Priez et repentez-vous, bonnes gens ! La fin de la chrétienté approche. Elle devrait avoir lieu le 9 août sur les planches du Festival de Byblos. Elle va ramper comme une peste sournoise par la voix du groupe de rock libanais Mashrou’ Leila. Mais que l’on se rassure, voilà dix jours, paraît-il, que sous la présidence du R.P. Abdo Abou Kasm, le Centre catholique d’information analyse le dossier et prépare sa riposte pour empêcher le groupe de se produire. Les membres du groupe ont été brièvement arrêtés et interrogés hier par… la Sécurité de l’État. Les jeunes musiciens ont promis de s’excuser et de réparer l’offense.
Mais que reproche-t-on à Mashrou’ Leila à une semaine de son concert ? Des paroles jugées subversives comprises dans deux chansons de leur album Ibn el-leil, paru en 2016. Et un article partagé… en 2015, par le chanteur du groupe, Hamed Sinno, sur sa page Facebook, extrait du blog d’un intellectuel américain, activiste des droits de l’homme, diplômé de Harvard. Le blog s’appelle Paper Bird et son auteur signe ses papiers Scott Long. L’article en question est une étude sur les « Icônes », homosexuelles s’entend, et la manière dont la communauté gay, particulièrement vulnérable et isolée dans presque toutes les sociétés du monde, s’attache à des personnalités célèbres auxquelles elle s’identifie, qu’elle s’approprie comme une sorte de bouclier magique et qu’elle glorifie. Cet article est illustré d’une série de portraits de la star pop Madonna apposés sur une icône byzantine, d’un artiste inconnu qui pourrait être, selon certains, de par le style, l’artiste anonyme syrien Saint Hoax. Exhumée après un oubli de près de 5 ans, isolée de son contexte, l’image de Madonna en icône byzantine a été attribuée à Hamed Sinno et brandie par une bande d’allumés comme preuve que Sinno et son groupe incitent à la haine sectaire et insultent les symboles chrétiens.
Pour ce qui est des chansons incriminées, l’album tout entier auquel elles appartiennent est inspiré des fêtes païennes de l’Antiquité. L’une d’elles est adressée à Aeode ou Aiode, fille de Zeus et l’une des muses béotiennes, muse de la voix et du chant. Certes, les paroles peuvent être jugées provocantes dans un contexte de susceptiblité religieuse exacerbée : « Je vais noyer mon chagrin, oublier mon nom et me donner à la nuit/ baptiser mon foie dans le gin/danser pour exorciser les djinns/tremper mon foie dans le gin/au nom du père et du fils. » Dans cette incantation, le chanteur promet à la déesse de se débarrasser de ses démons (ses tourments et ses blocages, bien sûr) pour recevoir la grâce de l’inspiration.
En gros, une grossière manipulation (l’icône) et un tragique malentendu. Y a-t-il de quoi susciter une telle levée de boucliers, un tel lynchage organisé, avec interdiction au groupe de mettre les pieds dans la « sainte terre » de Byblos ? Cette tempête ridicule aura au moins offert à la république une petite feuille de vigne pour cacher sa misère et une occasion au clergé, en ces temps difficiles, de flatter ses ouailles en leur offrant un bouc émissaire. Une petite côtelette de bouc. La vraie victime de cette histoire est l’exception culturelle libanaise, réputée l’une des plus tolérantes du monde arabe. Mais tout est relatif.
Merci chère Fifi .... Si en Europe on étouffe à cause de la chaleur caniculaire, au Liban on est asphyxié par le manque d'oxygène. L'air ambiant est lourd, chargé de fragrances putrides que dégagent les miasmes pestilentiels du fanatisme religieux démentiel. Plus personne ne parvient à raisonner froidement. Touche pas à ma religion !!! Touche pas à l'identité de mon groupe !!! Tel est le mot d'ordre. Pendant ce temps, le bon Dieu (infiniment bon et miséricordieux) se repose, indifférent à l'agitation de cette populace hystérique qui prétend, avec arrogance défendre son honneur et celui de Ses saints.
18 h 41, le 26 juillet 2019