Des manifestants anti-gouvernementaux chantent des slogans contre la classe dirigeante, le 29 octobre 2019, dans le centre-ville de Beyrouth. AFP / JOSEPH EID
La journée de mardi a commencé dans un climat de tension sans précédent dans la rue. De nombreuses disputes et bagarres ont éclaté entre manifestants et automobilistes excédés, au niveau des barrages routiers tenus par les protestataires sur les axes névralgiques à travers le pays, notamment au niveau de la voie express du Ring où de violentes échauffourées ont opposé manifestants à des habitants de quartiers voisins, dont de nombreux partisans du Hezbollah et d'Amal. Ces derniers ont par la suite attaqué le centre-ville de Beyrouth et saccagé les tentes installées, place Riad el-Solh et place des Matyrs, par les manifestants qui réclament depuis le 17 octobre, la chute du gouvernement. L'armée s'est alors fortement déployée dans le secteur afin de protéger les protestataires et les forces anti-émeute ont fait usage de gaz lacrymogène. Mais peu de temps après cette attaque violente, plusieurs groupes de manifestants ont regagné le centre-ville, scandant des slogans contre la classe politique dirigeante, et lançant la reconstruction des tentes.
Des forces anti-émeute intervenant entre des casseurs et des manifestants anti-gouvernement dans le centre-ville de Beyrouth. AFP / ANWAR AMRO
Le centre-ville attaqué, les tentes saccagées
A Beyrouth, plusieurs bagarres ont été enregistrées, dont la plus violente a eu lieu sur la voie express du Ring, où les manifestants ont pris leurs quartiers et installé des meubles en plein air. La situation a dégénéré lorsque des hommes en colère, dont de nombreux partisans du Hezbollah et du mouvement Amal, ont tenté de rouvrir la voie par la force. Se plaignant du blocage des routes depuis plusieurs jours, ils ont tenté de démonter les tentes installées sur place et de déloger les protestataires. Une bagarre généralisée a alors éclaté et des membres de la brigade anti-émeute mais aussi l'armée libanaise sont intervenus pour mettre un terme à l'accrochage. Plusieurs manifestants pacifistes ont été malmenés par les policiers. Les forces de l'ordre ont ensuite séparé les personnes sur place en deux groupes. "Dieu, Nasrallah et toute la banlieue", ont scandé certains hommes qui s'opposaient aux manifestants. D'autres ont crié des slogans en soutien au chef du Parlement, Nabih Berry. Les rangs des deux groupes grossissaient au fur et à mesure, et des lancers de pierres et de bouteilles d'eau ont eu lieu. "Nous irons les attaquer à Khandak el-Ghamik" (quartier chiite considéré comme un fief d'Amal, ndlr), lançait Mohammad, un jeune manifestant anti-gouvernement qui veut en découdre. "Ils sont aussi pauvres que nous", essayait de le raisonner un autre manifestant.
Des dizaines de partisans du Hezbollah et d'Amal ont par la suite attaqué le centre-ville de Beyrouth. Ils ont détruit de nombreuses tentes et cassé les chaises et les tables sur les lieux, place Riad el-Solh et place des Martyrs, créant la panique. Cette violente attaque aurait fait des blessés selon des témoins, mais aucun bilan précis n'est disponible pour le moment.
"Voilà ce dont sont capables les chiites de l'Imam Ali et du Hezbollah", pouvait-on entendre l'un deux dire devant les caméras de la télé, en guise de menace. Les partisans chiites scandaient des slogans hostiles aux manifestants et favorables à Hassan Nasrallah et au président du Parlement Nabih Berry, chefs respectifs du Hezbollah et d'Amal.
L'armée libanaise s'est fortement déployée dans le centre-ville pour protéger les manifestants des casseurs qui se vantaient d'avoir détruit les tentes des protestataires. Les forces anti-émeute ont de leur côté fait usage de gaz lacrymogène. Selon des témoins, plusieurs manifestants ont toutefois critiqué les forces armées pour avoir tardé à intervenir. Parallèlement, une autre unité de l'armée s'est déployée sur le Ring pour empêcher d'autres groupes de partisans chiites de se diriger vers le centre de la capitale et a bouclé tout le secteur. L'un de ces partisans criait : "Vous voulez une révolution? En voici une", selon notre journaliste sur place Suzanne Baaklini.
L'armée tente de se déployer dans le centre-ville de Beyrouthhttps://t.co/sm2Bhh4H5z pic.twitter.com/9q2OTyAN5w
— L'Orient-Le Jour (@LOrientLeJour) October 29, 2019
"Nous sommes là depuis 13 jours et nous nous exprimons au nom de tout le peuple libanais et de son armée. Nous ne voulons plus rester sous les bottes de qui que ce soit, nous voulons vivre en dignité", déclare une manifestante anti-gouvernement visiblement émue par cette violente agression.
