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Politique - Reportage

À Hamra, au lendemain du saccage, les banques se barricadent

Dans la rue, certains saluent « le passage de la contestation populaire à une étape supérieure », d’autres désapprouvent « des violences qui ne ressemblent en rien à la révolution du 17 octobre ».

Le Crédit libanais a perdu toutes ses devantures. Photo A.-M.H.

Bloqués dans les embouteillages, pare-choc contre pare-choc, les automobilistes se défoulent sur leurs klaxons. Aux terrasses des cafés, la clientèle est attablée, profitant du soleil. Les commerces sont ouverts, prêts pour une nouvelle journée de soldes ; les acheteurs, eux, sont rares. Nous sommes dans l’une des artères les plus animées de la capitale libanaise. Sauf que la rue Hamra émerge lentement du cauchemar qu’elle a vécu la veille : le saccage des banques par les manifestants, mardi soir, lors d’une manifestation devant la Banque du Liban qui a dégénéré. Des portes d’entrée, des devantures, des caméras de surveillance, des distributeurs de billets détruits... Un saccage d’une ampleur telle qu’il a touché la quasi-totalité des agences bancaires installées dans le secteur et ses environs, à quelques exceptions près. Les vitres du ministère du Tourisme sont aussi brisées. Et sur les trottoirs, des poteaux arrachés ici ou là.


« On sentait la chose venir »
Alors, ce mercredi matin à 10 heures, on balaie encore les débris de vitres, on prend les mesures des devantures, on remplace les ATM détruits par des machines toutes neuves. On répare ce qui peut l’être, tout en se préparant pour un éventuel épisode de violences. Le Crédit libanais est particulièrement touché. Toutes ses vitres gisent sur le sol, façon puzzle. Les dégâts sont importants à Bank of Beirut et la SGBL.

Dans ce contexte, certains établissements se barricadent carrément, à l’instar de la Banque du Liban qui est désormais protégée par des murs de béton et des barbelés. D’autres ont ouvert leurs portes à une rare clientèle. Les baies vitrées sont protégées par des panneaux en contreplaqué, des plaques en métal ou de simples films adhésifs protecteurs. Certains prévoient, aussi, des issues de secours pour extraire les employés en cas d’incidents. Depuis que la colère de la contestation populaire se focalise sur la BDL et sur le secteur bancaire dans son ensemble, on sait que les débordements de la veille peuvent se reproduire à tout moment.

Les responsables des banques gardent le silence dans leur majorité, se contentant de hocher la tête en signe de réprobation. « On sentait la chose venir. La tension était si forte. Dieu nous préserve ! » laisse toutefois échapper une employée du secteur, inquiète. Même inquiétude de la part du sous-directeur d’agence de la First National Bank, Joseph Abi Abboud, qui invite les autorités à « réglementer les retraits et les virements pour instaurer au moins la sécurité financière car les banques n’arrivent plus à répondre aux attentes de la clientèle ».

Dans la rue, tout tourne autour des débordements de la veille. Pendant que les ouvriers s’appliquent à la tâche, habitants, badauds et commerçants passent et repassent, soucieux de constater l’évolution des travaux et d’immortaliser les dégâts avec leurs téléphones portables. Certains saluent « le passage de la contestation populaire à une étape supérieure ». D’autres désapprouvent, dénonçant « l’implication d’une cinquième colonne (d’éléments proches du tandem chiite Hezbollah-Amal) dans ces violences qui ne ressemblent en rien à la révolution du 17 octobre ». Un vieil homme accuse d’abord « les Juifs » d’avoir fomenté toute cette histoire. Revenant sur ses pas, il gronde : « Si j’étais commerçant, je leur aurais tiré dessus car il s’agit de légitime défense. » Sauf que, rappelons-le, aucun commerce n’a été visé par les manifestants.



(Lire aussi : Les partisans d’Amal et du Hezbollah ont-ils joué un rôle dans les incidents de Hamra ?)



