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Économie - Monnaie

Change livre / dollar : une fin de semaine fébrile

Alors que la présidence libanaise évoque des pressions contre le pays, la Banque centrale veut limiter les importations de carburant en fixant un plafond annuel.

Le Premier ministre, Saad Hariri, et le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, jeudi au Grand Sérail. Photo Dalati et Nohra

Face à une inquiétude de plus en plus tangible des Libanais quant à la situation monétaire du pays, les responsables politiques se rejettent la responsabilité. Le chef de l’État, Michel Aoun, a déclaré qu’il n’avait pas connaissance de ce qui s’était passé au Liban lors de sa visite officielle à New York, indiquant que « la personne de référence sur la situation monétaire est le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, et pour les finances publiques, le ministre titulaire Ali Hassan Khalil ».

Le ministre des Affaires étrangères et des Émigrés, Gebran Bassil, en déplacement au Canada, a, lui, fait état de « pressions extérieures » sur l’économie et la livre libanaise, un point également soulevé par le président Aoun, accusant au passage des « partenaires internes » de « conspirer » contre le pays. M. Bassil a néanmoins admis que l’État avait « une part de responsabilité » dans cette situation.

Sur le terrain, la réalité est inquiétante. Si officiellement, le billet vert s’échange à un taux fixe – de 1 507,5 livres – depuis 1997, l’accès au dollar, qui circulait relativement librement jusqu’ici, est de plus en plus difficile pour les importateurs comme pour les citoyens lambda. Ces derniers jours, les retraits de billets verts à travers les distributeurs automatiques comme les guichets ont été fortement limités. Le prix demandé par les cambistes et, depuis peu, même par un nombre croissant de commerçants, dépasse le seuil des 1 600 livres.

Les dernières semaines ont en outre été marquées par la mobilisation des distributeurs de carburant et la grogne des minotiers qui ont protesté contre les difficultés qu’ils rencontrent pour échanger leurs livres en dollars sur le marché local. Signe de la fébrilité ambiante, hier au cours de la journée, certaines informations faisaient état d’une grève des vendeurs de téléphones portables pendant quatre jours. Une information néanmoins démentie en soirée.


(Lire aussi : « Sans les émigrés qui envoient de l’argent au Liban, que deviendrait-on ? »)


Panique « artificielle »

Il faut néanmoins noter que le taux utilisé pour les transactions bancaires (qui a toujours été plus élevé de quelques livres que le taux officiel pour inclure les marges des banques) est, lui, resté stable, tout comme les taux interbancaires – ceux pratiqués au jour le jour pour les achats de liquidités entre les banques. Des éléments qui ont fait dire, hier, au président de l’Association des banques du Liban (ABL), Salim Sfeir, que la panique qui règne actuellement dans le pays est « artificielle ».

Il reste que la mobilisation des importateurs de carburants et des minotiers a poussé le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, à annoncer en début de semaine qu’il allait « émettre une circulaire mardi prochain pour réguler le financement des importations de blé, de médicaments et de carburant en dollar ». Le syndicat des propriétaires de stations-service, ayant initié un mouvement de grève surprise jeudi soir qui n’avait finalement été que peu suivi, a par ailleurs décidé hier de suspendre sa mobilisation après un entretien avec le Premier ministre, Saad Hariri, au cours duquel ses membres ont été informés des contours du mécanisme préparé par la BDL. Le président du syndicat, Sami Brax, a affirmé qu’un accord avait été trouvé pour que les distributeurs de carburant puissent payer leurs fournisseurs en livres.


