diversifiant leurs obédiences dans le respect des alliances entre partis, trouvent moyen en effet d’arborer non point une, mais deux casquettes. Voilà qui en fait le véhicule idéal pour un retour déguisé à la stratégie du blocage, pour l’émergence d’un tiers plus un qui serait alors plus égal que les deux autres !


Cette même pratique du blocage a fait, avec l’aide déterminante du Hezbollah, la fortune politique du président Michel Aoun et de son courant. Et c’est encore l’obsession de ce funeste tiers qui a pu laisser s’écouler treize mois en vaines palabres depuis la meurtrière catastrophe du port de Beyrouth. On a bien de la peine à croire (et là, je ménage mes mots) que tout ce temps-là, et malgré l’extrême urgence du moment, c’est le sort politique du gendre et dauphin qui a accaparé les préoccupations présidentielles. Le terrible présent dans lequel se débattent les citoyens ? Il passait bien après les espérances d’un personnage au passé si calamiteux – à l’Énergie comme aux Affaires étrangères – qu’il devrait, en toute justice, lui interdire toute perspective d’avenir…


Piégé ou non, c’est à un monumental chantier qu’est tenu de s’attaquer, au plus vite, le nouveau gouvernement. La négociation avec le Fonds monétaire international et la levée officielle de la politique de soutien, avec les risques de dérapages sociaux et sécuritaires qu’implique cette dernière, ne sont que les chapitres les plus pressants d’un volumineux cahier des charges. L’incurie et la corruption des dirigeants les ont conduits à ôter littéralement le pain (et l’eau aussi !) de la bouche des citoyens, à les priver en outre de médicaments et de soins hospitaliers, de courant électrique et de carburants. Or, la question de l’enseignement n’est pas moins prioritaire. C’est leur haut niveau d’éducation qui fait les Libanais; c’est donc sauvegarder cette particularité que de veiller à l’accès au savoir des générations nouvelles, à la survie des établissements privés et publics, et à la subsistance des instituteurs et professeurs.


La course d’obstacles qui commence est aussi une course contre la montre. Par leur criminelle lenteur à réagir à la crise, les gouvernants en étaient même venus à assassiner le temps, ce luxe qui est désormais hors de portée.


La jeunesse libanaise est le Liban de demain. Pour elle, c’est maintenant, tout de suite, que commence demain.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Enfin, un gouvernement pour un pays en profonde crise et longtemps abandonné à son sort par un pouvoir prompt à se dégager de ses énormes responsabilités ! Formée hier sous la pression croissante de la communauté internationale, la nouvelle équipe n’a pourtant pas de quoi susciter l’enthousiasme débordant des foules ; mais elle n’est pas tout à fait un clone du gouvernement...