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La trêve ou la crève ?

En des temps moins délirants, survenaient des moments où gouvernants et gouvernés convenaient tacitement d’enterrer provisoirement la hache de guerre. La trêve des confiseurs, traditionnellement instaurée à l’orée d’une année nouvelle, en était l’exemple le plus heureux, foie gras et dinde farcie, mont-blanc et pâtisseries orientales venant salutairement remplacer les piques acerbement échangées entre camps politiques.


Aux quatre coins de la Terre, c’est à des répits bien moins festifs hélas qu’appellent aujourd’hui, souvent de bonne foi, les dirigeants en place. Comme s’ils s’étaient donné le mot, ils invitent tous leurs administrés à faire bloc (autour d’eux) pour contenir, et puis vaincre, cet ennemi sournois et dévastateur qu’est le Covid-19 : et cela en commençant par se soumettre civiquement à cette consigne de confinement qui, en une saisissante pause d’écran, a figé la physionomie de notre planète. En l’espace de quelques jours, on a vu celle-ci rétrécir comme peau de chagrin. L’immense village tant célébré par les chantres de la globalisation s’est mué en une multitude de hameaux que l’on jurerait abandonnés, déserts. Les États se referment sur eux-mêmes, se recroquevillent dans leurs murs. Fruit de décennies d’efforts vers l’intégration, l’Union européenne elle-même n’échappe pas à ce phénomène de repli ; non seulement elle décide de verrouiller pour un mois l’espace Schengen, mais sont graduellement rétablies les frontières nationales : du coup se trouve gelé le système de chambres communicantes – mieux, de portes ouvertes – entre pensionnaires de la grande maison européenne…


Parce que rien ne se passe comme ailleurs au Liban, manque à l’appel cette union sacrée, impérieusement commandée pourtant par un péril qui n’épargne personne. À sa décharge, il faut admettre que le pouvoir actuel est tenu de jongler, sur la corde raide, avec ces trois énormes pastèques que sont les crises sanitaire, économique et financière que connaît, tout à la fois, le pays. C’est d’un problème de confiance, de crédibilité, que souffre cependant le jongleur ; et le plus navrant, c’est qu’il donne parfois la désastreuse impression de cultiver lui-même ce handicap, dans le même temps qu’il se dit victime d’une inique et vicieuse cabale. Ces derniers jours, et par deux fois plutôt qu’une, on a vu les hautes autorités suivre le courant en traînant la patte plutôt que d’être les premières à montrer – et imposer – la voie à suivre. Ce n’est qu’avec un impardonnable retard qu’a été édicté le bouclage des frontières aériennes, puis terrestres, un contrôle sanitaire des plus scandaleusement sommaires et expéditifs étant réservé aux voyageurs en provenance d’Iran. Sous l’effet du matraquage de pressantes recommandations opéré par les médias, la population n’a pas attendu la proclamation officielle d’une mobilisation générale pour entreprendre de se conformer à la consigne de confinement. C’est en revanche le pouvoir qui, pour se décider à prendre le taureau par les cornes, aura attendu, lui, le feu vert du Hezbollah. Pour faire bonne mesure, cet avis favorable se doublait inopinément d’un feu orange pour un recours au Fonds monétaire international, hier encore diabolisé par la milice mais humblement pressenti, soudain, par un patron iranien croulant sous les ravages du coronavirus.


C’est de la même et inhabituelle souplesse que relève, au demeurant, le non-lieu, puis l’exfiltration, dont a bénéficié, sous l’effet de vives pressions américaines, l’ancien agent israélien Fakhoury. Faute de moyens de coercition, c’est encore cette classique règle de compromis à la libanaise qui réglait, mais en partie seulement, le conflit surgi entre le ministre des Finances et les banques de la place. Et c’est toujours elle qui finira sans doute par clôturer la tartarinade du ministre de la Santé prétendant sanctionner d’une interdiction d’exercer un médecin qui avait vertement critiqué sa gestion.


L’union sacrée face à l’insidieux et mortel ennemi ? Bien sûr ; mais c’est surtout l’État qui est appelé à y mettre du sien.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

En des temps moins délirants, survenaient des moments où gouvernants et gouvernés convenaient tacitement d’enterrer provisoirement la hache de guerre. La trêve des confiseurs, traditionnellement instaurée à l’orée d’une année nouvelle, en était l’exemple le plus heureux, foie gras et dinde farcie, mont-blanc et pâtisseries orientales venant salutairement remplacer les piques...