« Nous sommes enfin revenus dans la rue, comme aux premiers jours de la révolution, avec des slogans forts. » Hussein, professeur d’université, ne cache pas sa joie. Tout sourire, il embrasse du regard la scène qui se déroule devant lui. Plusieurs centaines de personnes, tous âges confondus, se sont rassemblées sur le Ring dans une ambiance bon enfant, pour crier leur colère face à une « classe politique corrompue ».
Munis de leurs drapeaux, sourire aux lèvres, ils répètent en chantant les slogans que lance au micro un jeune homme, perché sur le toit d’un camion. Ils affirment que le Premier ministre désigné, Hassane Diab, tombera dans la rue, que le Premier ministre démissionnaire, Saad Hariri, ne sera jamais reconduit à ce poste, qualifient le président de la Chambre, Nabih Berry, et son épouse, Randa, de « voleurs », et appellent à la chute du « régime des voyous »… Reprenant le fameux « Hela hela ho », ils annoncent que « la route du Ring est désormais fermée » et qu’elle le restera jusqu’à nouvel ordre.
« Il est clair qu’il n’y a aucune intention de déranger qui que ce soit, malgré les slogans lancés contre Berry », constate Hussein. Il fait référence aux échauffourées avec les forces de l’ordre et la police du Parlement qui ont marqué à plusieurs reprises les manifestations à chaque fois que les protestataires portaient atteinte au chef du Parlement. « Apparemment, les deux rues (les protestataires d’un côté, les partisans et sympathisants de M. Berry d’un autre) partagent le même avis concernant Hassane Diab, poursuit-il. Les deux parties sont convaincues qu’il n’est pas apte à former le gouvernement, mission pour laquelle il a été désigné le 19 décembre dernier. S’il se présente comme indépendant, pour les protestataires c’est un partisan du pouvoir, alors que les parties qui l’ont nommé estiment qu’il prend le parti de la révolution. »
Sur la route allant du Ring au centre-ville, la route est bloquée par des pneus enflammés. Du côté du pont, des tentes ont été dressées. Quelques fauteuils ont été également installés. Comme un rappel des scènes qui prévalaient sur le Ring dans les premiers temps de la révolte. Hier, les manifestants comptaient y passer la nuit. « Nous ne sortirons plus de la rue, affirme ainsi Firas, ingénieur en mécanique. Nous y resterons pour voir ce qu’il adviendra du gouvernement. Les pressions ne nous importent plus. Nous réclamons un gouvernement propre, formé d’experts, qui aura pour mission principale d’organiser des législatives anticipées. » Confortablement installé dans un fauteuil, il reprend : « C’est la crise économique et financière qui a poussé les gens à redescendre dans la rue. La révolution est de retour. » Ces derniers jours, dans un contexte de restrictions bancaires draconiennes, le dollar flirte avec la barre des 2 500 livres.
Joe vit aux États-Unis. « Je suis rentré pour les vacances de Noël et je repars dans une semaine, lance-t-il. Aux États-Unis, j’ai participé à quatre manifestations qu’on avait organisées, mais c’est la première fois que je le fais au Liban. Je suis content de l’avoir fait. »
Plus loin, trois jeunes gens originaires du Chouf chantent frénétiquement les slogans. « Nous voulons émigrer, dit Ranim, enseignante. Nous resterons dans la rue jusqu’à ce que nous obtenions nos papiers. » « J’espère encore que les choses changeront, pour que nous puissions rester dans notre pays », confie toutefois Wissam.
Plus tôt dans la journée, un homme a tenté de s’immoler par le feu sur cette voie. Il s’est versé de l’essence sur le corps et a couru vers une benne en feu. Les manifestants présents sur les lieux ont réussi à l’empêcher de commettre son acte désespéré. Selon des informations rapportées à L’Orient-Le Jour, cet homme vient de Khandak al-Ghamik, quartier chiite bordant le Ring, duquel, il y a quelques semaines, venaient des jeunes qui avaient agressé, à plusieurs reprises, les manifestants.
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