(Lire aussi : Cordahi : La BDL n’intervient pas assez pour protéger la livre)


Administrer les taux

Selon une source gouvernementale, le dispositif mis en place par la BDL viserait également à limiter les importations de carburant en fixant un plafond annuel calculé en fonction de la quantité moyenne importée lors des années précédentes, que le pays semble avoir déjà largement dépassée cette année. « Il s’agit là d’une façon d’administrer les taux en limitant la quantité de dollars qui peut sortir du système, ce qui est en contradiction avec le système libéral suivi jusqu’ici », commente un économiste contacté par L’Orient-Le Jour, avant d’ajouter : « On garde l’illusion que l’on fonctionne comme avant. »

Selon les chiffres des douanes, le Liban a déjà importé plus de 7,6 millions de tonnes de carburant sur les sept premiers mois de l’année contre un total de près de 6,6 millions sur l’ensemble de l’année 2018. En outre, la source gouvernementale précise que le Liban a déboursé pas moins de 3,1 milliards de dollars pour financer ces importations au premier semestre, contre seulement 1,3 milliard à la même période un an plus tôt. Aucune explication officielle concernant les raisons de cette différence n’a pour l’instant été avancée par les autorités. Mais la source précitée l’impute à des « importations destinées à alimenter le marché syrien », alors que le régime de Bachar el-Assad est la cible de sanctions internationales.


(Lire aussi : Pas de pénurie de dollars dans les banques libanaises, affirme Salamé)



Thésaurisation de dollars

Mais pour Charbel Cordahi (lire son interview express ici), le conseiller économique du Courant patriotique libre – le parti du président Aoun – l’accentuation récente de la raréfaction du dollar sur le marché des changes résulte d’une décision délibérée de la Banque centrale. « La BDL a cessé d’intervenir sur le marché des changes, ce qui fait que le taux de change est désormais fixé par l’offre et la demande. Cela a accentué la panique et a poussé bon nombre de personnes à thésauriser leurs dollars, augmentant ainsi la demande sur le dollar et son prix », a-t-il détaillé jeudi sur son compte Twitter. Pour lui, « la Banque centrale est en capacité de couvrir le gap entre l’offre et la demande en intervenant sur le marché et en vendant des dollars ».

Une analyse en partie partagée par l’économiste précité. « Lorsqu’une banque centrale fixe la valeur de la monnaie sur une devise, elle s’engage à maintenir ce prix en intervenant sur le marché. Or maintenant, la BDL refuse de jouer ce rôle avec les banques, lesquelles ont en contrepartie resserré la quantité de dollars qu’elles décaissent, ce qui contribue à la raréfaction du billet vert sur le marché et donc gonfle son prix. La BDL semble décidée à laisser la valeur de la livre sur le marché secondaire se fixer en fonction de l’offre et la demande », développe-t-il.

Une analyse néanmoins contestée par certaines sources bancaires qui martèlent que la BDL aurait communiqué tout changement opéré dans sa façon de gérer sa politique monétaire. Jeudi, le Premier ministre et le gouverneur de la BDL s’étaient réunis au Grand Sérail pour évoquer la situation financière et monétaire. À son arrivée, le gouverneur avait répété, comme il l’avait fait en début de semaine, qu’il n’y avait pas de « crise du dollar ».



(Lire aussi : Retraits de dollars : Aoun dénonce des "pressions extérieures", Bassil des "complots internes")



Ajustements

Toujours sur son compte Twitter, Charbel Cordahi a, lui, demandé, « aux autorités monétaires d’intervenir et de vendre des dollars sur le marché. Un retour à la stabilité sur le marché encouragera l’entrée de dépôts d’une manière qui surpassera les demandes des spéculateurs ». Le conseiller précise enfin que « la thésaurisation des dollars par les Libanais varie, selon les estimations, entre 1,5 et 2 milliards de dollars sur cette période, du fait des préoccupations qui s’accentuent et du non-avancement des réformes ». Pour l’économiste précité, « s’il y a beaucoup moins confiance dans la livre, c’est parce que les épargnants et les investisseurs croient de plus en plus difficilement en la capacité des dirigeants à redresser une économie qui montre clairement des signes de récession. C’est un sentiment profond que même l’annonce fin août par la BDL d’une hausse de 1,4 milliard de dollars de nouveaux dépôts » issus du secteur privé non résident « n’a pas pu inverser ».