Un peu plus tard, plusieurs groupes de manifestants ont regagné le centre-ville, scandant des slogans contre la classe politique dirigeante, et ont remonté leurs tentes.
Rixes entre des manifestants anti-gouvernement et des partisans du Hezbollah et d'Amal dans le centre-ville de Beyrouth. AFP / ANWAR AMRO
"Ils savent que leur chute est proche"
Témoin de cette attaque, l'activiste Abdallah Jouaid, membre du Bloc national, a raconté à L'OLJ qu'en fin de matinée, les manifestants "ont entendu dire que des voyous arrivaient sur le pont du Ring pour attaquer les manifestants avec des pierres et des bâtons". Cela a "provoqué une réaction inverse à ce que ces voyous voulaient et de nombreuses personnes sont venues grossir les rangs des manifestants à cet endroit", a-t-il souligné. Lorsqu'ils sont arrivés, en très grand nombre, ils ont attaqué les manifestants qui, eux, "ne s'en sont pris à personne", a poursuivi M. Jouaid. L'armée et les forces de l'ordre se sont alors interposées et se sont déployées entre les deux groupes pour les séparer, explique l'activiste, qui insiste sur le fait que "l'armée et les forces de sécurité sont du côté des gens". Il raconte qu'après avoir été empêché d'avancer sur le Ring, ces gens, principalement partisans du mouvement Amal selon lui, se sont rendus sur les places du centre-ville où ils "ont détruit les tentes, incendié plusieurs endroits et frappé des manifestants, dont des femmes". "Le plus important à savoir, c'est que le fait que ces partis (Amal et le Hezbollah) en arrivent là, cela signifie qu'ils ont échoué politiquement et qu'ils savent que leur chute est proche", estime Abdallah Jouaid. "Cela signifie qu'il faut faut rester dans la rue et persister, sans se laisser provoquer", a-t-il ajouté.
Des tentes saccagées. Photo Suzanne Baaklini.
Des disputes partout dans le pays
Plus tôt dans la journée, la tension était déjà palpable dans d'autres quartiers de Beyrouth. A Verdun, un automobiliste a tenté de forcer son passage. Lorsque l'homme s'en est pris aux manifestants après être descendu de son véhicule, les forces de l'ordre sont intervenues, le poussant à rebrousser chemin.
Des manifestants anti-pouvoir bloquant une rue à Verdun, dans la capitale Beyrouth, le 29 octobre 2019. Photo Acil Tabbara
(Lire aussi : La révolution à un tournant décisif, l’édito de Émilie SUEUR)
"Vous allez brûler le pays"
Même scène à Aïn Mreïssé, au niveau de l'Université américaine de Beyrouth (AUB), où une poignée d'étudiants, épaulés par des riverains, fermaient la corniche à la circulation. Un motard énervé a tenté de forcer son passage, avant de tomber et de tenter de s'en prendre aux manifestants. Un autre automobiliste est sorti de son véhicule, accusant les manifestants d'être "payés". "C'est un complot ! Vous verrez où vous aller mener le pays. Nous allons tous en payer le prix !" criait-il. "Demain vous allez porter les armes et vous allez brûler le pays", a-t-il ajouté.
"Nous manifestons pour vous et pour nous", lançait, un peu plus tard, une jeune protestataire à un chauffeur de taxi en colère. "Avant même le début de la révolte, la livre s'effondrait, il n'y avait plus de farine ni d'essence dans les stations. Ce chaos n'a pas commencé avec la révolte", lui expliquait-elle.
La tension était également palpable à Khaldé, au sud de Beyrouth. La situation a dégénéré lorsque le conducteur d'un mini-bus a forcé son passage parmi les manifestants, sans toutefois faire de victimes. Les protestataires ont alors attaqué le conducteur, ce qui a nécessité l'intervention de l'armée pour mettre un terme à l'accrochage.
A Mansourieh, dans le Metn, où l'autoroute a été partiellement bloquée par des jeunes du quartier, un échange verbal tendu a opposé un automobiliste excédé à un groupe de manifestants.
Colère contre Mohammad Choucair
Hier, les contestataires avaient durci le bras de fer avec le pouvoir, transformant des pans entiers d'autoroutes en parkings géants. Dans ce contexte, quelques dizaines de manifestants anti-pouvoir se sont rassemblés mardi matin au bas du domicile du ministre des Télécoms libanais, Mohammad Choucair, dont la décision d'imposer une taxe sur les messageries telles que WhatsApp avaient déclenché le début de la révolte, le 17 octobre. "Ecoutez, écoutez, M. le ministre !", ont lancé les manifestants, munis de mégaphones et rassemblés au bas de l'immeuble du responsable situé à la rue Bliss, dans la capitale Beyrouth. Il n'est pas clair si Mohammad Choucair se trouvait chez lui à ce moment-là.
