Crise du dollar, craintes d’une pénurie d’essence et d’une dévaluation de la livre, des collectifs qui s’apprêtent à manifester demain dans le centre-ville de Beyrouth… La grogne sociale ne fait que s’amplifier. C’est dans ce contexte que le chef de l’État, Michel Aoun, et le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, ont attribué, hier, l’un à « l’étranger », l’autre à des « parties locales », la responsabilité d’une crise qui va crescendo. Des discours qui suscitent de sérieuses craintes quant à un éventuel regain des tensions politiques, apaisées, en principe, par les récentes réconciliations. S’exprimant devant les journalistes qui l’ont accompagné à New York où il s’était rendu pour prendre part à la session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU, Michel Aoun n’a pas voulu commenter la toute dernière grogne sociale. Il a toutefois fait savoir que le pays et son économie nationale « font face à des pressions extérieures », mais que celles-ci « ne sont pas nouvelles ». Et le président de la République d’appeler à « temporiser avant de se prononcer sur ce plan, surtout pour ce qui est de la crise du dollar ».
Mais c’est surtout Gebran Bassil qui a créé la surprise en optant ouvertement pour une escalade verbale dans un contexte politique et économique déjà tendu. S’exprimant lors d’une rencontre avec la diaspora libanaise du Canada, le chef du CPL n’a pas mâché ses mots en décochant ses flèches en direction de « certains partenaires locaux ». Mettant en garde contre une « discorde économique », M. Bassil a déclaré : « Nous faisons face à des pressions extérieures, tant sur notre économie que sur notre monnaie nationale. D’autant que certains partenaires locaux complotent contre le pays et son économie. » Et de renchérir : « Certains Libanais donnent une image erronée (du pays) pour monter les citoyens contre l’État, au lieu de se solidariser pour tourner la page de la phase actuelle. (...) Il est très facile de monter des histoires de toutes pièces. Mais le vrai problème réside dans le fait que ceux qui œuvrent pour le chaos exécutent un agenda extérieur, croyant pouvoir ainsi enregistrer des gains sur le plan strictement intérieur. »
Simon Abiramia, député CPL de Jbeil, n’a pas tardé à abonder dans le même sens. Dans un entretien radiodiffusé, il a adhéré, lui aussi, à cette approche pour expliquer le fait que les crises n’en finissent pas de s’amplifier sous le mandat Aoun. « La situation économique est critique, mais il n’est pas question d’effondrement, comme veulent le faire croire ceux qui diffusent des rumeurs à des fins politiques, en l’occurrence pour porter atteinte au sexennat du général Michel Aoun », a-t-il estimé.
Les propos de Gebran Bassil sont d’autant plus notables qu’ils coïncident avec des rumeurs ayant circulé récemment dans des milieux politiques sur des « tentatives de décourager » certains pays et organismes désirant aider le Liban.
Quoi qu’il en soit, cette escalade verbale de la part du chef de la diplomatie n’est certainement pas sans susciter des interrogations, voire même des craintes, quant à un éventuel regain des tensions politiques. Dans les milieux du CPL joints par L’Orient-Le Jour, on évite cependant de pointer ouvertement un doigt accusateur en direction d’un camp bien déterminé pour expliciter les propos de Gebran Bassil. Allant encore plus loin, on écarte toute possibilité de retour aux querelles habituelles relevant de la politique politicienne, du moins pour le moment. On confie, cependant, qu’il est nécessaire de stabiliser la situation du pays, avant de remédier aux problèmes observés récemment.
(Lire aussi : Complots à plein pot, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Le PSP entre l’accalmie et l’électricité…
En face, et contrairement à ce qu’auraient voulu les plus pessimistes, c’est avec une volonté manifeste de distiller un climat d’apaisement que les divers protagonistes semblent vouloir réagir aux dernières déclarations du chef du CPL. Cela s’applique surtout au courant du Futur, attaché à l’entente élargie de 2016, et au Parti socialiste progressiste. Contacté par L’OLJ, un responsable au sein de cette formation, qui a requis l’anonymat, se contente de dénoncer « les accusations de traîtrise ». Et d’affirmer que le PSP est toujours attaché à l’accalmie scellée lors la rencontre, tenue le 7 septembre, entre Gebran Bassil et Teymour Joumblatt, député PSP du Chouf.
Il n’en reste pas moins que cette volonté de maintenir le calme, même précaire, entre Moukhtara et le CPL n’occulte aucunement les flèches de Walid Joumblatt en direction de M. Bassil et sa formation quant à la gestion du dossier de l’électricité, un dossier géré par les aounistes depuis 2008. En témoignent les récents tweets du leader de Moukhtara critiquant un éventuel retour à la location de navires-centrales. Un choix qui s’était heurté, en 2017 et 2018, au veto de Moukhtara. À ce sujet, le responsable PSP est soucieux de mettre les points sur les i : « Nos opinions ne visent personne. Mais il est intolérable de continuer à aller à l’encontre de la logique des choses », déplore-t-il, insistant sur l’importance d’opérer des réformes dans ce secteur, à commencer par la mise sur pied du comité de supervision de l’électricité.
Les Forces libanaises, dont les rapports avec le parti de Gebran Bassil sont en dents de scie depuis des mois, préfèrent également ne pas plonger dans une nouvelle polémique avec ce parti. « D’autant qu’il ne nous a pas attaqués frontalement, et que tout le monde est conscient de la nécessité d’accorder la priorité à la très grave crise économique et sociale actuelle », précise un cadre FL à L’OLJ, soulignant, toutefois, que cela n’exclut pas la possibilité de voir certains discours axés sur une escalade verbale. « Il s’agit d’une façon de redynamiser la vie politique », estime-t-il.
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06 h 07, le 29 septembre 2019