« Nettoyer » le nord de la Syrie des « terroristes » qui menacent la Turquie. C’est en ces termes que s’est exprimé lundi le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, après l’annonce de la Maison-Blanche que les États-Unis ne s’opposeraient pas à une opération d’Ankara contre les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) dans le Nord-Est syrien, une fois leurs troupes retirées. La virulence des propos du ministre rappelle étrangement ceux tenus il y a 20 ans par un certain Vladimir Poutine, alors Premier ministre de la Russie sous la présidence de Boris Eltsine. Au lancement de la deuxième guerre de Tchétchénie, il s’était alors distingué par une phrase choc devenue culte depuis : « On ira buter les terroristes jusque dans les chiottes », en référence aux combattants tchétchènes.
S’il est difficile à ce stade d’estimer jusqu’où le président turc Recep Tayyip Erdogan compte aller pour venir à bout de ceux qu’il considère comme des « terroristes », une chose est sûre, l’armée turque est prête à l’attaque. Le ministère de la Défense a annoncé hier avoir achevé les préparatifs en vue de lancer l’opération militaire. Pour l’heure, l’ampleur et la durée de cette offensive restent toutefois incertaines au vu des intérêts en jeu dans le Nord-Est syrien.
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Sécurité et politique
Pour la Turquie, une attaque dans cette région répondrait à des considérations de sécurité. De par leur lutte contre l’État islamique, les Forces démocratiques syriennes (FDS), majoritairement dominées par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), ont pu étendre leur influence sur la région et avancer leurs pions en vue d’établir le grand Rojava, une zone autonome à la frontière syro-turque. Or la Turquie craint que cette proximité géographique ne conduise à un accroissement des liens entre Kurdes de Syrie et Kurdes de Turquie, d’autant plus que le YPG et sa branche politique, le Parti de l’union démocratique (PYD), ont des liens idéologiques avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), assimilé par Ankara à un groupe terroriste, et contre qui la Turquie est en conflit depuis 1984.
À ces préoccupations sécuritaires se combinent des enjeux politiques. Dans un communiqué datant de dimanche dernier, la Maison-Blanche a fait savoir que « la Turquie sera dorénavant responsable de tous les combattants de l’État islamique capturés dans la zone pendant les deux dernières années ». Depuis la chute de l’EI en mars 2019, les camps de détention où s’entassent les jihadistes et leurs familles se sont multipliés au nord-est de la Syrie. Des camps gérés par les autorités kurdes. Une intervention dans la région pourrait déstabiliser la zone et entraîner la fuite de nombreux jihadistes. Néanmoins, la nouvelle charge qui incombe aux Turcs leur permettrait de se dépeindre comme des adversaires acharnés du terrorisme jihadiste, sapant ainsi l’un des fondements de la légitimité politique kurde dans la région.
Surtout, M. Erdogan vise à établir une zone-tampon à la frontière vers laquelle renvoyer 1 à 3 millions de réfugiés syriens. Le dirigeant turc avait déjà fait part de son dessein le 24 septembre dernier lors d’un discours à la tribune des Nations unies. « Si nous pouvions étendre la profondeur de cette région jusqu’à la ligne Deir ez-Zor/Raqqa, nous pourrions augmenter jusqu’à 3 millions le nombre de Syriens qui reviendront de Turquie, d’Europe et d’autres parties du monde vers leur patrie » avait-il alors déclaré.
La proposition de M. Erdogan vise à satisfaire l’opinion publique turque que la crise économique a tôt fait de retourner contre la présence massive de réfugiés sur leur territoire. « Erdogan avait joué la carte des portes ouvertes, pour mieux opposer la “générosité” turque à la fermeture des frontières européennes. Maintenant cette carte se retourne contre lui », explique Jean Marcou, titulaire de la chaire Méditerranée-Moyen-Orient à Sciences Po Grenoble et spécialiste de la Turquie. « Les ressentiments commencent à apparaître et le parti de M. Erdogan en a fait les frais aux dernières élections municipales », rappelle-t-il.
Les ambitions turques en Syrie pourraient toutefois se heurter au maître du jeu syrien, le président russe Vladimir Poutine. Lors de l’offensive turque à Afrine dans le Nord-Ouest syrien en 2018, la Russie avait alors donné tacitement carte blanche à Ankara en se retirant de la région. « La Turquie sait que, bien qu’ayant une certaine marge de manœuvre en Syrie, elle ne peut pas pour autant dépasser les lignes rouges fixées par Moscou », analyse Jana Jabbour, politologue, spécialiste de la Turquie et enseignante à Sciences Po Paris. « La préservation de l’intégrité territoriale de la Syrie et la prévention de toute “occupation” militaire permanente de ce pays par la Turquie sont des lignes rouges pour Moscou », poursuit-elle. Hier, la Russie a appelé à ne pas « saper le règlement pacifique » du conflit en Syrie.
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Feu vert américain ?
Si la décision avait déjà été communiquée à la fin de l’année dernière, l’annonce du retrait des troupes américaines apparaît aujourd’hui comme un blanc-seing donné à M. Erdogan pour envahir le Nord-Est syrien, suscitant un tollé général dans les rangs des démocrates, mais aussi des républicains. M. Trump s’est fendu lundi d’une série de tweets furieux énonçant les raisons principales à l’origine de sa décision. « Cela fait des décennies que les Kurdes combattent la Turquie. Je me suis tenu à l’écart de ce conflit pendant presque trois ans, mais il est temps pour nous de sortir de ces guerres ridicules et sans fin, dont beaucoup sont tribales », a-t-il justifié.
