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Société - Travail domestique

En temps de crise, une réforme indispensable pour protéger des travailleuses encore plus vulnérables

Une consultation nationale portant sur le contrat de travail unifié des employées de maison s’est déroulée les 11 et 12 mars, à l’initiative du ministère du Travail et de l’OIT.

Plusieurs centaines de travailleuses domestiques et de militants de la société civile manifestant, le 5 mai 2019, à Beyrouth, pour protester contre le système de la "kafala". AFP / ANWAR AMRO

La gravité des crises que traverse le pays ne doit pas empêcher la réflexion sur les sujets de société. Parce que les populations les plus vulnérables risquent de souffrir davantage, d’où la nécessité de les protéger, à travers un filet de sécurité. Parmi ces populations, les employés de maison étrangers, estimés à plus de 250 000 personnes, principalement des femmes, dont une grande partie, déjà sous-payée, touche désormais son salaire en livres libanaises par manque de dollars, si toutefois ils sont payés. Partant de ce constat, l’Organisation internationale du travail (OIT) et le ministère du Travail ont organisé les 11 et 12 mars une consultation nationale sur la réforme de la kafala au Liban, ce système du garant qui impose un tuteur aux employées de maison étrangères. Une consultation qui conclut un an de réflexion visant à améliorer le contrat de travail unifié des travailleuses domestiques migrantes, dans le sens du respect de leurs droits et des standards internationaux, parallèlement à la promesse du développement d’une structure efficace de protection. Car il est grand temps de mettre fin aux abus dont ces employées sont victimes.


Un chantier initié en avril 2019

Le chantier avait été initié par l’ancien ministre du Travail, Camille Abousleiman, en avril 2019. Ce dernier a constitué un groupe de travail placé sous la coordination de l’OIT, avec la participation des organisations locales et internationales Caritas, Kafa, Legal Agenda, Amnesty International, Human Rights Watch, mais aussi de L’Orient-Le Jour. Des dizaines de réunions plus tard, particulièrement animées sur les questions du salaire minimum, des congés hebdomadaires et annuels, du droit de sortie ou de résiliation du contrat, le groupe a présenté au ministère sa proposition de contrat de travail idéal, qui répond aux critères de l’OIT. L’objectif étant de réglementer le travail domestique et de le rendre à la fois plus attrayant pour la main-d’œuvre locale, dans l’attente d’une refonte du code du travail libanais qui inclurait les travailleurs domestiques. Sans perdre de vue la nécessité de restreindre l’embauche de travailleuses vivant à domicile aux seules personnes capables de leur assurer un salaire et des conditions de vie décentes.

Malgré le flottement qui a accompagné la dépréciation de la monnaie nationale, l’éclatement du soulèvement populaire et la démission du cabinet de Saad Hariri en 2019, le ministère du Travail a pris la ferme décision de poursuivre le chantier lancé par Camille Abousleiman. La nouvelle ministre, Lamia Yammine Douaihy, s’y est engagée dans son discours d’ouverture prononcé lors de la consultation nationale sur la réforme de la Kafala. Entre-temps, son équipe avait étudié la proposition de contrat finalisée par le groupe de travail et renvoyé à l’OIT une version révisée.

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Le pas en avant du ministère du Travail

Au cœur de la consultation nationale, cette version révisée a permis à une assistance composée de diplomates des pays d’origine de la main-d’œuvre domestique, de représentantes des travailleuses, de syndicalistes locaux et internationaux, d’associations de défense des droits de l’homme ou de défense des droits des employeurs, de discuter la version du ministère et d’y apporter leurs recommandations.

À l’unanimité, le ministère, l’OIT et le groupe de travail sont tombés d’accord sur le fait que les documents légaux d’une employée de maison doivent rester en sa possession. Le contrat unifié, qui sera rédigé en arabe et dans la langue de chaque travailleuse migrante, interdira donc la confiscation du passeport, des permis de séjour et de travail, de la carte d’assurance. Les participants se sont aussi montrés unanimes sur l’interdiction d’enfermer l’employée à domicile, une pratique encore courante au Liban, et sur la nécessité de lui donner la possibilité de contacter ses proches. Parallèlement, toute employée de maison devra être informée, avant son arrivée au Liban, de ses conditions de travail et des tâches qu’elle devra accomplir, s’il s’agit uniquement de travail ménager ou si cet emploi inclut la prise en charge de personnes âgées, d’enfants, de personnes à besoins spécifiques ou d’animaux domestiques. En aucun cas l’employeur n’aura le droit de la faire travailler chez des proches, comme cela arrive souvent. Il n’aura pas non plus le droit de déduire de son salaire les frais de recrutement ou de voyage et sera tenu de lui verser son salaire à la fin du mois, en espèces, par transfert d’argent ou dans un compte bancaire. Et ce sur la base d’un travail hebdomadaire de 48 heures en moyenne et d’heures supplémentaires comptabilisées selon certains critères, mais limitées.



