À mesure que se rapproche l’échéance du 9 mars sur le remboursement d’une série d’eurobonds, l’inquiétude des Libanais, mais également de la communauté internationale, surtout des amis du Liban, augmente : que va décider le gouvernement Diab ? Le cabinet va annoncer sa décision samedi concernant le remboursement, ou non, de 1,2 milliard d’eurobonds– des bons du Trésor émis en dollars – arrivant à échéance lundi prochain, selon une source proche du gouvernement. « Pour le moment, nous tenons des réunions intensives avec les experts et les ministres », indique cette source à L’Orient-Le Jour. Sans vouloir préciser quelle sera la décision finale, alors que plusieurs milieux politiques laissent entendre que la décision des autorités de restructurer la dette est déjà prise, la source proche du gouvernement indique que « plusieurs options sont sur la table ». Un ancien ministre fait, pour sa part, état de divisions au sein du gouvernement, qui ont empêché jusqu’à présent d’aboutir à une position unifiée.
De son côté, une source diplomatique occidentale indique que la décision du gouvernement n’est pas encore prise et que le Premier ministre Hassane Diab n’a donné aucune indication, non pas parce qu’il cherche à cacher sa décision, mais parce que la question ne fait pas encore consensus au sein de son équipe et de ses parrains. « Nous sommes très inquiets », reconnaît cette source, selon laquelle le pire scénario serait que le gouvernement retarde la décision.
Lundi, M. Diab avait évoqué lors d’un discours devant les membres du corps consulaire qu’une décision « critique », qui « constituera un tournant majeur pour l’avenir du Liban », était en cours d’étude au sein du gouvernement et indiqué qu’il fallait s’attendre à des « décisions douloureuses ». « En toute franchise, compte tenu de la situation dans laquelle il se trouve, l’État n’est plus en mesure de protéger les Libanais et de leur assurer une vie décente », avait également reconnu le Premier ministre, un aveu d’impuissance qui avait provoqué une flambée de colère dans la rue.
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Refus catégorique de Berry
Pris entre l’enclume de la Banque centrale et des banques, et le marteau du Hezbollah, le chef du gouvernement aurait dans un premier temps penché pour le remboursement des eurobonds, avant de recevoir un message du parti chiite l’avertissant clairement qu’il était opposé à cette mesure, indiquent des sources concordantes. Actuellement, Hassane Diab serait plutôt en faveur d’une restructuration de la dette, ajoutent ces sources. Hier, le président du Parlement, Nabih Berry, dont le conseiller Ghazi Wazni est l’actuel ministre des Finances, a exprimé son opposition catégorique au remboursement des eurobonds. « La majorité du peuple libanais ainsi que le Parlement refusent catégoriquement de payer » les eurobonds, a affirmé M. Berry lors de sa réunion hebdomadaire avec les députés, selon des propos relayés par le député Ali Bazzi (Amal). Il a fait assumer aux banques la responsabilité de la crise financière actuelle. « Nous sommes en faveur de toute décision que prendra le gouvernement, sauf celle qui consisterait à payer », a-t-il ajouté.
Mais qu’il décide de faire défaut ou pas, le gouvernement devra impérativement présenter un programme économique crédible pour montrer qu’il est engagé dans des réformes et rassurer la communauté internationale. Or c’est là que le bât blesse : sans l’implication du Fonds monétaire international, il semble désormais très difficile de redresser la situation économique et financière, et le Hezbollah pour le moment y est opposé.
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La position du Hezbollah « évolue »
Le gouvernement s’est borné jusqu’à présent à demander une assistance technique au FMI, dont une mission d’urgence a été dépêchée le mois dernier à Beyrouth, mais s’est bien gardé de demander une assistance financière à cette institution. Le Hezbollah a dit clairement la semaine dernière, par la voix de son numéro deux, cheikh Naïm Kassem, qu’il refusait l’intervention du FMI. Mardi, Hassan Fadlallah, député du parti pro-iranien, a toutefois tenu des propos plus nuancés. « Nous sommes opposés aux mesures que propose généralement le FMI dans le cadre de ses plans de sauvetage (...) . Qui peut assumer la responsabilité de hausser les impôts, de vendre les biens de l’État au secteur privé, de tout privatiser et de renvoyer une grande partie des fonctionnaires ? » a déclaré le député à l’agence Reuters. « Notre position n’est pas dirigée contre le FMI en tant qu’institution financière internationale, mais contre les conditions qui seraient imposées au Liban car elles déclencheraient une révolution populaire », a-t-il ajouté.
Hier, cheikh Kassem a estimé que le Liban n’était pas « obligé de se soumettre à l’intimidation et aux pressions des Fonds internationaux et des grandes puissances », appelant le gouvernement à mettre sur pied « un plan de réformes économiques et financières exhaustif qui traite notamment en toute objectivité de la question des eurobonds ». Selon la source diplomatique occidentale, la position du Hezbollah, qui était au départ totalement hostile à l’intervention du FMI, « a évolué ». « Ils ont compris que le Liban a besoin d’une aide extérieure et il qu’il faut a minima un soutien du FMI pour obtenir une aide de l’étranger », explique cette source. Elle souligne qu’il faut éviter « un débat binaire », pour ou contre le FMI, et explique que cette institution ne peut pas imposer des mesures et qu’elle n’est pas à la solde des États-Unis comme le craint le Hezbollah.
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« Pas de chèque en blanc »
Seul un plan de réformes crédibles du gouvernement pourrait toutefois permettre au Liban d’obtenir des aides, de la part de l’Union européenne notamment. Comme l’explique la source diplomatique occidentale, « on ne veut pas que le pays coule, mais nous ne donnons pas non plus de chèque en blanc ». Une position européenne qui se démarque de l’attitude plus intransigeante des États-Unis qui ont une « lecture iranienne » de la région et regardent le Liban à travers le prisme du Hezbollah qu’ils sont déterminés à affaiblir coûte que coûte. Si les Européens se montrent déterminés à donner une chance au gouvernement Diab, les États-Unis misent sur son incapacité à sortir de la crise, selon la même source.
Quant aux pays du Golfe, ils n’ont pour le moment pas de volonté d’aider le Liban, selon une source diplomatique arabe. L’Arabie saoudite, qui considère que le pays est dans le giron iranien, l’a bien montré en refusant d’assister à la réunion des principaux soutiens internationaux du Liban à Paris, en décembre dernier, alors que les États-Unis ne sont venus qu’en raison de l’insistance de la France. Même s’ils avaient la volonté d’aider le Liban, les pays du Golfe attendraient un feu vert américain, ajoute cette même source.
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17 h 24, le 05 mars 2020