Les pour et les contre
Tout en évaluant les dégâts, Ibrahim et son épouse ne peuvent s’empêcher de s’attaquer au pouvoir. « Tout cela, c’est la faute de l’État qui n’assure rien à sa population, ni eau, ni électricité, ni droits… » assurent-ils. « Celui qui a faim et qui souffre va forcément recourir à la violence et au saccage », ajoutent-ils, observant que c’est bien « le seul moyen de pression pour la formation d’un gouvernement d’indépendants ». Leila, une dame âgée, ne peut cacher sa colère. Une colère sourde contre la contestation populaire dans son ensemble qu’elle accuse de n’avoir pas fait assez. « Ils avaient bien crié leur volonté de faire chuter toute la classe politique. Or, ils ont laissé en place le président, le chef du Parlement et le Parlement. Et voilà où nous en sommes », déplore-t-elle, se disant dégoûtée de la classe au pouvoir. Quelques mètres plus loin, une femme s’insurge également devant sa banque fermée. Elle aurait voulu que la révolte maintienne son caractère pacifique. Sophia, une universitaire expatriée, regrette, elle, que les Libanais s’en prennent aux banques et contribuent à l’exacerbation de la crise en retirant leurs dollars.

Les automobilistes sont aussi de la partie, critiquant la révolution ou, au contraire, faisant part de leur compréhension. « Quoi de plus normal lorsque les banques vous donnent votre argent au compte-gouttes ? » lance un chauffeur de taxi en passant devant la vitrine défoncée d’une banque.



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À qui profite le crime ?
De leur côté, deux commerçants de vêtements à bas prix se demandent à qui profite le crime. « Si les banques ferment, qui est gagnant ? » se demande l’un d’eux. Car c’est bien la question que tout un chacun se pose depuis que certains médias ont accusé des éléments proches du tandem chiite d’avoir infiltré la manifestation, mardi soir, devant la BDL et d’être responsables de la casse de grande ampleur dans le secteur de Hamra. Les deux partis ont démenti toute implication, mais des accusations fusent quand même, alors que le Hezbollah dénonce la politique proaméricaine du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, plus particulièrement depuis la liquidation de Jammal Trust Bank, une banque accusée par le Trésor américain de « faciliter les activités bancaires du Hezbollah ». Et pour conforter cette hypothèse sur sa page Facebook, un groupe de Khandak el-Ghamiq, proche du mouvement Amal (du président du Parlement, Nabih Berry), raconte qu’un groupe de jeunes de ce quartier majoritairement chiite « s’est dirigé mardi soir vers la BDL ».

Du côté de la contestation populaire, la version diffère. On assure que « la révolution est passée à la vitesse supérieure », même si « la violence ne fait pas l’unanimité » au sein des mouvements de rue. Chams, employé et étudiant, qui se trouvait mardi soir devant la BDL, était aux côtés de ces contestataires qui ont sévi contre les banques et qui ont été pourchassés par les forces de l’ordre. « Nous étions 200 manifestants. Nous protestions de manière pacifique lorsque les FSI nous ont agressés verbalement. L’un d’eux a même donné l’ordre de nous passer au tamis. Forcément, certains se sont énervés et la violence a dégénéré », explique-t-il à L’Orient-Le Jour, réfutant les accusations portées contre toute partie politique ou communautaire. Le jeune protestataire reconnaît que « 10 à 20 nouveaux venus ont effectivement participé à la casse ». Mais ils étaient « minoritaires » et « la violence était déjà déclenchée ». « Car il est grand temps que les autorités bougent, que le gouvernement soit formé conformément aux revendications de la rue », martèle-t-il, dénonçant la dépréciation de la livre libanaise, les coupes de salaires, les licenciements… Même son de cloche de la part de l’économiste, enseignant universitaire et contestataire Jad Chaaban, qui assure sur Twitter que la grande majorité des manifestants qui se trouvaient mardi devant la BDL font partie des contestataires de la première heure. « Ils sont actifs depuis 90 jours et appartiennent à toutes les composantes de la société libanaise. Alors, si une poignée de partisans se sont joints à eux, ils sont les bienvenus. »



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