Les attentes du groupe de travail

Cela dit, la proposition de contrat de travail présentée par le ministère reste encore loin des standards internationaux et des attentes du groupe de travail. Alors que ce groupe mené par l’OIT réclame une référence au salaire minimum national, tout en prenant en considération que l’employée vit chez son garant, le ministère du Travail n’a toujours pas tranché sur la question de la rémunération, ni sur l’entente nécessaire entre employeur et employée concernant les modalités de versement. Il n’a pas non plus précisé que les frais de recrutement seront entièrement assumés par l’employeur, et que ce dernier devra se charger du renouvellement des permis de résidence et de travail. Les modalités de logement de l’employée de maison demeurent aussi problématiques, vu que le contrat révisé du ministère se contente d’évoquer la nécessité de la loger dans un lieu décent qui respecte son intimité. Or le groupe de travail insiste sur l’importance de lui allouer une pièce individuelle aérée qu’elle puisse fermer à clé au besoin. Car les dérives sont notoires sur ce plan, un grand nombre d’employeurs logeant leurs domestiques à la cuisine, sur le balcon ou au grenier, faute de place. Un fait qui laisse, en outre, la porte ouverte aux abus sexuels dont sont parfois victimes ces travailleuses. D’où l’appel du groupe de travail à autoriser toute travailleuse migrante à partir du domicile de son employeur, si elle se sent en danger.

Les horaires de travail et le temps consacré au repos font également l’objet de tiraillements de part et d’autre, sachant que les deux parties limitent la journée de travail à huit heures en moyenne entrecoupées de pauses, tandis que le groupe de travail réclame une compensation plus explicite des heures supplémentaires et de disponibilité de l’employée. Le congé dominical est une ligne rouge pour le groupe de travail, qui insiste également sur le droit de chaque employée de maison de sortir librement le dimanche et durant ses pauses quotidiennes. Sur cette question, le ministère s’est contenté d’une formule floue, autorisant l’employeur à faire travailler sa travailleuse domestique le dimanche, quitte à lui compenser sa journée de repos, mais sans préciser quand, ni consacrer pour autant le droit de sortie.

C’est sur ces recommandations du groupe de travail que s’est clôturée la consultation nationale, dans une ambiance lourde, marquée par la propagation du coronavirus dans le pays. Une clause essentielle du contrat n’a pas été discutée, celle liée à la résiliation du contrat, faute de temps et de consensus entre les deux parties. Cette question devrait faire l’objet d’un travail plus approfondi de part et d’autre, lorsque les circonstances le permettront. Cela étant, la proposition de l’OIT avait pris en considération tous les cas de figure, en cas d’abus ou de non-abus de part et d’autre, envisageant même l’indemnisation de l’employeur dans le cas où la travailleuse désirerait résilier librement son contrat pour changer d’employeur ou rentrer chez elle. Pour l’heure, si le ministère du Travail s’est penché sur les abus potentiels, il a en revanche ignoré le droit de toute travailleuse de résilier librement son contrat.


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Le « oui, mais » de la société civile

Du côté de la société civile, on salue certes les efforts déployés pour réglementer le travail domestique, mais on attend de voir comment sera traitée cette question de la résiliation du contrat, qui seule mettra fin au travail forcé au Liban. Le groupe de travail prépare déjà sa copie dans ce sens, à l’adresse du ministère du Travail. Il n’en reste pas moins que la représentante de l’association Kafa, l’avocate Mohana Ishak, rappelle qu’aucun texte n’a d’importance sans instances de contrôle des abus à l’égard des employées de maison. « Dans la situation actuelle, si on se contente de renforcer ces instances de contrôle, nous sommes sûrs de mettre un terme aux abus », assure-t-elle. Elle insiste toutefois sur l’attention à accorder au droit des travailleuses domestiques à résilier librement leur contrat. « C’est alors que nous passerons du travail forcé au travail libre », souligne-t-elle, estimant le processus « nécessaire, dans le cadre d’une refonte totale de la vision nationale du travail domestique ». Car « les arrangements cosmétiques sont loin d’être suffisants ».

Saluant de son côté l’engagement du ministère du Travail en cette période difficile, la chercheuse au Liban pour HRW, Aya Majzoub, reconnaît que « le contrat, tel que proposé par le ministère, est un pas positif ». « Mais il ne va pas assez loin pour l’abolition du système abusif de la Kafala », regrette-t-elle. « Sans oublier qu’il ne fait aucune référence au salaire minimum et n’accorde pas à la travailleuse domestique migrante le droit de résilier son contrat sans le consentement de son employeur. »

Dans un communiqué, Amnesty international a considéré la consultation nationale comme « une opportunité de protéger la main-d’œuvre migrante ». L’organisation a toutefois souhaité voir s’appliquer « le droit de chaque travailleuse domestique de démissionner et de changer librement d’employeur, sans pour autant perdre son permis de résidence ». Parmi ses recommandations également, « le droit des employées de maison au salaire minimum, toutes nationalités confondues », dans un souci de lutter « contre les discriminations liées à la nationalité des travailleuses étrangères ».

Pour sa part, la porte-parole de l’OIT, Zeina Mezher, a applaudi « la continuité dans la gouvernance au sein du ministère du Travail, chose essentielle lorsqu’on aspire à la réforme politique ». Dans l’attente de voir le travail domestique inclus dans le code du travail, elle observe que nombre de propositions présentées par le groupe de travail ont bien été prises en considération dans la version présentée par le ministère. « Mais certaines clauses essentielles liées au droit du travail et au système du garant doivent encore être améliorées, comme la possibilité pour la travailleuse de résilier son contrat », souligne-t-elle, insistant sur la nécessité que « le texte soit clair, pour que les travailleuses domestiques ne risquent pas d’être privées de liberté ».


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