Ils sont des milliers de Libanais bloqués à l’étranger dans des pays où la pandémie fait des ravages ou dans d’autres où le coronavirus commence à se propager, mais qui ne sont pas dotés d’infrastructures hospitalières auxquelles ils peuvent faire confiance. Toutefois, l’affaire du rapatriement de ces expatriés, qui devrait être une priorité, a tourné ce week-end à la surenchère entre les dirigeants politiques. Surenchère dont le gouvernement Diab, déjà très fragilisé, a fait les frais.
Selon une source au ministère des Affaires étrangères, environ 20 000 Libanais ont contacté les missions diplomatiques libanaises ou exprimé le souhait d’être rapatriés. Le plus gros contingent, quelque 12 000 à 13 000, serait réparti parmi plusieurs pays d’Afrique, et 7 000 à 8 000 autres se trouveraient en Europe, dans les pays du Golfe et dans le reste du monde. « Ce sont des informations approximatives, on devrait avoir des chiffres plus exacts d’ici à mercredi », indique cette source à L’Orient-Le Jour.
C’est probablement en raison de cette pression de la puissante communauté libanaise d’Afrique, au sein de laquelle il est très influent, que le président du Parlement et chef du mouvement Amal Nabih Berry a ouvert les hostilités. Lors d’une réunion mercredi avec le Premier ministre Hassane Diab, il a soulevé la question des expatriés, exigeant que le gouvernement rapatrie ceux qui le souhaitent. Selon des sources politiques, la réunion se serait mal passée en raison de la position du chef du gouvernement réticent à effectuer ces rapatriements massifs, mais surtout à cause de leurs désaccords sur la question des nominations des quatre vice-gouverneurs de la Banque du Liban, celle des membres de la Commission des banques, et de la loi sur le contrôle des capitaux.
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Dans des déclarations à la presse, le Premier ministre a souligné qu’il n’était pas possible de rapatrier ces expatriés avant le 12 avril, date de la fin en principe de la période de mobilisation générale qui englobe la fermeture de l’aéroport. « La meilleure chose pour ces expatriés est de rester sur place, se confiner et se protéger, c’est pour leur propre bien », a-t-il expliqué dans des déclarations vendredi.
Or, beaucoup de Libanais bloqués à l’étranger sont dans une situation intenable, notamment les étudiants dans plusieurs pays européens à qui leurs parents n’arrivent pas à transférer de l’argent en raison des restrictions bancaires. En France par exemple, ils étaient plus de 600 personnes jusqu’à vendredi à s’être inscrits sur la liste des demandeurs de rapatriement. La priorité revient aux Libanais en visite en France, avant les étudiants libanais résidant en France, mais qui, n’ayant plus des cours pour cause de fermeture des universités, veulent rentrer auprès de leur famille, selon notre correspondante Anne Ilcinkas. En Italie, un des pays les plus touchés par la pandémie, se trouveraient quelque 800 étudiants dont certains sont totalement démunis, selon les sources de l’ambassade.
Quant aux expatriés dans plusieurs pays d’Afrique, où la pandémie n’en est encore qu’à ces débuts, ils ont exprimé la crainte de se retrouver bloqués dans des pays où les infrastructures hospitalières ne sont pas développées. Plusieurs se sont dit prêts à payer eux-mêmes pour leur rapatriement, à condition qu’on leur permettre de rentrer.
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Pas de rapatriement avant des tests de dépistage
Or, dans une interview à une chaîne locale jeudi soir, le ministre des Affaires étrangères, Nassif Hitti, avait répété qu’il ne serait pas possible d’effectuer des rapatriements avant des tests de dépistage du coronavirus, qui ne sont pas disponibles pour le moment. Il avait indiqué qu’il faudrait « deux ou trois semaines » avant d’obtenir ces tests auxquels seraient soumis les expatriés avant de prendre l’avion, expliquant que les autorités ne pouvaient pas prendre le risque de faire monter dans un avion des personnes contaminées.
Il a également assuré que les ambassades et consulats du Liban dans le monde étaient à l’écoute des expatriés et prêts à aider ceux qui se trouvent dans une situation difficile, mais de nombreux auditeurs ont appelé pendant l’émission pour dire que dans plusieurs ambassades, personne ne répondait aux numéros d’urgence. Le ministre est par ailleurs resté vague quand des Libanais ont demandé s’ils pouvaient être rapatriés dans le cas où ils parviendraient à effectuer le test dans leur pays d’accueil.
