Fantasque, arrogant, scandaleux de vulgarité, dénué de scrupules en matière de transactions car fervent adorateur du dieu dollar : en trois ans de règne chaotique, Donald Trump se sera appliqué à arborer sans répit, l’un après l’autre, les traits les plus hideux que l’on prête au stéréotype de l’Affreux Américain. Ne lui manquait encore que le qualificatif de lâcheur : lequel, en effet, colle à la peau de l’Oncle Sam depuis que plus d’une nation dite amie, alliée même, a été froidement larguée comme quelque écorce de citron pressé. Or voilà que se complète la panoplie du président US, moderne Ponce Pilate se lavant les mains du sort des Kurdes de la région.
Il est vrai que depuis le temps, ce peuple d’origine indo-européenne devrait s’être accoutumé à de tels coups de poignard dans le dos. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres lui promettait ainsi l’autonomie – voire, éventuellement, un Grand Kurdistan – dans les anciennes provinces ottomanes où il vivait. Sous l’implacable impulsion d’Atatürk, ces espoirs s’évanouissaient peu après avec le traité de Lausanne ; les Alliés consentaient alors à un éparpillement de cette nation entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, tous pays où elle était en butte à des discriminations diverses. Les épisodiques tentatives d’émancipation des Kurdes ont été durement réprimées. Saddam Hussein est même allé jusqu’à user contre eux d’armes chimiques, et c’est par une belle mais très fragmentaire revanche sur l’histoire que les Kurdes du nord de l’Irak ont mis à profit l’expédition américaine de 2003 pour s’aménager enfin un tout premier espace d’autonomie.
C’est à la réalisation d’un exploit similaire qu’œuvraient visiblement les miliciens des Unités de protection du peuple (YPG) retranchés en force dans le nord de la Syrie, limitrophe de la Turquie, où, avec l’aide logistique de la Coalition internationale, ils ont été les principaux artisans de la victoire finale contre le pseudo-califat de l’État islamique. Le job accompli, fort admirablement d’ailleurs, voilà toutefois qu’ils posent problème : problème évident pour le président turc Receb Tayyip Erdogan, qui redoute une propagation du virus autonomiste sur son propre territoire et qui est sur le point de se tailler, avec ses chars, une consistante zone tampon sur le sol syrien ; et problème aussi pour Donald Trump qui croit naïvement s’être assuré une confortable base de repli en rappelant ses boys du secteur et en laissant faire les Turcs, comme il l’annonçait dimanche. Il est vrai que sous le feu des critiques qui ont aussitôt fusé à Washington, le président, fidèle à sa démarche erratique, menaçait peu après d’anéantir l’économie turque si Ankara y allait trop fort.
Allegro donc, ma non troppo? Ce serait peu dire de la décision américaine qu’elle est moralement indéfendable. Car elle est surtout potentiellement annonciatrice de nouveaux et sans doute sanglants désordres. Déjà l’ONU se mobilise en prévision d’une catastrophe humanitaire se traduisant, dans la meilleure des hypothèses, par des afflux supplémentaires de réfugiés et de déplacés. Non moins grave est le risque d’un retour en activité de l’État islamique dont des milliers de combattants, ainsi que leurs familles, sont actuellement prisonniers des Kurdes.
Depuis l’ère de James Monroe, une bonne douzaine de présidents US ont tenu à donner leur nom à une doctrine de leur cru, souvent proposée telle une panacée universelle. Grande à bien des égards, l’Amérique est aussi la patrie de l’industrie du jetable. Et c’est décidément en Donald Trump que cette Amérique-là trouve le plus enthousiaste de ses démarcheurs.