Coups de semonce sur la baronnie financière syrienne ou début de purge? La rumeur enfle depuis trois jours autour du sort de Rami Makhlouf, l’homme le plus riche du pays et cousin germain du président syrien, considéré comme le fer de lance de la corruption par les opposants au régime et par les Occidentaux.
Divers sources et médias anti et prorégime ont allumé la mèche mardi en rapportant que le businessman se trouverait actuellement en résidence surveillée et que ses biens auraient été saisis. Une série de mesures auraient été ordonnées par la présidence contre les actifs de plusieurs de ses sociétés, notamment l’entreprise de télécommunications Syriatel, sous couvert de « lutte contre la corruption ». Certaines sources affirment que ses deux frères Iyad et Ihab Makhlouf se trouveraient également en résidence surveillée, d’autres estimant même que 29 industriels et financiers seraient actuellement dans la même situation.
Sur les réseaux sociaux, les comparaisons avec l’épisode du Ritz-Carlton de Riyad – lors des purges initiées par le prince héritier Mohammad ben Salmane en 2017 – vont bon train.
Une source politique à Damas a confirmé à L’Orient-Le Jour l’existence d’une querelle entre le pouvoir et trois hommes et partenaires en affaires : Rami Makhlouf, Houssam el-Katerji et Mohammad Hamcho. Les raisons de la discorde demeurent, à ce jour, obscures, mais la source affirme que ces derniers ne se trouvent pas en résidence surveillée. Mohammad Hamcho a notamment été aperçu lundi à la foire internationale de Damas. Cette affaire qui touche le cercle très fermé de la bourgeoisie d’affaires syrienne, ayant su profiter de la libéralisation économique du pays et bénéficiant jusque-là de la protection des Assad, a généré différentes interprétations, parfois tirées par les cheveux, et jusqu’ici invérifiables.
La première version, et la plus répandue, avance que la Russie, alliée du régime, aurait exigé de la présidence syrienne le remboursement de ses dettes à hauteur de plusieurs milliards de dollars, suggérant de trouver les fonds nécessaires auprès du richissime Rami Makhlouf. Une autre interprétation de cette bisbille évoque la trop grande accointance du cousin avec les Iraniens. Une autre, enfin, parie sur la rivalité entre les deux cousins et la jalousie de Bachar el-Assad pour qui Rami aurait acquis une trop grande influence au sein du camp alaouite.
Un autre baron de la finance, Firas Tlass, fils de l’ancien ministre syrien de la Défense Moustapha Tlass, et qui s’est exilé à Paris en 2012 après avoir rejoint le camp de l’opposition, a publié mardi sa version des faits sur sa page Facebook. Bachar el-Assad aurait demandé à son cousin Rami de lui octroyer deux milliards de dollars, mais ce dernier aurait refusé. Des agents du bureau de sécurité du palais seraient alors allés débusquer tous les gérants des sociétés détenues officieusement par le cousin. Les « convocations » musclées auraient attisé les rumeurs d’une purge.
(Pour mémoire : Quand le clan Assad rackette ses propres partisans)
Sanctions internationales
Le destin des deux grandes lignées syriennes Assad et Makhlouf sont intimement liées. Mohammad, le père de Rami et frère d’Anissa, la mère de Bachar, était en charge de la trésorerie du clan. La famille est décrite comme « le pilier de l’édifice porté par Hafez et légué à son fils », dans l’ouvrage de Ziad Majed, Farouk Mardam Bey et Subhi Hadidi, Dans la tête de Bachar el-Assad. Rami Makhlouf a grandi aux côtés de ce dernier et aurait très largement participé au financement de la répression de 2011 ainsi qu’aux efforts de guerre, notamment en payant les salaires des chabbihas. Le puissant businessman contrôlerait près de 60 % de l’économie syrienne, de la téléphonie mobile au tourisme, boutiques de luxe, transports, pétrole, banque, jusqu’aux produits alimentaires. Sous sanctions internationales depuis 11 ans, Rami Makhlouf a été décrit dans des câbles diplomatiques américains comme le « poster boy de la corruption » syrienne. Honni par l’opposition syrienne et désapprouvé par la communauté internationale, ce dernier a tenté de se refaire une virginité en se débarrassant, du moins en façade, de ses intérêts commerciaux en Syrie pour s’afficher en défenseur numéro un de la veuve et de l’orphelin.
Depuis la mort, en 2016, de la matriarche du clan Assad, Anissa Makhlouf, les liens familiaux se seraient, selon des observateurs, quelque peu dissolus. Michel Duclos, ancien ambassadeur français en Syrie, décrit l’homme comme le « prédateur en chef pour le clan familial », dans son ouvrage La longue nuit syrienne. Un article mis en ligne mardi par The Syria Report, revenant sur les rumeurs à Damas concernant la disparition soudaine de Rami Makhlouf, estime que « quelque chose semble s’être brisé dans la relation entre les familles Assad et Makhlouf » et qu’il « ne fait aucun doute que les entreprises de Rami soient ciblées ». « Un conflit entre les deux ne peut donc être que la conséquence de profondes différences, qui ne se limitent pas à de la géopolitique. Plutôt qu’à une pression russe, la querelle doit être liée à quelque chose de beaucoup plus personnel concernant les intérêts fondamentaux de Bachar », affirme l’article.
(Pour mémoire : La CJUE maintient le gel de fonds de Rami Makhlouf, cousin d'Assad)
Les deux autres gros bonnets au cœur de cette affaire, selon la source damascène, figurent parmi les plus importantes fortunes du pays, qui se seraient encore plus enrichies durant la guerre.
Comme Rami Makhlouf, le député et milliardaire Mohammad Hamcho a profité des faveurs du régime et investi dans une multitude de secteurs de l’économie syrienne. Il est visé par des sanctions américaines (depuis 2011) et européennes, notamment pour ses liens très proches avec Maher el-Assad, le frère de Bachar.
Houssam al-Katerji, également sous sanctions internationales, s’est quant à lui fait connaître du public après la mise en ligne d’une enquête de Reuters datant de 2017 et intitulée « Comment un homme d’affaires a conclu un accord avec l’État islamique pour aider Assad à nourrir les Syriens ». Originaire de Raqqa, ce membre du Parlement aurait, à travers sa société Katerji, fourni en blé les territoires sous contrôle du régime, marchandise directement négociée auprès des administrateurs et fermiers dans les zones gérées par l’État islamique. D’autres articles ont évoqué son rôle dans la conclusion de contrats de transport de pétrole depuis des zones sous contrôle de groupes kurdes.
Pour mémoire
La fin d’une génération d’hommes d’affaires syriens
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commentaires (11)
Alors...cette chère et précieuse Syrie-soeur a le privilège de compter plusieurs "héros" du même sang...et en plus bourrés de frick ? C'est intéressant tout ça...n'auraient-ils pas quelques millions à donner à ce pauvre petit Liban-frère qui croule sous les dettes ? Et qui en plus héberge des centaines de leurs citoyens-soi-disant-réfugiés-syriens ? Irène Saïd
Irene Said
21 h 08, le 30 août 2019