Comme si l’effondrement économique qui guette le Liban, la révolution qui gronde depuis octobre et les graves développements régionaux ne comptaient pas. Le gouvernement à venir ne verrait pas le jour cette semaine, selon plus d’un observateur, et le cabinet d’expédition des affaires courantes semble aux abonnés absents. Hier, les trois partis ayant principalement appuyé la nomination de l’ancien ministre Hassane Diab au poste de Premier ministre, il y a trois semaines déjà, ont fait des déclarations répercutant trois sons de cloche différents : le président du Parlement Nabih Berry, chef du mouvement Amal, a dit pencher pour un cabinet « techno-politique », le Courant patriotique libre a confirmé à l’issue d’une réunion son appui à un « gouvernement de salut formé de spécialistes », alors que le Hezbollah, par le biais du chef de son bureau politique, Ibrahim Amine Sayyed, affirmait depuis Bkerké qu’il était « favorable à tout gouvernement qui verrait rapidement le jour ».
De leur côté, les milieux du Premier ministre désigné affirment à L’Orient-Le Jour que celui-ci « poursuit ses rencontres pour finaliser la formation gouvernementale », assurant que « toutes les rumeurs sur une éventuelle récusation de sa part sont fausses, cette option n’étant pas à l’ordre du jour ». Ces sources précisent que selon M. Diab, « le gouvernement sera formé de 18 ministres », démentant par là-même toutes les informations sur un gouvernement de 24 ministres pour y faire représenter davantage de partis. Enfin, elles réaffirment que son gouvernement « sera bien formé de spécialistes ». Elles répondent par ces propos aux rumeurs sur un éventuel retour au pouvoir du Premier ministre sortant Saad Hariri.
(Tournez manège !, le billet de Gaby NASR)
Les cartes de Berry
Toutefois, l’événement a été créé hier par le président du Parlement, dont la déclaration a donné l’impression de rebattre les cartes de la formation du cabinet. Il a ainsi affirmé qu’il souhaitait la mise en place d’une équipe « techno-politique ». « La formation du gouvernement, sur laquelle nous travaillons depuis trois mois alors que nous n’avions besoin que de 15 jours pour la finaliser, connaît des complications », a-t-il déclaré lors d’une discussion à bâtons rompus avec des journalistes.
Selon M. Berry, qui avait reçu plus tôt dans la journée l’ambassadeur du Royaume-Uni Chris Rampling, « des règles ont été posées (par les protagonistes), bien qu’elles ne soient pas inscrites dans la Constitution ou fassent partie des usages ». « Ils ont d’abord dit qu’ils ne voulaient pas d’anciens ministres, mais l’on voit que d’anciens ministres ont été proposés. Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas que le cabinet comporte de députés, alors que dans tous les pays du monde les gouvernements sont le reflet des Parlements », a-t-il ajouté.
« Je propose (…) la formation d’un cabinet techno-politique, comme le gouvernement sortant », ajoute M. Berry, assurant n’avoir aucun problème avec Hassane Diab et plaidant pour l’incorporation de représentants du mouvement de contestation.
De son côté, à l’issue d’une réunion de son groupe parlementaire du Liban fort, le député Ibrahim Kanaan a affirmé que le CPL n’avait pas changé d’avis et était toujours en faveur de la formation d’un gouvernement d’experts, alors que des informations de presse faisaient état d’un changement de position de la part du parti. « Nous sommes pour un gouvernement d’experts et nous soutenons le Premier ministre désigné dans sa tâche », a-t-il déclaré. « Nous facilitons les choses et nous sommes prêts à le faire jusqu’au bout, à condition que les mêmes critères s’appliquent à tout le monde, a ajouté M. Kanaan. Nous voulons un gouvernement de salut aujourd’hui avant demain, qui tienne compte de la volonté des gens. Il ne s’agit pas d’une question de pouvoir, mais de stopper l’effondrement et de mettre en œuvre des solutions radicales pour enrayer la chute. »
Interrogé par L’OLJ sur la position de son parti, M. Kanaan a assuré qu’elle « demeure inchangée parce qu’elle résulte d’une réflexion profonde », estimant qu’un cabinet de spécialistes technocrates « est adapté » à la situation présente. Refusant de s’attarder sur les divergences avec les autres partis, il a cependant souligné qu’aucun d’entre eux n’exprime un refus du processus en cours. « Pas de blocage » donc, selon le député qui appelle le Premier ministre désigné « à finaliser sa mission aussi rapidement que possible ». À une question sur d’éventuelles divergences qui persistent au niveau des noms proposés ou de la forme du gouvernement, il assure que « le processus se complète entre M. Diab et le président de la République Michel Aoun », considérant que « la position du CPL aujourd’hui (hier) a boosté » la formation du futur cabinet.
