Le régime syrien ne récompense pas ceux qui lui ont été loyaux. Bien au contraire. Alors que le conflit entre aujourd’hui dans sa neuvième année, le clan Assad, financièrement à genoux, a commencé depuis quelques mois à racketter la population qui vit dans les zones qu’il contrôle pour se maintenir au pouvoir.
Alors que les espoirs d’un début de reconstruction du pays ravagé par 8 ans de guerre s’amoindrissent de jour en jour et que le gouvernement syrien subit de plein fouet des sanctions internationales, ce dernier semble vouloir se venger sur sa propre population en leur infligeant des amendes astronomiques à payer pour subvenir aux besoins d’un régime qui ploie sous le poids d’une crise économique aiguë, malgré les victoires militaires sur le terrain réalisées grâce à ses alliées iranien et, surtout, russe.
Pour se maintenir au pouvoir, le gouvernement de Damas se sert d’un nouveau levier afin de remplir ses caisses en imposant des impôts faramineux à la population sous contrôle du régime.
Impôts, taxes et amendes
Plusieurs quartiers de la capitale ont subi ces derniers mois la visite du bureau de la protection du consommateur qui investit les magasins pour contrôler les prix. En cas de présence de marchandises dont on ne peut tracer l’origine et pour lesquelles il n’existe pas de factures, les responsables des magasins sont sanctionnés par d’imposantes amendes. Un commerce peut ainsi subir une double amende: en l’absence des justificatifs demandés, il est d’abord sanctionné par les douanes et devra, en sus, payer des amendes à l’État.
« Je connais plusieurs boutiques et petits commerces de quartier qui ont préféré mettre la clé sous la porte parce qu’ils ne peuvent trouver les sommes exigées », explique Farès*, un homme d’affaires syrien. Une supérette par exemple risque de payer jusqu’à 10 millions de livres syriennes, donc près de 20 000 dollars, en cas de problème avec des marchandises. Un montant énorme pour un petit établissement.
Les commerces sont également assujettis à des taxes forfaitaires. Or, celles-ci ont augmenté de 5 et 10 % depuis le début de l’année. À ces taxes, il faut ajouter l’impôt sur le revenu. En la matière, le ministère des Finances a adopté une règle d’évaluation et de calcul basée sur les profits anciens tout en jouant sur l’évolution des cours des change en sa faveur pour évaluer les profits actuels. Exemple: si, en 2011, avant le début de la guerre, une entreprise affichait un profit de 200 000 livres par an, cela revenait, à l’époque, à 40 000 dollars (1 dollar égalait 5 livres avant la guerre). Elle payait donc ses impôts sur cette base. Aujourd’hui, ces 40 000 dollars correspondent à 20 000 000 de livres syriennes, 1 dollar valant aujourd’hui 520 livres syriennes. L’État ayant décidé d’imposer une entreprise sur la base de son profit, en dollars, d’avant-guerre, le montant de l’impôt est décuplé. Un montant auquel il faut ajouter les pénalités pour les années de retard.
« C’est à pleurer, estime Mahmoud, un commerçant damascène partisan du pouvoir, contacté via WhatsApp par L’OLJ. Mais on ne peut rien dire. » « Si cela continue, je vais fermer boutique et je pense sérieusement quitter ce pays », ajoute-t-il.
(Lire aussi : Assad e(s)t le chaos, le commentaire d'Anthony SAMRANI)
L’inflation a également explosé ces dernières années. Le kilo de viande est désormais à 10 000 livres, alors qu’il était à 2 000 avant la guerre. Une bonbonne de gaz, en pleine guerre, coûtait 2 500 livres syriennes. Aujourd’hui, son prix officiel est de 8 000 livres, quand on en trouve une. En conséquence, c’est souvent sur le marché noir qu’il faut s’approvisionner pour un prix frôlant parfois les 16 000 livres la bonbonne, rapporte encore Mahmoud. La situation est d’autant plus dure pour les Syriens que, malgré la hausse des prix et la chute de la livre, les salaires n’ont pas augmenté en parallèle.Les Syriens subissent aussi de plein fouet des pénuries de plus en plus fréquentes de fioul et d’essence. Pour y pallier, l’État a créé des « cartes intelligentes » utilisées dans les stations-service. Une voiture a droit à 20 litres d’essence par semaine. Une famille a droit à 200 litres de fioul par mois.
