Baabda, dimanche à 16h15. Le chef de l’État Michel Aoun reçoit des visiteurs dans son aile privée et prépare les grandes lignes de la réunion économique de lundi. Les nouvelles commencent à tomber les unes après les autres à un rythme accéléré. Les visiteurs du président commencent à être tendus. Ils s’inquiètent, mais essaient de ne pas trop le montrer. Michel Aoun reste imperturbable, lit les nouvelles qui lui sont transmises, parle au téléphone et ne fait pas de commentaire. Les visiteurs n’osent pas poser de questions mais attendent une réaction. Voyant qu’ils commencent à être sérieusement perturbés, le chef de l’État leur dit avec un grand calme : « Ne vous en faites pas. Il n’y a pas de guerre. Il y a eu une agression à laquelle les Libanais ont le droit de riposter. C’est ce qu’ils sont en train de faire. L’affaire en restera là. » Les visiteurs sont impressionnés par le ton assuré du président, qui ne laisse aucune place au doute. De fait, après l’opération du Hezbollah, réalisée dans un lieu inattendu pour les Israéliens, puisqu’il est situé à 5 km en profondeur à partir de la frontière officielle et qui n’est visible à partir du Liban que d’un seul angle (ce qui, d’ailleurs, a complètement déstabilisé les Israéliens qui n’ont pas compris comment le Hezbollah peut lancer les missiles antichars Cornett simultanément à partir d’un angle aussi étroit), tout le monde était dans l’attente de la réaction israélienne. Tout le monde, sauf Michel Aoun, qui a affirmé à ses visiteurs qu’il n’y aura pas d’affrontement d’envergure, tout en les pressant de poursuivre leurs activités normalement. Les Israéliens ont ainsi lancé une centaine d’obus, qui sont tombés dans les champs limitrophes de la frontière, évitant soigneusement les localités habitées. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a ensuite déclaré que l’affaire était close...
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À ceux qui, par la suite, ont demandé au chef de l’État pourquoi il est resté si calme et tellement certain que les événements n’allaient pas déraper, Michel Aoun a répondu avec une grande sérénité en précisant que tout avait été étudié minutieusement. Il n’était pas question de laisser Israël lancer une attaque contre la banlieue sud de Beyrouth sans réagir. Il fallait lui transmettre un message clair pour lui rappeler que ces attaques ne doivent plus être possibles, tout en prenant soin de ne pas aller plus loin. Le droit du Liban de riposter avait été discuté dans le cadre de la réunion du Haut Conseil de défense qui avait eu lieu à Baabda, au lendemain de l’agression israélienne. Le Liban avait d’ailleurs contacté les ambassades arabes et occidentales pour les informer de sa décision. Et dimanche, Baabda, le Sérail, Aïn el-Tiné (en fait le président de la Chambre est au Sud, à Msaïleh, pour la commémoration de la disparition de l’imam Moussa Sadr), et le ministère des AE étaient en contact permanent avec les parties concernées pour éviter tout dérapage et maintenir la situation sous contrôle.
Selon ses proches, le chef de l’État qui, au cours de sa longue carrière militaire, a connu, subi et mené de nombreuses batailles, est toujours serein en période de crise, et le calme qu’il affiche a toujours un effet positif sur son entourage. Une de ses grandes qualités de chef militaire a toujours été non seulement de savoir motiver ses troupes, mais aussi de ne jamais laisser de place à la panique et au découragement. En plus, il a toujours une vision globale qui lui permet de comprendre la portée et de mesurer l’ampleur des développements.
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Hier donc à Baabda, après la secousse de la veille, les efforts étaient concentrés sur la réunion économique élargie qui s’est tenue dans l’après-midi. L’idée de cette réunion est venue du président lui-même qui estime que la situation financière est grave, mais pas catastrophique, et qu’elle peut être traitée à condition de ne pas perdre trop de temps. Il y a eu une première réunion économique à Baabda, le 9 août, avant la fameuse réconciliation politique qui avait mis un terme à l’affaire dite de Qabr Chmoun. Mais comme il y a eu au cours de cette réunion des échanges d’idées, le chef de l’État avait préféré en organiser une autre, destinée à passer aux décisions concrètes. Il a pris soin auparavant de s’entretenir avec les parties concernées, comme le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé et le président de l’Association des banques Salim Sfeir, et, bien sûr, le ministre de l’Économie Mansour Bteich. Il a ensuite formé une commission de spécialistes économiques regroupant notamment Charbel Cordahi, Ghazi Wazni, Mazen Soueid et Abdel Halim Fadlallah, chargée d’élaborer un document de travail qui devrait être soumis aux personnalités politiques et économiques participant à la réunion de Baabda. Selon ses proches, le chef de l’État sait qu’en matière d’économie, il y a plusieurs écoles et plusieurs approches, mais l’idée était de réunir les différentes propositions dans le cadre d’un plan cohérent et surtout d’accélérer le processus, tout en poussant toutes les parties politiques à assumer leurs responsabilités. Même si plusieurs participants sont arrivés avec leurs propres idées, l’ordre du jour central est de discuter le plan élaboré par la commission. Chacun peut aussi ajouter son apport et ses idées, mais toujours dans un souci d’efficacité et surtout de lancer des propositions applicables. Il ne s’agit donc pas de débattre de grandes options économiques et financières, mais d’agir rapidement pour empêcher une plus grande détérioration de la situation. La communauté internationale a en effet les yeux fixés sur les décisions économiques et financières que devrait prendre le Liban.
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commentaires (8)
Le droit du Liban de riposter avait été discuté dans le cadre de la réunion du Haut Conseil de défense... donc on nous aurait menti, c’est le Liban officiel qui a réagit face aux agréssions israéliennes....
C…
15 h 16, le 03 septembre 2019