Les Américains s’en vont, mais les autres acteurs dans la région à l’est de l’Euphrate restent. L’annonce du président américain de retirer ses troupes de la région limitrophe avec la Turquie a constitué un choc pour les différents protagonistes et en particulier pour les Kurdes, qui ont depuis le début misé sur les Américains pour les aider dans leur triple lutte contre les Turcs, Daech et l’armée syrienne.
Aujourd’hui, les Kurdes se considèrent donc comme les premiers perdants du retrait américain, mais il reste encore beaucoup d’inconnues dans cette région où les enjeux sont à la fois locaux, régionaux et internationaux.
Dans une première lecture, les milieux proches du Hezbollah considèrent que l’annonce du président américain est le début d’un processus de retrait américain de l’ensemble de la région, dicté par des considérations électorales internes et par l’évolution de la situation régionale. Après le retrait de l’est de l’Euphrate, suivront, selon ces milieux, Tanaf et d’autres positions américaines en territoire syrien. Ce qui marque un recul certain de l’influence américaine dans la région. Pour ces mêmes milieux, les Kurdes n’auront plus désormais que deux choix : soit se laisser dominer par les Turcs et leurs alliés syriens, soit s’allier à l’armée syrienne. Cette dernière possibilité reste, selon les milieux proches du Hezbollah, le meilleur choix pour eux.
Selon ces mêmes milieux, le scénario le plus probable est le suivant : l’armée turque et ses alliés de l’opposition syrienne s’apprêtent à lancer une large offensive le long de la frontière syro-turque, dans l’objectif déclaré de créer « une zone de sécurité » d’une profondeur de 32 km. Les Turcs chercheraient ensuite à installer les 2 millions de réfugiés syriens qu’ils ont accueillis chez eux depuis le début de la guerre en Syrie dans cette région, pour continuer ainsi indirectement à avoir de l’influence sur l’intérieur syrien. Certains parlent même d’une tentative turque de procéder à un changement démographique en Syrie, en installant dans la fameuse « zone de sécurité » des Syriens sunnites non kurdes proches de la Turquie. Ce qui serait le prélude à une partition de facto ou à une transformation du système de pouvoir en Syrie, de l’État central en une sorte de fédération confessionnelle et ethnique, comme en Irak ou... au Liban.
Les milieux proches du Hezbollah considèrent néanmoins que malgré sa démonstration de force en vue de lancer son offensive militaire, et malgré son projet bien préparé, la Turquie pourrait ne pas parvenir à atteindre ses objectifs. Elle pourrait ainsi devoir faire face à une résistance sérieuse de la part des forces kurdes même lâchées par les Américains, et ensuite la Turquie pourrait avoir à composer avec d’autres acteurs importants en Syrie, notamment la Russie et l’Iran. La République islamique a déjà annoncé qu’elle était opposée à une offensive militaire turque dans le nord de la Syrie. Le président russe n’a encore rien déclaré officiellement, mais il n’est pas dit qu’une opération militaire turque serait pour lui – qui a de plus en plus la haute main dans ce pays – la bienvenue.
Ce qui est sûr, à ce stade, c’est que l’annonce du président américain, qui est, il est vrai, nuancée depuis deux jours, a confirmé ce que le Hezbollah et en général l’axe dit de la résistance ne cessent de répéter depuis des années, à savoir qu’on ne peut pas compter sur les Américains, qui lâchent leurs alliés sans aucune considération pour eux, ne tenant compte que de leurs propres intérêts, lesquels peuvent changer selon les circonstances.
Pour les milieux proches du parti chiite, ce message ne s’adresse pas seulement aux forces kurdes, qui sont les premières et les plus flagrantes victimes de la dernière décision du président américain, en dépit de ses assurances que les États-Unis ne lâcheront pas les Kurdes. Il s’adresse aussi à une partie de l’intérieur libanais qui continue à croire que les États-Unis sont les grands décideurs dans la région et qu’il est donc préférable d’être de leur côté. Enfin, le message s’adresse aussi aux pays du Golfe, Arabie saoudite en tête, qui se sont impliqués dans plusieurs conflits régionaux, en Syrie et au Yémen par exemple, sans parler de l’Irak, en misant sur leur alliance avec les Américains.
Aujourd’hui, face à la décision américaine annonciatrice donc, selon eux, d’un affaiblissement de l’influence américaine dans toute la région, les milieux proches du Hezbollah estiment que les acteurs régionaux vont prendre de plus en plus d’importance, notamment la Turquie et l’Iran. Les dirigeants saoudiens n’ont plus, dans ce cas, que des choix limités, c’est-à-dire s’allier avec l’un ou l’autre. Dans les deux cas, il s’agit d’un pas énorme qui exige de grands sacrifices, la Turquie étant en effet une rivale pour le leadership du monde sunnite et l’Iran étant en majorité chiite. Il reste encore d’autres options, comme celle de tisser des liens plus étroits avec Israël, mais sans la garantie et la couverture américaines, elle est plus que risquée, ou encore celle de s’adresser directement à la Russie...
commentaires (8)
Excusez les nombreuses coquilles et erreurs qui ont marqué mon commentaire, (dües au reformatage de mon ordi...)! Le commentaire s'arrête à ..."régionalisée".
Salim Dahdah
13 h 24, le 09 octobre 2019