Dans ce contexte, Georges, un marchand syrien ayant une entreprise à Damas et à Beyrouth, rechigne à retourner dans son pays. « Avec toutes les taxes que je dois payer et la cherté de vie qui devient insupportable à Damas, je pense sérieusement rester au Liban. D’ailleurs, dans mon domaine, il y a un embargo venant des fournisseurs européens. Et le pays est noyé désormais par des produits russes. Je n’ai plus rien à faire à Damas. » Signe de l’angoisse de la population, Georges préfère, de peur d’être reconnu, ne pas dire quel type de produit il vend.
Population mécontente
« Le régime et ses proches ont accumulé une richesse telle qu’ils peuvent à eux seuls reconstruire le pays », dénonce Farès, l’homme d’affaires. À part la clique traditionnelle autour de Bachar el-Assad, comme son cousin Rami Makhlouf, un nouveau cercle s’est constitué récemment, dont l’une des figures est l’homme d’affaires qui monte, Samer Foz, cible de sanctions américaines. Cette course aux richesses vise, d’une part à compenser les affaires des proches qui ont été touchés par des sanctions et, d’autre part, à financer les milices prorégime et acheter leur loyauté.
Avec la baisse d’intensité du conflit militaire, « nombre de miliciens se sont recyclés sur le marché noir en faisant de la contrebande de marchandises ou en » intermédiaires «, moyennant rémunération », pour les Syriens lambda qui cherchent désespérément un moyen d’atténuer le poids des nouveaux impôts, explique Farès.
Tout un système a donc été mis en place pour permettre aux proches du régime de continuer à s’engraisser aux dépens d’une population qui saigne de plus en plus.
Une stratégie non dénuée de risque pour le régime qui risque de noircir son image auprès des catégories qui lui sont pourtant favorables. « Même ses plus fervents partisans commencent à en avoir assez. Pendant les combats, ils avaient toujours espoir que le régime gagne et que la guerre s’achève. Aujourd’hui, l’avenir est complètement sombre. Les gens sont désespérés », affirme Farès. « Et le pire, c’est qu’ils ont vu les atrocités du régime envers la rébellion et les opposants à Assad. Personne n’ose donc ouvrir la bouche », ajoute-t-il.
Aujourd’hui, à la périphérie des régions sous le contrôle du régime, le ras-le-bol commence néanmoins à se faire sentir. Dans la région de Hama, une patrouille des douanes a été empêchée, début février, par la population et des miliciens prorusses, d’entrer dans deux villages, Kamhana et Rabiaa, des régions traditionnellement prorégime, alors qu’elle voulait dresser des procès-verbaux à l’encontre d’entrepôts stockant des marchandises entrées illégalement de Turquie.
Et en début de semaine, des manifestations ont eu lieu à Deraa, berceau du soulèvement contre le régime de Damas en 2011. Des centaines de personnes sont descendues dans les rues pour protester contre l’érection d’une statue de Hafez el-Assad. « Le régime dépense des millions pour fabriquer des statues au lieu de fournir des services à la population », avait indiqué, à L’Orient-Le Jour, un opposant sur place.
*Tous les prénoms ont été changés pour des raisons de sécurité
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commentaires (11)
"Il rackette." Comme vous y allez fort et en plus vous êtes choqué? Cela fait des lustres que la guerre est finie au Liban et devinez quoi? On continue à être racketté. Par qui? Par les mêmes qui le faisait durant les annèes de guerre et d'après guerre mais cela ne vous choque guère évidemment!
Tina Chamoun
19 h 48, le 15 mars 2019