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Lifestyle - Beyrouth Insight

Perla Joe Maalouli, gardienne de(s) but(s) de la révolution

Depuis le 17 octobre, pas un jour ne passe, pas un rassemblement ou blocus n’a lieu sans que cette infatigable activiste de 27 ans n’apporte à la rue son énergie de volcan et ses cordes vocales musclées.

Un peu Perla, un peu Joe, mais toujours présente sur tous les fronts. Photo Chadi Younès

Initialement, elle nous avait donné rendez-vous mercredi dernier au croisement du ring, « ma seconde maison depuis un moment ». « Je ne peux malheureusement pas vous voir ailleurs », avait-elle tranché. Sauf que cette après-midi-là, le 4 décembre, la police en armes alignée en face donne du fil à retordre aux manifestants. Et donc, comme il se doit depuis le début de la révolution, Perla Joe Maalouli est appelée en ligne de front où l’on avait besoin de renfort. L’entretien est remis au lendemain. Et lorsqu’elle débarque dans nos bureaux, le regard qu’on dirait terni par la montée d’une brume de fatigue, la voix légèrement cabossée, comme le bitume des rues de Beyrouth qu’elle connaît sur le bout des doigts depuis 50 jours, la chevelure trempée à se tordre, on hésite entre femme-tornade et guerrière qui aime à nager au cœur des tourbillons de la vie. C’est que le 17 octobre, Perla Joe Maalouli a choisi de balayer d’un revers de la manche son quotidien qui « boitait déjà à cause de la crise dans laquelle nous étions, mais que nous refusions de voir, et que certains maintenant trouvent bon de mettre sur le compte de la révolution. Quelle aberration »… Et depuis, pas une journée ne s’est écoulée sans qu’elle ne papillonne dans les rues, au gré des rassemblements auxquels elle insuffle son énergie de feu follet et ses cordes vocales musclées.

Un peu Perla, un peu Joe
Si à l’enfance Perla Joe n’affectionnait pas particulièrement son prénom, elle avoue à présent, non sans un humour teinté de gouaille, que « mes parents ont bien visé, en plein dans le mille » ! Car ce patronyme résume à merveille l’éventail de la personnalité de Maalouli dont les deux versants, un peu Perla, un peu Joe, « une caresse suivie d’une claque, toute une histoire de balance en fait », vivent en parfaite symbiose, comme deux faces d’une même médaille. Et de confirmer : « En fait, je réalise que j’ai toujours jonglé entre le masculin et le féminin sans y voir de contradiction. J’étais déléguée de classe, serviable et sur plusieurs fronts, mais en même temps grande gueule et refusant la répression et les codes dans lesquels on nous enfermait. » Cela dit, lorsqu’on farfouille dans les racines de cette colère qui lui fait le sourcil en broussaille, l’activiste de 27 ans raconte que celle-ci est venue se greffer sur le tard. « J’ai grandi avec des parents qui s’aimaient d’un amour exaltant, mais qui me semblaient éternellement inquiets et sur leurs gardes, principalement à cause de leurs finances et de la situation du pays. Aujourd’hui, avec le recul qui est le mien, je crois que cette ambiance a planté en moi cette colère. »

À l’époque, durant son temps libre, pour évacuer la vision de sa mère qui se crève le corps au prix d’un dérisoire salaire, « ma mère à qui je rêve de pouvoir un jour embaucher de l’aide à la maison », pour chasser l’image de son père qui ne cesse de se sentir amoindri par le système, « mon père qui doit empiler des boulots de l’aube jusqu’à la fin de la nuit et qui va jusqu’à croire que s’il est pauvre, c’est parce qu’une voyante lui avait prédit qu’il le serait toute sa vie. Quand on vient d’un milieu comme le sien, on perd tellement espoir dans la vie qu’on ne s’autorise même pas à croire qu’on a droit à quelque chose de plus décent », l’adolescente jette toutes les rancœurs qui l’habitent sur un ballon de foot. Elle est gardienne de but d’une équipe de foot féminine qui caracole à la première place d’un championnat en Serbie, dont la récompense lui permet d’intégrer l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) pour un diplôme en cinématographie, suivi d’un master. Diplôme en poche, et de surcroît décroché avec brio à la faveur de son court-métrage Zugzwang qui s’attire les faveurs de plusieurs festivals dont le Editing Award au Yale Film Festival, Perla Joe Maalouli jongle entre des boulots en cinéma, musique, photographie et publicité, tant et si bien qu’elle finit par se perdre. « Je ne savais plus si j’étais chanteuse, cinéaste ou productrice. »


