Le Parlement libanais a adopté jeudi matin une loi qui proroge, pour une année supplémentaire, les mandats des conseils municipaux et des moukhtars, selon des informations de notre correspondante Hoda Chedid. Le texte, une proposition du député Jihad Samad, a été adopté sans amendement et les mandats seront donc prorogés, comme cela avait été prévu, jusqu'en mai 2025. Les élections municipales ont été reportées à deux reprises ces dernières années, en raison de problèmes de financement. Le dernier report remonte à avril 2023. Le vote s'est fait à la faveur de 70 voix (sur 74 députés présents). Ceux-ci relèvent principalement des blocs parlementaires du tandem chiite Amal-Hezbollah et de leurs alliés, mais aussi du Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil.
La nouvelle loi, que L'Orient-Le Jour a pu consulter, prévoit donc l'extension des mandats des conseils municipaux jusqu'au 31 mai 2025 maximum. Pour motiver sa démarche, Jihad Samad explique qu'il est « clair que le scrutin (initialement prévu au cours du mois de mai 2024) intervient dans « des circonstances politiques, sécuritaires et militaires complexes en raison de l'agression israélienne contre le Liban-Sud et la Békaa ». « Le report du scrutin pour une durée d'un an maximum est à même d'éviter le vide au niveau des conseils municipaux et préserver les intérêts des citoyens », ajoute le texte.
La séance s'est tenue en l'absence des députés de l'opposition (les Forces libanaises, les Kataëb, le bloc du Renouveau du député réformiste de Zghorta, Michel Moawad), et après le départ de l'hémicycle d'autres membres du Parlement. Il s'agit notamment des députés issus de la contestation Najat Saliba, Paula Yaacoubian, Yassine Jaber, Ibrahim Mneimné, Firas Hamdane et Melhem Khalaf, qui ont collectivement annoncé leur retrait de la session, citant son caractère « anticonstitutionnel » en l'absence d'un président en exercice, et leur « solidarité avec les habitants du Sud ».
Maoulaoui « veut donner l'impression de se conformer à la loi »
De sources parlementaires, on apprend qu'une bonne proportion de députés présents jeudi à l'hémicycle ont formulé des remarques accusant le ministre sortant de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, de ne pas pouvoir organiser le scrutin. « Il n'en finit pas de nous dire qu'il est prêt alors qu'il n'a même pas tenu de réunions avec les Mouhafez et les chefs d'appareils de sécurité à cet effet », ironise un député, déplorant le fait que M. Maoulaoui « veut donner l'impression de se conformer à la loi et que la Chambre ne le fait pas ».
De son côté, le Rassemblement démocratique, affilié au Parti socialiste progressiste (PSP), s'est rendu dans l'hémicycle. « Nous sommes pour toute démarche à même d'assurer le bon fonctionnement des institutions », a expliqué à L'Orient-Le Jour Hadi Abou el-Hosn. Mais ce n'est pas la seule raison derrière la décision du PSP qui s'est rendu au Parlement sans son chef, Taymour Joumblatt. « Il y a aussi, et surtout, la guerre en cours au Liban-Sud, ainsi que les craintes quant à d'éventuelles élections municipales qui n'assureraient pas l'équilibre (confessionnel) au sein du conseil municipal de Beyrouth », indique M. Aboul Hosn, faisant valoir que seul le numéro deux de la Chambre, Elias Bou Saab, a voté en faveur d'une proposition joumblattiste visant à proroger les mandats des municipalités de quelques mois seulement, jusqu'au 30 septembre 2024. « La Chambre a estimé qu'il s'agit d'une proposition qui ne sera pas applicable au vu des circonstances difficiles que le pays traverse actuellement », commente un parlementaire sous couvert d'anonymat. Marwan Hamadé, député joumblattiste du Chouf, et membre du bureau de la Chambre, explique à L'Orient-Le Jour que son groupe a surtout accepté de voter en faveur de la prorogation parce que celle-ci s'applique aussi aux moukhtars « dont les Libanais ont besoin dans toutes leurs formalités officielles, notamment celles liées au statut personnel ». « C'est donc à contre-coeur que nous avons voté la prorogation », a-t-il dit, soulignant que la priorité des gens est ailleurs.