« En retirant les troupes de Syrie, le président Trump réalise l’une de ses promesses électorales, celle de “America First” », résume Jordi Tejel, docteur en histoire de l’Université de Fribourg et de l’Ehess, et professeur associé à l’université de Neuchâtel. Alors que l’élection présidentielle américaine approche et que le président est pris dans une tornade politique sur la scène intérieure avec la procédure d’« impeachment » lancée contre lui, M. Trump en revient aux fondamentaux qui l’ont fait élire en 2016.
Les propos de Donald Trump s’inscrivent dans la continuité de la stratégie adoptée à la suite des attaques contre des sites pétroliers en Arabie saoudite, imputées à l’Iran, le 14 septembre dernier. Depuis, l’administration Trump a multiplié les sorties contradictoires et aucune action n’a été prise, jusqu’à présent, en représailles.
Fidèle à lui-même, M. Trump a quelque peu renversé la vapeur lundi avec un tweet incendiaire contre la Turquie dont il a promis d’ « anéantir » l’économie si elle « dépasse les bornes ». Ses propos apparaissent comme une tentative de rééquilibrer son discours après le torrent de critiques, jusqu’au sein de son propre camp, l’accusant d’abandonner un allié sans qui l’EI n’aurait pas été défait. L’administration américaine navigue en pleine confusion. Preuve en est, après l’annonce du retrait immédiat d’une partie de ses troupes dans les zones kurdes de Syrie, l’administration Trump a fait machine arrière, affirmant que seuls 50 à 100 membres des forces spéciales seraient redéployés sur des bases à l’intérieur du pays.
« On revient à la situation qu’on avait vue l’année dernière, quand Trump avait annoncé de manière tapageuse qu’il retirait ses troupes de Syrie. Or, dans les faits, il ne s’est rien passé », résume M. Marcou.
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Les Kurdes pris en étau
À ce stade, il est encore prématuré d’évaluer les conséquences d’une attaque turque dans le Rojava. Si le retrait des troupes américaines se confirme et que l’offensive d’Ankara a lieu, il devra pousser le mouvement kurde dans les bras du régime syrien et de ses alliés. « Il n’y a pas d’autre alternative puisque les Kurdes en Syrie seraient pris en étau entre la Turquie, d’un côté, et l’État islamique de l’autre », analyse M. Tejel. « C’est l’opportunité parfaite pour Damas qui peut réclamer une gestion conjointe du Nord syrien et ramener les régions kurdes dans le giron du régime », poursuit le spécialiste. Les déclarations hier du vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Fayçal Moqdad, vont dans ce sens. « Nous défendrons l’ensemble du territoire syrien et nous n’accepterons aucune occupation » étrangère, a-t-il déclaré au quotidien prorégime al-Watan, avant d’ajouter : « Celui qui se jette dans les bras de l’étranger, l’étranger finit par le jeter (...) et c’est ce qui s’est passé », faisant ainsi référence aux annonces américaines.
« Les Kurdes vont demander de l’aide à l’armée syrienne, mais ils ne l’auront pas car Damas a proposé à plusieurs reprises des négociations et les Kurdes n’ont pas saisi leur chance », confie à L’Orient-Le Jour une source politique à Damas.
La population kurde dans la région du Rojava semble aujourd’hui n’avoir aucun allié de poids sur le terrain. « En réalité, cela a toujours été le cas. La politique des États-Unis envers les Kurdes a souvent été marquée par l’abandon », s’indigne une source kurde syrienne basée à Erbil, sous le couvert de l’anonymat, contactée par L’OLJ. « Les Américains ont toujours utilisé les Kurdes pour des raisons militaires ou sécuritaires. Mais ils n’ont jamais pris sérieusement en compte leurs aspirations politiques, qu’il s’agisse de justice ou de démocratie », ajoute-t-il, avant de poursuivre : « Beaucoup ressentent quand même un sentiment d’abandon alors qu’ils ont fait beaucoup de sacrifices dans le combat contre l’EI pour les États-Unis, pour les Occidentaux et pour les démocraties. »
Selon cette même source, la situation actuelle est celle d’une « pré-guerre », où la population fait le plein de provisions, identifie les lieux de refuge potentiels et tente de s’éloigner des zones de conflit possibles. « L’asymétrie des forces entre la Turquie et les combattants kurdes laisse toutefois très peu d’espoir, d’autant plus que la population garde en mémoire le douloureux souvenir de Afrine en 2018. L’armée turque avait alors usé de la tactique de la terre brûlée. » À l’époque, l’opération avait fait des centaines de morts et contraint près de 250 000 personnes à fuir.
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Pensez bien que les usa du clown Trump-pète ont dû vendre les kurdes leurs "allies" en full packetage, cad aussi bien le peuple, le territoire que les POSITIONS MILITAIRES SECRÈTES DE LEURS FORCES ARMÉES. Ne prenons pas les turcs pour des idiots ni les américains pour des fleurs bleues. PANIER À CRABE !
11 h 27, le 09 octobre 2019