Cette fameuse soirée de mardi où la manifestation devant la Banque du Liban a dégénéré, et les banques de la rue Hamra ont été saccagées, plus d’une cinquantaine de jeunes gens ont été arrêtés manu militari par les forces de l’ordre. Bousculés, menottés, battus et insultés pour certains, ils ont été transférés à la caserne Hélou à Beyrouth, pour y être coffrés entre 24 et 36 heures, serrés comme des sardines dans une étroite pièce qui ne comptait qu’une dizaine de matelas, avec des toilettes d’une saleté repoussante, et sans avoir le droit de prévenir leurs familles. Parmi eux, un bon nombre de contestataires pacifiques, dont quelques mineurs, mais aussi des personnes qui n’avaient rien à voir avec la révolte populaire, comme ce touriste syrien qui arrivait à l’hôtel en taxi. À travers le récit de trois détenus, libérés à une douzaine d’heures d’intervalle (mercredi dans la nuit et jeudi), transparaît une affaire de violences policières ponctuées d’intimidations, de harcèlement, d’insultes et de menaces à peine voilées. Comme pour rappeler que le respect des droits de l’homme n’a jamais été le fort d’un pouvoir qui persiste à recourir aux arrestations arbitraires, à user de la répression comme moyen de dissuasion et à pratiquer encore la torture dans ses centres d’arrestation. Et ce alors que le droit des manifestants de se réunir pacifiquement et d’exprimer leurs opinions est consacré par l’article 13 de la Constitution libanaise. Et que la Commission nationale de prévention contre la torture a prêté serment devant le chef de l’État en juillet dernier. Seul baume au cœur des détenus, la grande mobilisation du comité d’avocats proches de la contestation populaire qui leur a permis de toujours garder l’espoir d’une libération rapide.
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« Coupable jusqu’à preuve du contraire »
Waël* a tout juste 19 ans. Il est encore sonné par ce qu’il vient de vivre. Mais il s’« adapte », comme il le dit, même si « ça n’a pas été facile ». Cet étudiant acquis à la révolte populaire se trouvait ce mardi soir à Hamra non loin de la BDL, pour « voir comment les choses se déroulaient ». Le jeune homme évoque la montée de la violence entre forces de l’ordre et manifestants : jets de pierres, gaz lacrymogènes, courses-poursuites… Non loin de lui, des grenades lacrymogènes explosent. « Je tentais de les neutraliser avec de l’eau », souligne-t-il, précisant qu’il se tenait debout du côté des forces de l’ordre. Attrapé par un policier, le jeune homme crie son innocence. En vain. Les forces de l’ordre l’entraînent dans le fourgon de police avec un groupe de jeunes. C’est là qu’il reçoit les premiers coups. « Dans le fourgon, on nous ordonne de nous mettre à genoux, la tête par terre, poursuit-il. C’est alors qu’un responsable s’acharne sur nous. Il nous bat et nous insulte, sans retenue, pendant une bonne dizaine de minutes. » Transporté à la caserne Hélou, Waël est identifié à l’entrée, ses effets personnels confisqués. « Je n’ai eu droit ni à un avocat ni à un coup de fil », accuse-t-il. Ce n’est que le lendemain soir qu’il est autorisé à parler avec sa famille, pour une minute.
D’autres n’ont pas eu cette chance. « Nous étions une cinquantaine dans une étroite cellule comprenant dix matelas, sans possibilité de nous allonger », poursuit l’étudiant. Il garde toutefois son calme et tente de rassurer les quelques mineurs anxieux, dont un de 15 ans. Mais après son transfert pour les besoins de l’enquête dans un lieu qu’il n’a pas identifié, il raconte le harcèlement moral dont lui et les détenus ont été victimes. « On nous a menacés d’entacher notre casier judiciaire si nous manifestions encore, de nous interdire de quitter le pays et de poursuivre nos études », dénonce-t-il, inquiet. Waël se dit néanmoins « confiant, car innocent ». Il a toutefois pris conscience qu’au Liban, l’on est « considéré coupable jusqu’à preuve du contraire ». Libéré au bout de 36 heures, son téléphone confisqué, le jeune homme dort beaucoup. « Je suis épuisé, physiquement et moralement », lâche-t-il.
