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Politique - Violences

« Que vont raconter les militaires à leurs familles en rentrant chez eux ? »

Les contestataires devant les entrées menant au Parlement constatent depuis quelques jours une brutalité accrue de la part des forces de l’ordre. Hier, plusieurs femmes ont même été battues.

Des militaires transportant de force une manifestante. Joseph Eid/AFP

Les appels lancés au cours du week-end sur les réseaux sociaux pour descendre massivement dans la rue afin d’empêcher la tenue de la séance parlementaire consacrée au vote du budget de l’État pour l’exercice 2020 n’a pas porté ses fruits. Hier, vers 10 heures, les contestataires affluaient encore de manière timide vers le centre-ville de Beyrouth, où les forces de l’ordre étaient déployées de manière impressionnante.

Le centre-ville ressemble à une forteresse avec les murs et les barricades érigés au cours des dernières semaines pour empêcher les manifestants de se rapprocher de la place de l’Étoile. La rue Weygand est complètement fermée à la circulation, des blocs de béton et des barbelés ayant été installés à l’entrée, entre l’hôtel Le Gray et l’immeuble d’an-Nahar. Une brigade des forces antiémeute et une autre des Forces de sécurité intérieure sont à l’affût.

« L’attitude des forces de l’ordre envers les manifestants a clairement changé » depuis le début du mouvement de contestation le 17 octobre, lance Danièle, venue de Mtayleb avec son amie qui habite Kornet Chehwane. « Nous sentons qu’ils n’ont plus d’empathie envers nous », poursuit cette habituée des protestations.

À l’instar des dizaines de manifestants, Danièle confie « s’opposer à la tenue de cette séance parlementaire ». Arrivée à 9h30, elle observe de loin le face-à-face entre des contestataires et les forces de l’ordre. Les protestataires essaient de foncer sur les fils barbelés avant de lancer des pierres en direction des policiers, qui ont réussi à les chasser du côté de Saïfi.

« Je suis venue pour maintenir l’esprit de la thaoura, ajoute Danièle. Est-ce que cela va servir à quelque chose ? Je ne sais pas. Je veux rester optimiste, mais je suis réaliste aussi. La décision n’est, finalement, pas entre nos mains. Mais manifester, aujourd’hui, est un devoir citoyen tout comme le vote, qui est un devoir électoral. »

Plus loin, Rana regarde la scène, tout en tirant sur sa cigarette. « En toute confiance, le Premier ministre (Hassane Diab) qui n’a pas encore obtenu la confiance est venu au Parlement discuter d’un budget qui a été rejeté par le peuple, s’indigne-t-elle. Cela fait plus de cent jours que nous sommes dans les rues à réclamer un gouvernement indépendant de toute la classe actuelle qui nous a mis dans le pétrin. Mais on nous amène un chef du gouvernement qui n’est autre qu’un ancien ministre d’un cabinet (de Nagib Mikati) qui a mené à la crise (des déchets) en 2015 et qui n’a eu absolument aucun exploit dans un secteur essentiel, à savoir l’éducation. » Elle tire une bouffée de sa cigarette et continue sur sa lancée : « Plus encore, il a mis 34 jours pour former un gouvernement monochrome. C’est vous dire l’harmonie qu’il y aura ! Sans oublier bien sûr la répression dont font preuve les forces de l’ordre depuis la formation de ce gouvernement. Ils battent les manifestants sans retenue. Ils les interpellent. Aujourd’hui, plus que jamais, les forces de l’ordre sont décidées à ne pas laisser les gens manifester. »

« Une violence sans précédent »

Les contestataires étaient répartis hier sur plusieurs entrées menant à la place de l’Étoile. Du côté de la place des Martyrs, nombre d’entre eux ont essayé vainement d’emprunter la rue allant vers l’avenue Chafic Wazzan. Ils ont été confrontés à des militaires qui les ont obligés à rebrousser chemin. Le passage n’a été rouvert que lorsque le quorum a été atteint et que la séance plénière a débuté.

À l’entrée de la rue Foch du côté du littoral, devant la Fransabank, les dizaines de manifestants sont divisés de part et d’autre de la rue fortement barricadée par les forces de l’ordre. La colère se lit sur les visages. Et pour cause. Des confrontations ont eu lieu entre « des femmes assises pacifiquement par terre » et les militaires. « La violence dont nous témoignons de jour en jour, notamment envers les femmes, est sans précédent », dénonce Farid.

Christelle et Hiba ont toutes deux reçu des coups. « Nous étions assises pacifiquement sur le trottoir, mais des militaires nous ont sommées de partir, raconte Christelle. Apparemment, ils ont reçu des ordres, parce que deux brigades des commandos nous ont attaquées pour que deux voitures aux vitres fumées puissent passer. » Les deux jeunes femmes racontent qu’un homme a été battu sur la tête, que des femmes « de l’âge de notre mère » ont reçu des coups et que les femmes ont été traînées par terre sous des flots de jurons. Un homme signale qu’« on a même ôté le voile d’une femme ».

Ghiwa, qui ne quitte pas la rue depuis le premier jour du soulèvement, se veut optimiste. « Le peuple va finir par avoir gain de cause, mais cela va prendre du temps parce que l’armée n’est pas encore avec nous, assure-t-elle. Mais je me demande ce que les militaires qui ont frappé les femmes vont raconter le soir à leurs familles. Est-ce qu’ils vont leur dire qu’ils ont battu une femme qui réclamait pacifiquement ses droits et les leurs ? Ils veulent que leurs fils apprennent dans les manuels d’histoire qu’ils ont été agressifs envers le peuple qui manifestait calmement ? »

L’information concernant l’ouverture de la séance plénière est annoncée. Une grande déception se lit sur tous les visages. Ziad et Nour sont assis par terre. « Notre devoir est de rester dans la rue, martèle le jeune homme. J’en veux à tous ceux qui sont restés chez eux. » Nour ne mâche pas ses mots, encore moins les insultes proférées contre les politiciens. « Tout ce qu’ils font est anticonstitutionnel, lâche-t-elle. Ils le font parce qu’ils sont des couards ! Lorsqu’un chat est enfermé dans un coin, il attaque et griffe, mais il finira par mourir. »

Une nouvelle manifestation a eu lieu en fin d’après-midi, avec des dizaines de personnes qui ont marché de la Banque du Liban vers le Parlement, appelant à la mise en place d’un plan de sauvetage global et au rééchelonnement de la dette publique.

Les appels lancés au cours du week-end sur les réseaux sociaux pour descendre massivement dans la rue afin d’empêcher la tenue de la séance parlementaire consacrée au vote du budget de l’État pour l’exercice 2020 n’a pas porté ses fruits. Hier, vers 10 heures, les contestataires affluaient encore de manière timide vers le centre-ville de Beyrouth, où les forces de l’ordre...

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