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La loi des parrains

Du nouveau gouvernement qui n’en finit pas de venir au monde, on peut d’ores et déjà préjuger qu’il sera en butte à une grave malformation congénitale.


Le plus paradoxal est que cette équipe ne manque guère de réels spécialistes. Le plus navrant, par contre, est l’injustice faite à plus d’une de ces mêmes compétences, dès lors qu’on les soumet aux fourches caudines des parrainages partisans. Rien qu’en avançant leurs noms, les blocs politiques ont malignement voulu leur imprimer un inesthétique tatouage, leur coller un embarrassant label d’origine contrôlée, cela pour bien montrer que par-delà leurs sempiternelles luttes d’influence ils demeurent, tous ensemble, maîtres du jeu. Officiellement retirées du devant de la scène, ces forces se réservent ainsi toute latitude de gouverner par télécommande. Et vlan pour la volonté populaire, qui réclame précisément un grand coup de balai et l’avènement de technocrates absolument indépendants !


Si l’attribution de certains portefeuilles se justifie parfaitement par l’irréprochable parcours de leurs détenteurs ou détentrices, plus d’une de ces promotions est effarante de naïveté – et même de stupidité – dans la duperie. Éloquente, à simple titre d’exemple, est celle du nouveau ministre de l’Énergie, docteur en génie électrique qui accumule diplômes, références académiques et rapports d’expertise de belle facture ; l’une de ses recherches porte fort opportunément, d’ailleurs, sur les moyens de lutter contre la fraude et d’améliorer ainsi les recettes d’Électricité du Liban. Entre autres titres, Raymond Ghajar possède cependant celui de conseiller du ministre de l’Énergie : domaine où s’est tristement illustré, des années durant, le chef du parti présidentiel, Gebran Bassil. Au vu de sa désastreuse gestion, il faut croire que ce dernier ne s’est jamais trop soucié du moindre enseignement, s’il en fut. Au coup par coup, deux de ses anciens conseillers ont hérité de la dignité ministérielle ; et comme tout vient à qui sait attendre, voilà qu’un troisième habitué de la maison décroche à son tour la timbale. C’est dire qu’en dépit des promesses officielles de réforme et de transparence, la lumière ne semble pas près d’être faite de sitôt sur les criantes irrégularités et arnaques entourant un secteur essentiel, aussi scandaleusement avare de prestations et qui engloutit néanmoins une part majeure des ressources publiques…


Mais tous ces mauvais tours de passe-passe ne procèdent-ils pas au fond de l’aberrante manière dont est formé tout gouvernement dans notre pays ? La règle des cabinets d’unité a longtemps fait oublier l’élémentaire notion démocratique de majorité au pouvoir et de minorité dans l’opposition. Même les équipes de coalition ne voient le jour que sur la base d’un partage âprement marchandé du gâteau ministériel avec, bien entendu, tous les avantages matériels, pour ne pas dire mafieux, qui en découlent. Priorité est ainsi donnée à l’assemblage des pièces hétéroclites du puzzle, jamais à l’élaboration d’un plan d’action commun, d’une plateforme engageant conjointement et solidairement les coalisés potentiels. Ce n’est qu’une fois mis en place que ces cocktails de gouvernement se mettent enfin à la recherche d’un programme, généralement rédigé dans la plus pure langue de bois et ouvrant donc la porte aux discussions sans fin, au blocage, à la paralysie de l’exécutif. C’est de ces mêmes et folkloriques tares qu’est frappé, comme ceux qui l’ont précédé, le gouvernement projeté de Hassane Diab. À quelques heures seulement de sa naissance annoncée, il était à nouveau en proie, hier, aux disputes de chiffonniers. Et pour ne rien changer, on ne sait toujours rien de ses options face à la crise politique, financière et socioéconomique la plus aiguë que le pays ait jamais connue.


Mais n’est-il pas temps pour la révolution, dont le verdict sera en tous points décisif, de se doter, elle aussi, d’un programme; de fédérer autour d’un même paquet de revendications les diverses déclinaisons du ras-le-bol, de la colère, des légitimes aspirations des citoyens ?


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Du nouveau gouvernement qui n’en finit pas de venir au monde, on peut d’ores et déjà préjuger qu’il sera en butte à une grave malformation congénitale. Le plus paradoxal est que cette équipe ne manque guère de réels spécialistes. Le plus navrant, par contre, est l’injustice faite à plus d’une de ces mêmes compétences, dès lors qu’on les soumet aux fourches caudines des...