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« Esprit revanchard »
Moustapha Dandach, 37 ans, et G.S, 34 ans, se trouvaient, eux, au café T-Marbouta, célèbre pour son engagement en faveur de la révolution. Ils étaient attablés « depuis une bonne heure, après avoir manifesté pacifiquement dans le secteur de la BDL », quand les forces de l’ordre ont débarqué dans le café, racontent ces contestataires, un ingénieur et un musicien. Les agents ont alors insisté pour vérifier l’identité des clients, tandis que le patron s’insurgeait. « Il y avait au moins quatre différents services des FSI, raconte G.S. Face à notre refus d’obtempérer, ils n’ont pas hésité à recourir à la violence, ont bousculé certains d’entre nous sans ménagement. » Une dizaine de jeunes sont interpellés dans ce café, au même moment. « Parmi eux, un ressortissant syrien qui venait d’arriver à l’hôtel et qui sortait tout juste de son taxi. » Menottés, poussés dans le bus, les jeunes gens soulignent « l’esprit revanchard » des forces de l’ordre, « les insultes qui fusent » et cette « volonté d’arrêter à tout prix, même les personnes étrangères au mouvement de contestation ». « Nous n’avons pas répondu, pour éviter d’être battus », affirme G.S. Moustapha observe toutefois deux courants divergents au sein des FSI. « Ceux qui usent de la violence et les autres, qui compatissent, car après tout, ils font partie du peuple », note-t-il.
À la caserne Hélou, où ils constatent la surpopulation et la saleté repoussante des lieux, les deux militants réalisent qu’ils n’ont pas le droit de contacter leurs proches. Des avocats membres du comité de soutien aux manifestants s’en chargeront. C’est grâce à eux que tous les détenus seront donc identifiés et leurs proches contactés. Et qu’ils recevront le lendemain de la nourriture qu’ils se partageront. « Cela nous a rassurés. Nous avons réalisé que nous étions soutenus », disent-ils, d’autant qu’ils entendent, venant de l’extérieur, le bruit des pétards et des bombes lacrymogènes. Mais alors que les nombreux détenus discutent dans la cellule, un officier leur demande de baisser le ton, en les insultant. « Il nous a menacés de nous dévoiler “sa face cachée” », raconte Moustapha. Lors des interrogatoires, les détenus sont aussi poussés à révéler le mot de passe de leur téléphone et à signer un engagement à ne plus manifester. Certains, sous pression, se plieront à ces consignes, d’autres non. « La grande majorité des militants ne connaissent pas leurs droits », déplore Moustapha. Il sait pertinemment que lui et tous ses camarades de détention sont encore sous enquête, même après avoir été libérés, et vont devoir changer leur puce téléphonique et même leur portable, de peur d’être constamment surveillés.
*Le prénom a été modifié.
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commentaires (8)
JE COMMENCE A PENSER QU'IL EST TEMPS D'EXIGER DE LA POLICE ET DE L'ARMEE DE RENDRE DES COMPTES PUBLIQUES SUR CERTAINS AGISSEMENTS DE CERTAINS DE SES MEMBRES PROTEGER CERTAINS MANIFESTANTS MAIS MEURTRIR DE COUPS D'AUTRES N'EST PASS DIGNE D'UNE ARMEE OU D'UNE POLICE. SOIT VOUS TRAITEZ TOUS LES LIBANAIS DE TOUTES CONFESSIONS A L'IDENTIQUE OU VOUS TRAHISSEZ VOTRE SERMENT DE FIDELITE A L'ETAT LIBANAIS LE CHOIX EST CLAIR LIBAN D'ABORD, RELIGION BIEN LOIN DERRIERE
LA VERITE
16 h 02, le 18 janvier 2020