Parallèlement, d'autres manifestants ont organisé un sit-in devant la direction générale des recettes du ministère des Finances. Selon l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle), les activistes se sont réunis devant le siège de la DG des recettes, sur l'avenue Béchara el-Khoury, afin de réclamer que "les fonds pillés" par les responsables soient récupérés par l'Etat et que "les corrompus rendent des comptes".
Des militaires à la retraite ont en outre manifesté devant le siège de la Banque du Liban à Beyrouth. Les vétérans de l'armée libanaise manifestent régulièrement depuis l'adoption du budget de l'Etat 2019 qui leur impose des taxes sur leurs allocations de retraite et réduit certains de leurs avantages sociaux.
Par ailleurs, les stations-services de plusieurs régions du pays commençaient à fermer leur porte en raison de l'épuisement de leurs stocks de carburant, rapporte l'Ani. C'est notamment le cas à Saïda, au Liban-Sud, et dans le Akkar, au Liban-Nord.
(Lire aussi : Misant sur un essoufflement de la contestation, le pouvoir cherche des garanties)
Retour au calme au Liban-Sud
A Tyr, au Liban-Sud, l'un des fiefs du Hezbollah qui avait pourtant été rattrapé par la vague de contestation au début de la révolte, la vie semblait revenir à la normale, sous la pression du parti chiite, selon plusieurs observateurs, même si une poignée de contestataires maintenaient leur sit-in.
La justice a en outre libéré plusieurs personnes qui avaient été arrêtées en fin de semaine dernière après l'incendie, le 18 octobre, du complexe balnéaire "Resthouse" de Tyr, qui appartient à Randa Berry, l'épouse du président de la Chambre Nabih Berry. La libération a été ordonnée par le procureur général du Sud Rahif Ramadan. D'autres, dont l'implication dans l'incendie et les actes de vandalisme contre le complexe balnéaire a été prouvée par plusieurs photos et vidéos, ont été gardés en détention.
Un groupe de manifestants qui se fait appeler le "Hirak de Tyr", avait publié un communiqué lundi dans lequel il affirmait que le commissariat de la ville a "convoqué une dizaine de jeunes pour les soumettre à un interrogatoire, notamment des mineurs et des personnes malades". Ce groupe affirmait que ces convocations "montrent l'implication politique de certains partis au pouvoir". A l'appel de ce groupe, les familles des personnes détenues avaient organisé ce matin un sit-in devant le commissariat de la ville.
La révolte libanaise a été déclenchée le 17 octobre par l'annonce surprise d'une taxe sur les appels via les messageries instantanées comme WhatsApp. Cette mesure a été vite annulée mais la colère ne s'est pas apaisée contre la classe dirigeante, jugée incompétente et corrompue dans un pays qui manque d'électricité, d'eau ou de services médicaux de base 30 ans après la fin de la guerre civile (1975-1990).
Lire aussi
Le bloc aouniste fragilisé après la double démission de Roukoz et Frem
Au « Ring Plaza », les manifestants prennent leurs quartiers
À Nabatiyé, retour forcé au travail des fonctionnaires du Sérail
On discute ferme, au cœur de Beyrouth, pour bâtir ensemble un État-nation
J'ECRIS CELA APRES LA DEMISSION DE MR HARRIRI A QUI JE DIS BRAVO POUR SON COURAGE ET POUR AVOIR ESSAYER PENDANT PLUSIEURS JOURS DE TROUVER UNE SOLUTUION AUX REVENDICATIONS DU PEUPLE EN VAIN QUE DIEU VOUS PROTEGE DE CES INFAMES MEURTRIERS POUR LA REVOLUTION JE DIS CELA ET TRES GRAVEMENT: LA REVENDICATION PRINCIPALE AUJOURDH'UI EST LE DESARMEMENT DE HEZBOLLAH ET SA MILICE ET DE CELLE DE AMAL TANT QUE CES GENS SERONT ARMES NOUS NE POURRONS RIEN ACHEVER L'ARMEE DOIT FAIRE SON DEVOIR NATIONAL ET S'ATTAQUER A CES POCHES DE MILICES EN LEUR DONNANT L'ORDRE DE DESARMER ET ACCORDER UNE AMNISTIE A TOUT CE QUI LE FERONT ET S'ATTAQUER PAR LA SUITE AUX AUTRES. DEJA UNE PARTIE DE LA POPULATION CHIITES A TOURNE LE DOS A CES DEUX PARTIS,REALISANT QU'ILS ONT LES MEMES PROBLEMES QUE TOUS LES AUTRES LIBANAIS DE TOUTES LES CONFESSIONS ET QUE LEURS LEADERS SE SONT MOQUE D'EUX DEPUIS PLUS DE 30 ANS LA REVOLUTION NE SERA FINI QUE QUAND CES MILICES SERONT DESARMEES UNE FOIS POUR TOUTE LA REVOLUTION A GAGNE , IL FAUT FINIR LE TRAVAIL MAINTENANT
17 h 43, le 29 octobre 2019