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Divisions profondes ou répartition des rôles ?
Selon des sources proches des partis du 14 Mars, qui ne participent pas à la formation du gouvernement, « le même camp qui a nommé M. Diab bloque actuellement la formation de son gouvernement ». Elles estiment que « M. Berry veut parer au plus pressé, c’est-à-dire le vote du budget national avant la fin du mois, et a demandé au Premier ministre sortant Saad Hariri (actuellement à Paris) d’y assister ». Selon ces sources, M. Berry pencherait pour un cabinet politique car il est convaincu qu’un gouvernement de spécialistes ne peut pas relever les défis actuels.
Qu’en pensent les observateurs ? L’économiste et analyste politique Sami Nader note « une cacophonie remarquable au sein des partis du pouvoir, qui parlent chacun une langue ». « Est-ce voulu ou est-ce le signe de divisions profondes ? » poursuit-il. Pourquoi serait-ce voulu ? « Ce serait pour cacher le fait que la décision de former un gouvernement n’a pas encore été prise, dit-il. Les réformes que demandent la rue et la communauté internationale pour une sortie de crise ne peuvent être engagées par cette équipe au pouvoir. Et même si celle-ci réussit à former un gouvernement pseudo-technocrate, il sera très vite déjoué par son incapacité à faire des réformes. Ce gouvernement sera donc responsable de l’effondrement et c’est ce que ces partis redoutent de devoir assumer. D’où leur insistance à partager cette responsabilité avec Saad Hariri. »
L’analyste énonce quatre blocages majeurs qui retardent la formation du cabinet : le conflit interne entre les partis au pouvoir, les divergences entre la rue et l’establishment, les tensions régionales qui se soldent par des divergences entre le gouvernement libanais et la communauté internationale qui bloque ainsi les aides et le conflit sunnito-chiite qui a émergé avec la nomination de M. Diab. « Ces blocages simultanés arrêtent la machine. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut revenir aux principes fondamentaux de la Constitution », conclut-il.
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commentaires (9)
Le pays ne se mettra jamais sur pied tant que le Hezbollah détiendra des armes. Diab, pas Diab, Ghosn pas Ghosn, Einstein ou n'importe qui d'autre ne pourra remettre le pays a flot tant que l’état n'est pas en mesure de contrôler ses frontières et les décisions stratégiques qu'elles qu'elles soient. Sur ce, la fronde doit perdurer qu'elles qu'en soit les conséquences économiques car celles-ci sont réversibles. Si le pays fini par être soumit a la dictature du Hezbollah et ses sbires, la guerre de 75-90 sera un jeu d'enfants devant ce qui arrivera. Le gouvernement présent ne doit être que de 4 ministres dont la tache principales sont les élections parlementaires anticipées pour changer la structure du parlement afin qu'il devienne plus représentatif au désir peuple, même avec la loi qui prévaut. Par la suite, Aoun démissionne! Le parlement élit un nouveau Président qui lance de nouvelles tractations pour le choix d'un nouveau gouvernement. Ce doit être la feuille de route requise par le peuple et rien d'autre avant d'y arriver. Apres toutes les autres revendications seront mises sur le tapis. Sans cela, le Liban restera au banc de touche pour encore longtemps et plus le temps passe plus nous nous rapprochons de la guerre.
Pierre Hadjigeorgiou
13 h 15, le 10 janvier 2020