Les six députés de la Modération nationale (majoritairement sunnites anciens haririens) se sont, eux, abstenus de voter. « Nous avons pris part à la réunion à la faveur de notre engagement à ne pas boycotter les séances législatives », affirme Ahmad Rustom, membre du groupe, faisant valoir que son bloc « est conscient qu'il est impossible de tenir le scrutin dans les circonstances actuelles ». « Mais nous n'avons pas voulu nous opposer à la volonté de la majorité des protagonistes », dit-il comme pour justifier la « solution médiane » pour laquelle la Modération a opté.
« Pas d'atmosphère propice »
S'exprimant à la fin de la réunion, le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, a justifié la participation de son groupe à la session - alors qu'il a boycotté d'autres réunions législatives en affirmant qu'elles n'étaient pas constitutionnelles en l'absence d'un président. « Nous étions confrontés à deux options, soit la vacance (des conseils municipaux), soit des élections qui n'auraient de toute façon pas eu lieu », a-t-il déclaré, selon des propos rapportés par l'Ani. « Nous ne pouvons pas tenir le ministre (sortant) de l'Intérieur entièrement responsable (de l'absence d'élections) parce qu'il considère qu'il n'y a pas d'atmosphère propice dans le pays ». Il a en outre assuré qu'avant de prendre la décision d'assister à la session et de voter en faveur de la prorogation, le CPL « s'est assuré que les paiements n'avaient pas été décaissés et que les listes électorales n'avaient pas été finalisées ».
Une allocation de 10 millions de dollars a été dédiée aux élections dans le budget 2024, mais des défis importants subsistaient, concernant notamment le personnel à mobiliser pour le scrutin, la préparation des bureaux de vote, le déploiement sécuritaire et la situation au Liban-Sud. À ces facteurs s'ajoute une certaine réticence politique face au scrutin, notamment de la part du CPL et du Hezbollah.
Réagissant de son côté à ce nouveau report, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea a déclaré que « le camp de la moumanaa (mené par le Hezbollah, NDLR) et le Courant patriotique libre, ont poignardé, une nouvelle fois, la démocratie au Liban, en privant les gens de leur droit à choisir leurs représentants » . « Les prétextes infondés que (ce camp) a présentés ne tiennent pas », a-t-il ajouté, dans un message sur son compte X. Samir Geagea a en outre rappelé que le ministre sortant de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a affirmé à plusieurs reprises qu'il était disposé à organiser la consultation populaire. « Mais la moumanaa et le CPL insistent pour affirmer le contraire », a-t-il déploré. « Ils ne veulent pas d'élections qui dévoileraient leur faiblesse au niveau populaire », a estimé le leader des FL, sans faire mention d'un éventuel recours en invalidation que son parti compterait présenter devant le Conseil constitutionnel, en coordination avec le reste des composantes de l'opposition, comme l'avait annoncé mercredi Georges Okais, député FL de Zahlé.
Sit-in
Par ailleurs, la Chambre a adopté le second point à l'ordre du jour, une loi qui concerne le statut administratif de nouveaux employés de la Défense civile. Ces derniers étaient restés plusieurs mois sans salaire, en raison du flou entourant la catégorie de fonctionnaires à laquelle ils devaient être rattachés après leur embauche en août dernier.
En outre, des membres de familles des victimes du 4 août ont manifesté avant la séance devant le Parlement, au niveau de la rue longeant la municipalité de Beyrouth, pour réclamer une loi assimilant les blessés dans la double explosion au port de Beyrouth à des « blessés de l'armée », ce qui leur permettrait de bénéficier d'avantages financiers. Ces manifestants, qui appartiennent au groupe mené par Ibrahim Hoteit, qui s'était séparé des autres familles pour des raisons principalement politiques liées au suivi de l'enquête, ont brièvement bloqué la circulation et distribué des tracts à l'intérieur et à l'extérieur du Parlement, menaçant d'escalade et de « prendre d'assaut le Parlement si la loi protégeant les blessés n'est pas promulguée », selon l'Ani.
Les plus commentés
Quand Netanyahu invite les Libanais à s'entre-tuer
Le Liban de demain : Joumblatt ouvre le bal
Guerre au Liban : posez vos questions à notre co-rédacteur en chef, Anthony Samrani