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Alerte aux balles perdues

On a beau en vanter la précision chirurgicale, il n’est pas rare que les opérations militaires dites spéciales fassent aussi ce que l’on appelle pudiquement des victimes collatérales. Considérée sous l’angle de ses retombées politiques, et pour techniquement réussie qu’elle fût, l’élimination de Kassem Soleimani n’échappe guère à ce phénomène.

Gagnée par un début de panique à l’idée d’une conflagration majeure au Moyen-Orient, l’Alliance atlantique en est à prodiguer les mêmes conseils de modération et de retenue à l’allié américain comme à l’Iran ; en retour, Washington ne cache pas son irritation du manque de soutien des Européens. Cibles de prédilection de la République islamique, abritant parfois des bases militaires US, les monarchies arabes du Golfe ont encore plus de raisons de s’inquiéter de la nature des représailles que prépare Téhéran. Et pour ne pas déroger à la coutume, c’est une bonne partie du monde qui tremble à la perspective d’une fermeture du détroit d’Ormuz, l’une des voies de passage les plus fréquentées du dieu pétrole.

Assez ironiquement cependant, le cow-boy américain lui-même encaisse un sacré lot de tout cet essaim de balles perdues, pourtant crachées par son gros Colt. Se posant en justicier là où ses prédécesseurs ont reculé, Donald Trump escomptait apparemment de cette action d’éclat qu’elle vienne court-circuiter la procédure de destitution engagée contre lui et bétonner ses chances lors de l’élection présidentielle de novembre prochain. Mais c’était compter sans les gaffes monumentales dont peut être capable un personnage aussi fantasque. En menaçant de bombarder des dizaines de sites culturels iraniens, crime de guerre dûment répertorié dans les conventions internationales, il s’est attiré deux camouflets de taille : un rappel à l’ordre de l’Unesco et une mise au point de son propre secrétaire à la Défense, assurant que les États-Unis s’en tiendraient au manuel.

Plutôt que de faire l’union sacrée chez lui, le chef de la Maison-Blanche a, en somme, rassemblé les Iraniens dans une même haine de l’Amérique, illustrée par les foules gigantesques qui ont suivi les funérailles du martyr Soleimani. Et de là où les États-Unis misaient sur les imposantes manifestations anti-iraniennes en cours depuis un moment en Irak, leur raid meurtrier sur l’aéroport de Bagdad leur vaut aussitôt un vote du Parlement irakien les sommant de retirer leurs troupes du pays. À l’humiliation s’ajoute un vaudevillesque cafouillage de la machine administrative américaine, où l’on voit le Pentagone se plier à l’injonction avant de tout démentir; le conciliant document remis par erreur à l’état-major de Bagdad n’était en effet qu’un projet non signé. Alors, un banal brouillon? Ce mot est tout trouvé pour qualifier la présidence Trump qui, pour laver l’affront, ne trouve rien de mieux que de menacer le peuple irakien tout entier – ennemis et sympathisants confondus – de sanctions économiques d’une dureté sans précédent.

Pour clore ce tour d’horizon, ne voilà-t-il pas que Vladimir Poutine débarque inopinément à Damas, comme pour proclamer l’invulnérabilité du régime baassiste face aux éventuelles équipées du Yankee. C’est lui, et non l’inverse, qui reçoit Bachar el-Assad au QG local de l’armée russe, comme pour montrer qu’il est le véritable maître des lieux. En attendant de voir le successeur de Soleimani assumer ses fonctions, c’est aux Iraniens aussi qu’est probablement destiné aussi le sibyllin message, comme pour rappeler qu’en géopolitique davantage qu’ailleurs, la nature a horreur du vide …

* * *

Cela étant, notre pays est-il vraiment à l’abri de tout ce remue-ménage, de cette volée de mitraille qui vient de s’abattre sur une notable partie de la planète ? C’est un aléatoire, un équivoque sentiment de sécurité qu’a voulu inspirer, dans sa dernière apparition télévisée, Hassan Nasrallah. C’est vrai en effet que le Liban n’abrite aucun de ces objectifs prioritaires que sont, selon lui, les bases américaines et que le chef du Hezbollah a exclu tout acte de terrorisme contre d’innocents citoyens US. En revanche, il s’est bel et bien déclaré partie prenante au devoir de riposte, rappelant les attentats-suicides opérés dans le passé par sa milice contre les marines. Il n’en fallait pas plus, en tout cas, pour porter plus d’une chancellerie occidentale à exiger, dès hier, un surcroît de protection.

Avec la même célérité, les incertitudes nées desdits et des non-dits de Nasrallah n’auront pas manqué de peser sur les laborieuses tractations visant à former un nouveau gouvernement conduit par le Premier ministre désigné Hassane Diab. Déjà sont invoqués les impératifs de l’heure pour promouvoir l’idée d’un cabinet reflétant les vieilles recettes politiques dans la répartition des ministères régaliens, et donc inacceptable pour la vaste contestation populaire initiée le 17 octobre. Cruciale sera l’attribution du portefeuille des Affaires étrangères. Celle-ci est apparemment laissée à la discrétion de l’ancien détenteur du titre, Gebran Bassil, au motif qu’il est essentiel de rassurer le Hezbollah.

Pour ce qui est d’inspirer confiance au peuple, il faudra repasser.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

On a beau en vanter la précision chirurgicale, il n’est pas rare que les opérations militaires dites spéciales fassent aussi ce que l’on appelle pudiquement des victimes collatérales. Considérée sous l’angle de ses retombées politiques, et pour techniquement réussie qu’elle fût, l’élimination de Kassem Soleimani n’échappe guère à ce phénomène.Gagnée par un début de...