Récit d’une courte semaine pendant laquelle notre monde a basculé…
Mercredi 11 mars
Tout est encore normal. Ou presque. Réunions, pots de départ, le quotidien habituel. La veille, l’entreprise a décidé de reporter sine die tous les déplacements vers ou depuis l’étranger.
Je pose une RTT (réduction du temps de travail) pour m’occuper des enfants l’après-midi. Je rejoins une amie et son bébé nouveau-né dans un parc. Les enfants jouent. On discute de tout et de rien.
Jeudi 12 mars
Ce midi, je vais à une réunion dans un ministère. Le président Macron doit parler le soir. Confinera, confinera pas ? Les paris vont bon train.
Une nouvelle procédure est mise en place à la cantine : désinfection des mains avec une solution hydroalcoolique, avant qu’un agent ganté nous tende les couverts. Certains collègues n’osent plus toucher les poignées de porte. Pour d’autres, le coronavirus n’est qu’une petite grippe sans grande importance.
Le soir, Emmanuel Macron annonce la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités dès lundi 16, et ceci pour une durée indéterminée.
Vendredi 13 mars
Dernière journée des enfants à l’école. Je demande au professeur de ma fille ce qui est prévu pour assurer la continuité pédagogique. « Rien ou presque, me dit-il : nous avons déjà fini le programme en français et en mathématiques. » Le soir, ma fille suit son dernier cours de basket.
Au bureau, nous avons une réunion de crise à 16h30. Télétravail pour tous. Enfin, ceux qui le peuvent. En quittant les lieux, personne ne sait quand on se reverra. Mais avec les amis, on organise encore une sortie pour le soir même.
Samedi 14 mars
Au parc, il y a plein de monde. Les enfants jouent. On discute entre parents. Qui travaillera ? Qui gardera les enfants ? « Maman, je peux aller à l’école lundi ? me demande ma fille. Florence y va. » Mais Florence a ses deux parents soignants. Donc l’école peut encore l’accueillir.
Le soir, le Premier ministre Édouard Philippe annonce la fermeture « jusqu’à nouvel ordre » des « lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays ». Soit les restaurants, cafés, bars, cinémas, théâtres…
Dimanche 15 mars
Jour de vote. Les élections municipales ont été maintenues. Une décision absurde pour certains, qui décident de les boycotter. Nous avons choisi d’accomplir notre devoir citoyen. « A voté ! » Je signe, avec mon propre stylo. Certains assesseurs portent un masque. D’autres pas. « Tu as des gants ? Tu veux les miens ? » demande un mari à sa femme avant d’entrer dans le bureau de vote. Dehors, il fait beau. C’est le printemps. Le marché est bondé. Personne ne respecte le confinement.
Au parc, un homme torse nu prend le soleil, allongé sur les marches. À quelques mètres de là, un couple d’amoureux s’enlace sur un banc public. Des enfants jouent au foot avec leur père. Un groupe d’une dizaine de touristes à vélo débarquent, admirant le lieu. Une mannequin pose pour une séance de photo de mode. La vie suit son cours, comme si de rien n’était.
Le lendemain, la légèreté des Français sera critiquée, leur inconscience, leur irresponsabilité, quand les images du canal Saint-Martin, du marché d’Aligre ou du jardin du Luxembourg bondés feront le tour des réseaux. En parallèle, les Libanais s’autoconfinent.
Lundi 16 mars
Premier jour à la maison, premières difficultés. Le bruit du marteau-piqueur dans le chantier d’à côté fait trembler les murs et nous assourdit. Côté enfants, impossible de faire l’école à la maison : le site Paris Classe Numérique est pris d’assaut. « Erreur 404 ».
Ruée sur le papier-toilette. Les supermarchés sont dévalisés. Plus de pâtes dans les rayons.
Dans la rue, on commence à voir des gens porter un masque. D’autres traînent des valises. Direction la campagne. Des ambulances filent, sirènes hurlantes, brisant le calme de la ville. Les rumeurs s’enchaînèrent toute la journée, à coups de messages WhatsApp, dans l’attente du discours de Macron.
« La France est en guerre », répète le président, à six reprises. Il évoque un confinement qui ne dit pas son nom, la fermeture des frontières, le report du second tour des élections municipales. Ça y est, on y est. « Sauvez des vies, restez chez vous », nous intime-t-il.
Mardi 17 mars
La France est confinée à partir de midi. Impossible de sortir sans attestation de déplacement. 100 000 policiers et gendarmes sont déployés pour faire respecter le confinement. Les contrevenants risquent une amende de 135 euros. Installé sur la table du salon, mon fils dessine : « La mer, le sable, et une maison remplie de lits superposés. »
Mercredi 18 mars
Mon fils de 5 ans tourne en rond dans la maison, comme une bête en cage. Ce matin, je sors avec lui et je fais le tour du pâté d’immeubles, comme m’en donne le droit le gouvernement. L’attestation en poche, je marche dans les rues vides, désertes. Je croise quelques piétons, sacs de courses ou chien en laisse à la main. Une voiture brise le silence. « Ça sent bon, me dit mon fils. Ça sent le savon. » Et c’est vrai que sans les pots d’échappement, toute une palette d’odeurs nous arrive aux narines. Parfums des fleurs qui éclosent, fromages odorants, poulets grillés, peinture fraîche, et même odeurs d’urine !
*Ce carnet de bord d’un départ est le récit, partagé une fois par semaine, des aventures, des émotions et de la nostalgie d’une Française qui a passé 10 ans au Liban, avant de repartir pour la France avec son époux libanais et ses enfants.
Les épisodes précédents
« Notre raison est en France, mais notre cœur est au Liban »