Les réactions de soutien au groupe Mashrou’ Leila se sont multipliées ces derniers jours, mais il n’est toujours pas clair si leur concert, prévu le 9 août prochain au Festival de Byblos, sera maintenu. Le groupe acceptera-t-il de présenter des « excuses », comme l’a exigé l’archevêché de Jbeil? Acceptera-t-il également le principe de la censure préalable revendiqué par ceux qui demandent que certains des titres du groupe ne soient pas chantés à Byblos ?
Deux membres de la formation musicale avaient été interpellés mercredi par la Sécurité de l’État, puis relâchés sur ordre de la procureure générale du Mont-Liban, Ghada Aoun. Les deux autres membres, dont le chanteur, se trouvaient à l’étranger. Ces derniers « pourront rentrer au pays car ils ne sont pas visés par une circulaire », a précisé la juge Aoun dans un communiqué publié hier, tout en indiquant qu’il n’y aura pas de mesures supplémentaires à l’encontre du groupe. Mashrou’ Leila devrait pour sa part tenir une conférence de presse lundi ou mardi.
La polémique concernant le concert du groupe à Jbeil a éclaté il y a une semaine sur les réseaux sociaux et a donné lieu à une véritable chasse aux sorcières. En cause, une atteinte présumée à la religion chrétienne due à une photo représentant une icône de la Vierge dont le visage a été remplacé par celui de la chanteuse Madonna accolée à un article partagé par le chanteur du groupe, Hamed Sinno, en 2015. Un des titres du groupe est également pointé du doigt. Sur un plan plus implicite, l’homosexualité affichée du chanteur semble également déranger.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Nagi Baz, producteur au sein du Festival de Byblos, exprime son optimisme quant à la tenue du concert, à condition que les membres du groupe offrent des « clarifications s’ils estiment avoir intentionnellement heurté la sensibilité de quelques-uns ».
Nizar Saghiyé, directeur exécutif de l’ONG Legal Agenda, estime pour sa part que la déclaration du parquet sur le retour « sans problème » des membres du groupe présents à l’étranger « n’est pas suffisante ». « Les membres du groupe ont été menacés. Le parquet aurait dû prendre des mesures à l’encontre des personnes qui ont lancé les menaces, a déclaré M. Saghiyé. S’il y a quelque chose à reprocher au groupe, ce sera à la justice de trancher, mais on ne peut pas faire leur procès dans la rue. Ce n’est pas à l’Église non plus de faire leur procès. Si besoin, il faut un procès équitable devant les instances judiciaires », a-t-il dit.
Ayman Mhanna, directeur exécutif du centre SKeyes pour la liberté de la presse et de la culture, s’est pour sa part dit « étonné par les informations complètement erronées parues ces derniers jours à propos de Mashrou’ Leila et disséminées par des sources qui ne sont pas supposées mentir, conformément aux préceptes religieux ». M. Mhanna a par ailleurs dénoncé la prise de position « faible » de la direction du Festival de Byblos. « Le comité d’organisation du festival aurait dû soutenir les membres du groupe. Au final, il y a bien une direction artistique qui a choisi de les inviter », a-t-il souligné.
(Lire aussi : Mashrou’ Leila, de vrais musiciens d’abord)
La pétition du Bloc national
Dans un mouvement de solidarité avec Mashrou’ Leila et dans une volonté de « défendre les libertés publiques », le Bloc national a lancé avant-hier une pétition en ligne à l’adresse de la ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan. « Les signataires appellent les autorités juridiques et sécuritaires à assumer leurs responsabilités pour préserver les droits constitutionnels des citoyens. Ils s’adressent plus spécifiquement à la ministre de l’Intérieur pour garantir la sécurité du groupe et des spectateurs », explique le BN dans un communiqué accompagnant la pétition (voir par ailleurs).
« Nous refusons les atteintes aux symboles religieux et culturels, mais nous refusons également l’application discrétionnaire de la loi concernant les atteintes à la religion, et ce pour servir des intérêts politiques clairs. Les incitations à caractère confessionnel des “partis-confessions” sont ce qui attise les tensions confessionnelles et menace la paix civile et c’est à ces partis qu’il faut demander des comptes, poursuit le texte. Nous rappelons que Mashrou’ Leila a déjà pris part à des festivals libanais et internationaux. Les menaces et appels à interdire le concert sont un indice dangereux du recul des libertés publiques au Liban (…) Il s’agit d’une tentative des partis au pouvoir de détourner l’attention de leur manquement au niveau des dossiers socio-économiques », estime le BN. Un appel a même été lancé sur Facebook par des activistes en vue d’organiser un sit-in « contre l’Inquisition » lundi à 17h30, place Samir Kassir à Beyrouth.
(Lire aussi : Ex-pressions, l'éditorial de Issa GORAIEB)
« Le Liban devrait décider quel genre de pays il voudrait être »
L’association Human Rights Watch a, pour sa part, tiré à boulets rouges sur le Liban, le plaçant au même rang que certains pays répressifs de la région. « Le Liban rejoint l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Jordanie dans la censure d’un groupe musical qui a propulsé le pays du Cèdre sur la scène internationale du rock indé et qui a reçu une approbation internationale pour ses dénonciations de l’oppression, de la corruption et de l’homophobie », indique un communiqué publié hier par HRW. Le texte fait référence au fait que Mashrou’ Leila a déjà été interdit de se produire dans les pays précités. « Le gouvernement libanais devrait s’assurer que Mashrou’ Leila pourra se produire en toute sécurité. Le Liban devrait décider quel genre de pays il voudrait être : un pays qui contrôle et dicte le discours public ou un lieu de tolérance et un centre pour l’art, la musique et la culture », poursuit le communiqué.
Même son de cloche du côté du chef du parti Kataëb Samy Gemayel, qui a mis en garde hier contre « un danger qui plane sur les libertés dans le pays », se démarquant ainsi des Forces libanaises. Les FL avaient appuyé, il y a quelques jours, les appels à l’annulation du concert lancés par le Centre catholique pour l’information et l’archevêché de Jbeil. « Cela fait quelques années que nous assistons à des mesures policières qui interdisent des films et répriment des personnes qui expriment leurs avis sur les réseaux sociaux », a dit M. Gemayel lors d’une interview sur la chaîne d’informations en continu al-Horra. « Nous souhaitons que le Liban n’encourage pas les extrémistes ni ne leur permette de dominer les Libanais. Nous croyons au respect des religions mais également à la préservation de notre liberté sacrée sans laquelle le Liban n’existerait pas. »
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commentaires (4)
Y échapperons ceux qui ne sortent pas des clous et n'ont rien à dire.
Christine KHALIL
14 h 40, le 27 juillet 2019