La raréfaction du dollar sur le marché des changes survient à un moment où le débat sur la pertinence du modèle économique du pays et sa stabilité financière occupe une place importante dans le débat public.

« Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un ajustement à faire. Il reste à savoir lequel. La révision du taux de change de façon ponctuelle et limitée est un moyen qui pourra contribuer à baisser la pression sur les taux d’intérêt, et donc relancer l’économie, mais cela pénalisera les personnes qui encaissent leurs revenus en livres, sans parler de l’impact sur la réputation du secteur financier libanais. Il y a aussi le scénario d’une restructuration de la dette, qui ne semble pas être privilégié vu que cela enverrait un signal très négatif aux investisseurs étrangers. Il y a enfin la possibilité que les dirigeants libanais prennent leurs engagements au sérieux et lancent une première salve de mesures d’urgence pour réduire le déficit public, ce qui permettra au pays de gagner assez de temps pour restructurer l’économie en profondeur. Un scénario qui semble pour l’heure peu crédible au regard de leur bilan depuis la conférence de Paris d’avril 2018 (la CEDRE) », conclut l’économiste.



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Face à une inquiétude de plus en plus tangible des Libanais quant à la situation monétaire du pays, les responsables politiques se rejettent la responsabilité. Le chef de l’État, Michel Aoun, a déclaré qu’il n’avait pas connaissance de ce qui s’était passé au Liban lors de sa visite officielle à New York, indiquant que « la personne de référence sur la situation...
commentaires (3)

"M. Bassil a néanmoins admis que l’État avait « une part de responsabilité » dans cette situation." C’est à dire que la responsabilité est partagée de la façon suivante: Gouvernement: 1% - pour être complètement incompétent (pour rester politiquement correct...) Peuple: 99% - pour avoir "voté" ce gouvernement en place C’est aussi simple que ça.

Gros Gnon

09 h 31, le 28 septembre 2019

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Commentaires (3)

  • "M. Bassil a néanmoins admis que l’État avait « une part de responsabilité » dans cette situation." C’est à dire que la responsabilité est partagée de la façon suivante: Gouvernement: 1% - pour être complètement incompétent (pour rester politiquement correct...) Peuple: 99% - pour avoir "voté" ce gouvernement en place C’est aussi simple que ça.

    Gros Gnon

    09 h 31, le 28 septembre 2019

  • Nous découvrons enfin de quoi souffre le Liban , d’un virus et d’une bactérie : - Le premier en médecine on l’appelle Ebola et à décimé en Syrie plus de 500000 personnes dont 150000 enfants mais ce virus est malin il a quand même su reconnaître les Takfiristes avant de les tuer .Malheureusement il épargne des dictateurs Syrien obligeant 1 500 000 Syriens à rester au Liban provoquant un stress hydrique du territoire et un stress psychologique du peuple Libanais. - Le second en médecine on l’appelle le bacille et permet par une savante infection du citoyen Libanais de transformer en lui les lettres bibliques en lettres Persanes c est le syndrome des globules oranges . Pour le second , remède il existe ! Pour le premier hélas pessimiste !

    PROFIL BAS

    01 h 57, le 28 septembre 2019

  • SEULES LES IMPORTATIONS POUR LE MARCHE LIBANAIS DEVRAIENT ETRE AUTORISEES. OR ACTUELLEMENT ET DEPUIS LES DERNIERES ANNEES LES IMPORTATIONS ONT AUGMENTEES AVEC LE TRAFIC VERS LA SYRIE. LES TRAFICANTS SONT PAYES EN LIVRES SYRIENNES OU LIBANAISES QU,ILS ECHANGENT EN DOLLARS SUR LE MARCHE LIBANAIS CE QUI A CREE LA CRISE DU DOLLAR AU LIBAN. FAUT METTRE UN TERME SI ON NE VEUT PAS FAIRE DU MAL AU PAYS ET A SON SYSTEME BANCAIRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 37, le 28 septembre 2019

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