Le président de la Middle East Airlines, Mohammad el-Hout, a annoncé pour sa part que la compagnie nationale était « prête à évacuer les expatriés » libanais bloqués à l’étranger « dès qu’une décision officielle sera prise par le gouvernement à cet effet ».
Puis, samedi après-midi, M. Berry est de nouveau monté au créneau, menaçant de « suspendre » la participation de sa formation politique au gouvernement – théoriquement formé de technocrates – si le gouvernement n’agissait pas pour rapatrier les expatriés. Deux membres du gouvernement Diab sont proches de M. Berry : le ministre des Finances Ghazi Wazni, qui était son conseiller économique, et Abbas Mortada, qui cumule les portefeuilles de la Culture et de l’Agriculture. « Alors qu’on renie notre autre moitié, à savoir notre diaspora qui a fait de nous un empire sur lequel le soleil ne se couche pas (...), si le gouvernement persiste dans sa position au sujet des expatriés après mardi prochain, nous suspendrons notre participation au cabinet », a menacé M. Berry, selon un communiqué publié par son bureau de presse.
Ce dossier polémique doit être abordé lors d’un Conseil des ministres prévu mardi à 14h au Sérail. Selon des sources politiques, c’est toutefois pour avoir gain de cause dans la question polémique des nominations, sur laquelle il s’écharpe notamment avec le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, que M. Berry hausse le ton au sujet des expatriés.
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« Le Liban ne peut pas ignorer ses expatriés »
M. Bassil, qui lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères et des Émigrés avait tissé un influent réseau de relations au sein de la diaspora, a rapidement rejoint la surenchère samedi soir. « Le Liban ne peut pas ignorer ses expatriés », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse depuis son domicile. « Au lieu de perdre du temps à discuter de la possibilité ou pas de rapatrier les expatriés et à faire de la surenchère politique et populaire, il faut mettre sur pied rapidement un mécanisme de retour sûr », a-t-il ajouté. « Le cabinet doit mettre en place un protocole médical, social et financier, et assurer que les personnes puissent passer des tests de dépistage à l’étranger », a-t-il souligné. Et d’ajouter que les Libanais de la diaspora doivent toutefois comprendre qu’il est impossible de faire revenir tous les expatriés d’un coup, immédiatement, mais qu’une telle procédure doit se mettre en place progressivement. « Il faut donc donner au gouvernement un délai suffisant, bien que limité » pour traiter cette question, a-t-il poursuivi.
Pour sa part, le chef des Forces libanaises Samir Geagea, qui critique régulièrement le gouvernement, a estimé samedi que la position du cabinet était « honteuse ». « La position du gouvernement libanais jusqu’à présent vis-à-vis des Libanais expatriés aux quatre coins du globe, qui cherchent à rentrer dans leur pays, est extrêmement honteuse (...) surtout que ces Libanais ont affirmé à plusieurs reprises qu’ils étaient prêts à payer les frais du voyage et ceux de leur mise en quarantaine une fois de retour », a affirmé M. Geagea sur Twitter. « Le gouvernement doit prendre une décision très rapidement afin d’organiser des vols de retour pour les expatriés dans ces circonstances exceptionnelles », a-t-il ajouté.
Et samedi soir, c’était au tour du secrétaire général du Hezbollah de s’inviter dans la partie, appelant le gouvernement à organiser « un rapatriement étudié, sûr et rapide » des expatriés qui souhaitent rentrer au Liban. Lors d’un discours télévisé, Hassan Nasrallah a estimé que « tous les Libanais ont le droit de rentrer au Liban, quelles que soient les circonstances et les difficultés. Il ne devrait pas non plus y avoir de débat sur le fait que l’État doit tout faire pour assurer ces rapatriements de manière rapide », a-t-il ajouté. Le chef du Hezbollah a encore appelé à « ne pas sous-estimer la faiblesse du système sanitaire de certains pays et les risques d’effondrement sécuritaire et social, comme aux États-Unis où les gens se ruent pour acheter des armes » face à la crise, « ou dans certains pays d’Afrique » où sa formation compte également de nombreux sympathisants.
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Et alors ? Et si le maitre-chanteur national avait retiré du gvt ses marionettes attitrées ? Ecoeurant. Il n'y a plus qu'à faire confiance à son Karma qui saura comment le traiter le moment venu ...
19 h 53, le 01 avril 2020