Le Parlement a finalement voté hier le budget 2020 malgré la contestation de la rue, mais surtout en dépit de l’opinion de plusieurs députés qui ont proclamé l’inconstitutionnalité de la séance législative, estimant que le gouvernement ne peut se présenter devant la Chambre des députés avant d’obtenir sa confiance. La réunion parlementaire s’est-elle donc tenue en violation de la Constitution ?
À l’instar de Samy Gemayel, chef du parti Kataëb, qui avait affirmé la veille que le cabinet n’a pas le droit d’adopter le budget tant qu’il n’a pas obtenu la confiance du Parlement, Samir Jisr, député du courant du Futur, premier à prendre la parole hier, a affirmé que la « séance est inconstitutionnelle » pour les mêmes raisons.
Répliquant à M. Jisr, le chef du législatif, Nabih Berry, a indiqué que la Chambre des députés « a un droit absolu de légiférer », soulignant que « la Chambre se réunit actuellement dans le cadre de sa session ordinaire qui s’est ouverte le premier mardi après le 15 octobre et doit consacrer ses séances à la discussion et au vote du budget, toutes affaires cessantes ». Concernant les prérogatives du nouveau gouvernement, M. Berry a affirmé qu’« il est de coutume que soit transférée au gouvernement désigné l’expédition des affaires courantes dont avait la charge le gouvernement sortant ». Cela, a-t-il dit, « conformément au principe de continuité ».
Continuité
Interrogé par L’Orient-Le Jour, l’ancien député Salah Honein semble rejoindre l’avis du chef du législatif. Affirmant qu’« un des principes constitutionnels de base est d’assurer la continuité du travail étatique et non de l’interrompre », il note que « l’action gouvernementale et la responsabilité de l’exercice du pouvoir représentent une continuité ». En l’espèce, « comme le gouvernement précédent avait envoyé avant sa démission le projet du budget au Parlement, celui-ci a le droit, voire l’obligation de discuter et voter le budget en question, avant de se pencher sur tout autre point ».
M. Honein évoque par ailleurs le système de séparation des pouvoirs pour souligner que « le Parlement est souverain et peut donc légiférer seul ». Étayant ses arguments, il note que lorsqu’un gouvernement démissionne, la Constitution prévoit que la Chambre des députés devient de plein droit en session extraordinaire jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement et l’obtention de la confiance.
Autrement dit, « le Parlement a le droit de légiférer avant d’accorder sa confiance », estime-t-il, soulignant que « ce n’est pas parce qu’un gouvernement est paralysé que l’action du Parlement doit également être gelée ».
(Lire aussi : Un danger et un double défi, l’édito de Michel TOUMA)
Contre-avis
Tel n’est pas l’avis de Rizk Zgheib, avocat et maître de conférences à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, qui affirme que la Chambre ne peut pas voter un projet de budget en présence d’un gouvernement n’ayant pas obtenu sa confiance, et que celui-ci « ne peut ni accepter ce projet ni le récupérer ».
« La séance parlementaire s’étant tenue en l’absence d’un gouvernement qui jouit d’une pleine capacité, elle est considérée comme inconstitutionnelle », tranche-t-il, soulignant que dans ces conditions, « d’une part le Parlement ne peut légiférer, et d’autre part l’équipe ministérielle ne peut ni prendre la parole ni prendre position ». « C’est d’ailleurs pour limiter les dégâts que seul le chef du gouvernement, Hassane Diab, a comparu devant la Chambre », fait-il observer.
À la question de savoir si les circonstances exceptionnelles que traverse le pays ne justifient pas qu’un vote du budget ait lieu, M. Zgheib répond par la négative. « La Chambre peut légiférer seulement lorsque la continuité des pouvoirs publics est menacée, c’est-à-dire lorsque les institutions risquent la vacuité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Tout autre motif avancé serait une appréciation purement politique, sans fondement juridique. »
Quelle serait donc la solution ? « En attendant d’accorder sa confiance, le Parlement peut trouver un palliatif, comme adopter le principe du douzième provisoire pour les dépenses et les prélèvements d’impôts », suggère le spécialiste.
Recours auprès du CC
Antoine Sfeir, avocat constitutionnaliste, qualifie lui aussi d’inconstitutionnelle la séance, se basant sur « le positionnement constitutionnel du gouvernement qui n’a pas encore la confiance du Parlement ». Contrairement à M. Berry, il estime que le cabinet ne peut expédier les affaires courantes et pourra le faire seulement s’il fait l’objet d’un vote de défiance de la part du Parlement. À son avis, dans sa situation actuelle, « le gouvernement n’est pas responsable devant la Chambre puisqu’il n’a pas sa confiance ». « Le Parlement aurait dû se réunir en assemblée plénière afin de voter la confiance et donner à ce gouvernement un titre constitutionnel pour qu’il se présente à lui », affirme M. Sfeir, qui prévoit qu’« au moins dix députés » pourraient présenter auprès du Conseil constitutionnel (CC) une requête pour inconstitutionnalité de la séance, dont se sont absentés 55 députés, « et donc du vote du budget ».
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Zasypkine : Il faut donner une chance au nouveau gouvernement
Violer la constitution!? Walaw! On l'a même assassiné à cette constitution! De plus ils ont voter un budget et que certains célèbrent comme si on celebrait l'achat d'une voiture volée, avec carosserie impeccable mais sans moteur et sans transmission!! Enjoy!!
18 h 38, le 28 janvier 2020