Le groupe de rock alternatif Mashrou’ Leila. Photo tirée de la page Facebook du groupe
La campagne de diabolisation du groupe de rock alternatif libanais Mashrou’ Leila a abouti à l’annulation de son concert programmé dans le cadre du Festival de Byblos. Mais l’annulation ne vaut pas capitulation aux yeux de ceux qui dénoncent la violence de la campagne et l’atteinte qu’elle porte au vivre-ensemble au nom d’un sentiment religieux exacerbé à outrance. La polémique avait éclaté il y a quelques jours sur les réseaux sociaux en raison d’une atteinte présumée à la religion chrétienne due à une photo représentant une icône de la Vierge dont le visage a été remplacé par celui de la chanteuse Madonna, accolée à un article partagé par le chanteur du groupe, Hamed Sinno, en 2015. Deux des titres du groupe sont également pointés du doigt. Sur un plan plus implicite, l’homosexualité affichée du chanteur semble également déranger.
Onze ONG et associations libanaises se sont fédérées pour mener une contre-offensive inédite contre ceux qui ont fait la promotion de la haine et incité à la violence contre le groupe.
Cette coalition civile a annoncé mardi avoir saisi le procureur général pour que des poursuites judiciaires soient engagées « contre les personnes et les acteurs politiques ayant publiquement incité à la violence contre le groupe ». L’idée avait germé avant que ne soit prise la décision d’annuler le concert.
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Ces ONG entendent poursuivre leur action. Une réunion de concertations est prévue aujourd’hui en vue de la tenue d’une conférence de presse demain au siège de l’Agenda juridique (Legal Agenda) à Badaro, sous le titre : « L’un des droits fondamentaux de l’homme est la lutte contre l’intolérance et contre la haine : quid après l’annulation du concert de Mashrou’ Leila ? ». L’objectif de la conférence est d’« annoncer de nouvelles démarches visant à inciter l’Etat à assumer ses responsabilités ». La coalition civile dénonce le silence de l’État face à une campagne d’incitation à des actes de violence « menée dans la rue au nom de la religion sans prendre en compte la justice ni les institutions ». Une campagne d’autant plus « dangereuse » qu’elle a non seulement mené à l’annulation du concert, mais qu’elle risque d’affecter « la structure même du pays, en l’occurrence son pluralisme, au même titre que sa paix civile », selon le communiqué en date de mardi dernier.
Ce glissement a été rendu possible principalement par « la passivité » de l’État et l’inaction du pouvoir judiciaire face aux incitateurs à la violence. À l’origine de cette apathie, « le silence coupable » des partis politiques – à l’exception du parti Kataëb et du Bloc national. C’est ce que dénoncent des acteurs de la coalition, comme Ayman Mhanna, directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir.
Les partis politiques ont été pris au piège de la surenchère chrétienne. Le courant du Futur et corollairement la ministre de l’Intérieur Raya Hassan se sont abstenus de toute action, par crainte sans doute d’être accusés « d’intrusion » sunnite sur un « terrain chrétien », l’identitarisme ayant vaincu, l’Église n’aidant pas. La commission épiscopale catholique avait quasiment sommé les organisateurs à annuler le concert. Sans se prononcer directement sur cette affaire, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a déclaré hier, lors d’une cérémonie religieuse à Bkerké, que « nous prononçons des propos libres et responsables là où il le faut et sans compromis ».
Les deux grands partis chrétiens que sont le Courant patriotique libre et les Forces libanaises ont légitimé la campagne. Le premier en contribuant à la provoquer par la voix de ses partisans, notamment Nagi Hayek, les secondes en exhortant les intéressés à « coopérer » avec l’appel à l’annulation du concert.
Si la coalition civile est déterminée à mener une contre-offensive, elle risque de s’essouffler sans le relais d’une autorité politique. Plusieurs éléments semblent renforcer l’isolation des acteurs civils libéraux. Dans la rhétorique des pourfendeurs du groupe de rock, l’action civile ne serait pas justifiée puisque le concert n’a pas été annulé par la force mais par une décision volontaire du comité de Jbeil, fait remarquer Ayman Mhanna. La municipalité de Jbeil a ainsi salué hier dans un communiqué « la bonne décision que le comité organisateur du Festival de Byblos a prise (…) et qui va dans le sens de l’intérêt général et l’intérêt de Jbeil, et dans le sens du respect des symboles religieux ».
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Réactions diplomatiques
Viennent s’ajouter à cette méthode les tendances répressives du mandat qui semblent avoir lassé des acteurs libres. La multiplication des arrestations arbitraires (la dernière en date étant celle de deux membres du groupe aux mains de la Sûreté générale) a fini par produire un effet de dissuasion “chilling effect” chez de nombreux activistes, comme l’a relevé hier dans un article l’organisation Human Rights Watch.
Signe supplémentaire de la gravité de la situation pour les libertés et la modération, les réactions diplomatiques sondées sur les réseaux sociaux en réaction à cette affaire.
La représentation diplomatique de l’Union européenne et l’ambassadeur des Pays-Bas à Beyrouth ont respectivement pris position en faveur de la liberté d’expression et d’opinion, sans toutefois mentionner la polémique entourant l’annulation du concert.
L’ambassadrice du Canada au Liban, Emmanuelle Lamoureux, a quant à elle dénoncé la décision d’annuler le concert de Mashrou’ Leila qui « étouffe la voix d’une grande partie de la jeunesse libanaise (…) Il est sain de se retrouver exposé aux points de vue, opinions et croyances des autres, y compris ceux avec lesquelles on est en désaccord », a-t-elle twitté. Elle a accompagné son message d’une publication qu’elle avait précédemment postée, dans laquelle elle annonçait « être impatiente » d’assister au concert du 9 août, soulignant que le groupe libanais a « de nombreux fans au Canada ».
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commentaires (7)
Et si c'était le contraire , ils allaient jouer a Nabatieh ?
Eleni Caridopoulou
18 h 14, le 01 août 2019