
Des militaires français et libanais marchent dans le port dévasté de Beyrouth, le 31 août 2020. Photo REUTERS/Gonzalo Fuentes
Plus de deux mois après le drame, le bilan provisoire de la double explosion du 4 août, quand plus de 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium ont pris feu au port de Beyrouth, ne cesse de s'alourdir. Selon le dernier rapport du gouvernement démissionnaire de Hassane Diab, qui cite les Forces de sécurité intérieure, 202 personnes ont jusqu'ici perdu la vie, alors que le dernier bilan faisait état de 195 victimes. Dans ce document daté du 4 octobre et communiqué mardi, le cabinet rapporte par ailleurs que neuf personnes sont encore portées disparues, selon l'armée libanaise : trois Libanais, cinq Syriens et un Egyptien.
Dernière victime recensée, l’avocat Élie Naufal (50 ans), fils de l’ancien président de la municipalité de Zouk Mikaël, Nouhad Naufal, qui se trouvait dans le coma depuis la date du drame et qui a finalement succombé à ses blessures lundi. Il avait subi un traumatisme crânien ce jour-là, alors qu’il se trouvait dans un club de sport de Gemmayzé. La tragédie du port de Beyrouth a également fait plus de 6.500 blessés, dont certains demeurent dans un état grave. La déflagration a dévasté de nombreux quartiers de la capitale, laissant 300.000 personnes sans abri.
Deux mois plus tard, l'enquête n'a toujours pas abouti et aucun résultat n'a été rendu public, dans un pays où la justice est souvent soumise aux pressions politiques. Les autorités ont rejeté les appels à une enquête internationale. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées, tandis que les audiences et les interrogatoires de ministres, d'anciens ministres et de hauts responsables sécuritaires se succèdent.
Les suites de l’enquête
Sur ce plan, le Bureau du Procureur général près la Cour de cassation a transmis au juge d’instruction et procureur général près la Cour de justice, Fadi Sawan, en charge de l’enquête, les résultats de celle menée par la justice jordanienne sur le navire Rhosus. C'est à bord de ce bateau qu'étaient transportées les 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium qui, selon les explications des autorités libanaises, ont explosé dans le port après avoir été entreposées sans précaution dans le hangar numéro 12 depuis 2014.
Selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle), le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, avait demandé aux autorités judiciaires jordaniennes d'interroger les personnes qui auraient pu contribuer à endommager le navire, ce qui l'a empêché de quitter le port de Beyrouth. La justice libanaise attend également une réponse des autorités du Mozambique, pays auquel était destiné à l'origine le nitrate d'ammonium. Jeudi, le juge Sawan avait lancé deux mandats d'arrêt, par l'intermédiaire d'Interpol, contre le propriétaire et le capitaine du vaisseau, un individu de nationalité russe.
"Une rebuffade"
Les trois responsables, actuellement en détention dans le cadre de l'enquête, sont le directeur des douanes Badri Daher, le directeur général des transports maritimes et terrestres Abdel Hafiz el-Kaïssi et le directeur général du port Hassan Koraytem. Le président de la République refuse de signer des décrets visant à les démettre de leurs fonctions, justifiant lundi sa position par la nécessité d'une décision gouvernementale.
Selon une source judiciaire citant des personnes proches de l'enquête "la plus grande responsabilité incombe à Badri Daher, réputé proche de M. Aoun, que ce soit par rapport au stockage du nitrate d'ammonium ou à sa réticence à s'en débarrasser". M. Daher "savait au préalable qu'une partie du nitrate (d'ammonium) a été retirée par étapes du hangar avant l'explosion sans préciser la partie responsable ni les fins de cette évacuation" progressive, a ajouté la source à l'AFP.
La décision du chef de l'Etat "va être très mal perçue par l'opinion et va prendre l'allure d'une rebuffade", a commenté lundi auprès de l'AFP l'ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar. "Sur le plan légal, le refus de signer constitue un refus d'appliquer ce qu'on appelle la compétence liée (...) qui permet de mettre en exécution une décision indépendamment de son bien-fondé", a ajouté M. Najjar.
Lundi, les proches des dix pompiers morts dans le drame ont appelé lors d'un rassemblement à Beyrouth à une levée de l'immunité de tous les responsables impliqués dans l'explosion, mettant en garde contre une "escalade".
Avec ces nouvelles révélations, Aoun sera haï davantage.
22 h 17, le 06 octobre 2020