Le passé et l’avenir
Dans un besoin de distance et de lenteur, elle passe deux années au Caire pendant lesquelles, caméra à l’épaule, elle se calfeutre dans le silence désertique et traque les chassés-croisés du soleil et de la lune qu’elle emprisonne dans son objectif. « Sans que je le sache, ces deux années ont été une sorte de préparation psychologique au combat du moment. Sans cela, je n’aurais pas pu me battre comme je le fais aujourd’hui », confie-t-elle à propos de cette bataille qui vient chambouler sa vie le 17 octobre. Et à laquelle elle se donne tout entière, sans réfléchir, quand une connaissance d’Instagram lui envoie le message suivant : « Perla, tu as toujours eu la fibre révolutionnaire, tu nous as toujours incités à nous battre. Pourquoi tu n’es toujours pas dans la rue ? » Le lendemain, sur la place des Martyrs, elle se hisse sur un camion, s’empare d’un mégaphone, et d’un naturel qui la surprend jusqu’à ce jour, elle s’adresse aux femmes autour qu’elle invite à se rassembler pour créer un barrage humain, parce que, simplement, « vous imaginez ce que ça donnerait, une bande de mecs en colère face à des policiers qui n’ont pas dormi pendant des jours » ? C’est donc à Perla Joe qu’on doit l’idée miraculeuse du barrage de femmes. « À ce moment précis, j’ai naturellement pensé à mes parents. C’est pour eux, principalement, que je fais la révolution. Je pense que ma génération se soulève pour redonner un peu de dignité à nos parents, réparer leurs erreurs aussi, et en même temps se battre pour notre avenir. C’est un combat pour le passé mais qui regarde l’avenir », dit-elle. Vengeresse avouée, conquérante jusqu’à la plus infime des veines qui se contractent le long de son cou dès lors qu’elle s’empare d’un microphone, Maalouli est une force de la nature qui devient en quelques jours l’une des femmes-troncs de la révolution. De minute en minute, elle mobilise les foules, se fabrique une bande de camarades de révolution, égrène les meetings, fait des allers-retours entre Beyrouth, Jal el-Dib, Tripoli, remonte le moral des troupes tout en les calmant, « quand les choses vont dans tous les sens ». Lève le ton jusqu’à se casser la voix, à la télé, sur les podiums ou nez à nez avec la police, se décrivant comme « une agitatrice, une meneuse de troupes quand l’énergie est basse ». Une pacifiste lorsque surviennent des affrontements. Et quotidiennement, une voix qui porte la colère des autres. « Il y a quelque chose en moi d’abyssal qui se dégage quand je suis dans la rue. La responsabilité peut-être de porter sur mes épaules les plus démunis, ceux qui ont faim, ceux qui ont été délaissés, les plus vieux. Bizarrement, cela me porte. » Et, entre deux rassemblements, Perla Joe se débrouille pour creuser des parenthèses de solitude où elle savoure ses petites victoires : « Dans le Grand Théâtre au coucher de soleil. Me retrouver sur le toit et regarder, à partir de ce point, la mer et la montagne pendant que la lune se profile entre l’église et la mosquée. Et avoir là, à moi, dans les yeux, mon Liban. » Ce Liban auquel, grâce à Perla (entre autres), on s’autorise de rêver à nouveau.



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Initialement, elle nous avait donné rendez-vous mercredi dernier au croisement du ring, « ma seconde maison depuis un moment ». « Je ne peux malheureusement pas vous voir ailleurs », avait-elle tranché. Sauf que cette après-midi-là, le 4 décembre, la police en armes alignée en face donne du fil à retordre aux manifestants. Et donc, comme il se doit depuis le début...

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