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Moyen Orient et Monde - Droits des LGBT

En Égypte, l’homophobie exacerbée après un concert de Mashrou’ Leila

Dans un pays où l'homosexualité n'est pas illégale, mais mal tolérée, au moins 57 personnes ont été arrêtées, accusées de « débauche » et de « comportement déviant et immoral ».

Le groupe de rock libanais Machrou’ Leila lors d’un concert à Alexandrie, aux États-Unis, le 1er octobre 2017. Photo tirée de la page Facebook du groupe

Pour la première fois mardi, Mashrou' Leila est sorti de sa réserve. Sur son compte Facebook, le groupe a publié un long message à l'adresse de ses fans égyptiens, mais aussi des autorités égyptiennes. « Nous ne pouvons pas vous dire à quel point nous sommes attristés d'être témoins de cette nouvelle vague de tyrannie arriérée qui s'abat sur un pays et une audience chers à notre cœur. (...) C'est écœurant de penser à toute cette hystérie, générée contre des jeunes gens brandissant un bout de tissu qui revendique l'amour (...) Le temps n'est plus au silence ni au débat politique condescendant sur l'identité. Se taire, c'est consentir. »

La semaine dernière, le groupe libanais donnait un concert aux côtés des Jordaniens el-Morraba' et des Égyptiens Sharmoofers au Music Festival Park, en périphérie du Caire. Un événement d'une ampleur rare en Égypte – plus de 35 000 personnes selon le groupe –, alors que le régime de Sissi a drastiquement réduit les événements de ce type depuis son arrivée au pouvoir : trop peur des violences et des débordements. Pour s'assurer une place de choix et passer tous les contrôles de police avant le début des festivités, de nombreux fans s'étaient massés dès midi devant l'entrée.

Mashrou' Leila n'avait, lui, pas pris de dispositions particulières. Depuis que son leader Hamed Sinno a ouvertement revendiqué son homosexualité, le groupe est devenu une icône queer et a été interdit de se produire dans plusieurs pays dont la Jordanie. Mais en Égypte, le syndicat des professionnels de la musique ne semblait pas offusqué par la venue du groupe.

Ignorant probablement la réputation du groupe libanais, comme plusieurs fois dans le passé, les autorités ont autorisé un concert ouvertement gay friendly. Comme plusieurs fois dans le passé aussi, des fans croyant trouver dans cette assemblée un rare espace de liberté ont brandi des drapeaux aux couleurs de l'arc-en-ciel sur les tubes du groupe, dont Fasateen, Habibi, ou 3 Minutes. « Dans les concerts de Mashrou' Leila, avant cela, il y avait pas mal de gens qui levaient des drapeaux et il ne s'était jamais rien passé. Je n'ai pas compris pourquoi cette fois-ci », commente Leila, présente ce soir-là. En effet, le groupe s'était déjà produit au Caire à plusieurs reprises et les signes distinctifs d'une quelconque identité homosexuelle n'avaient jamais été punis.

 

(Pour mémoire : Des fans de Mashrou' Leila jugés à huis clos pour homosexualité au Caire)

 

Les couleurs du scandale
Pourtant, au lendemain de ce concert, les photos et vidéos d'un groupe d'hommes brandissant un rainbow flag dans la foule inondent les réseaux sociaux. Si beaucoup se félicitent de cette prise de position sulfureuse pour faire la lumière sur les droits LGBT totalement niés dans le pays, une majorité d'internautes s'offusque et appelle au lynchage et à l'arrestation des responsables. La machine médiatique s'emballe : plusieurs talk-shows appellent rapidement à des sanctions et les autorités publient un communiqué affirmant avoir déjà arrêté au moins 6 personnes. « Ce n'est pas la première vague de ce type et à chaque fois, les médias mettent de l'huile sur le feu », assure Asmaa*, activiste dans l'une des seules associations de défense des droits LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans) présentes en Égypte.

Avides de soutien populaire, les autorités n'ont d'ailleurs pas tardé à réagir pour satisfaire la majorité de l'opinion publique scandalisée. Au moins 57 personnes sont arrêtées, 9 condamnées dans la foulée à des peines allant de 1 à 6 ans de prison. « C'est évidemment une réaction sous pression », commente Timothy Kaldas, analyste au Tahrir Middle East Institute. « Il est clair que la vaste majorité des Égyptiens sont contre les droits des homosexuels. Leur répression ne peut que rendre les autorités plus populaires », note-t-il.

Officiellement, ce sont les porteurs de drapeau qui ont été emprisonnés. Mais c'est en réalité des hommes, suspectés d'homosexualité et surveillés depuis un certain temps par la police, qui ont été attrapés et présentés comme les responsables de ce qui est devenu en quelques jours « l'incident Mashrou' Leila ». « L'État a créé sa propre propagande et pour coller à celle-ci, a arrêté des gens en aval. C'est assez inhabituel, étrange et effrayant : aucune des personnes arrêtées ne sont celles qui ont brandi le drapeau arc-en-ciel », précise Neela Golash, responsable de la défense des droits des personnes LGBTQ pour Human Right Watch.

« C'est la pire vague de répression basée sur une supposée orientation sexuelle depuis l'arrestation de 52 personnes à la suite d'un raid de police dans un night-club en 2001 », rappelle Amnesty International. « Les statistiques légales sur le nombre d'arrestations sont un peu en baisse », reconnaît aussi Golash, « mais c'est difficile d'en être certain, car les autorités ne délivrent pas d'informations sur toutes les personnes arrêtées et même quand c'est le cas, c'est en lien avec la loi antidébauche qui inclut le sexe consenti entre personnes du même sexe, la prostitution et d'autres choses, c'est donc difficile de déterminer à quoi est lié chaque cas. »

Car si l'illégalité de l'homosexualité n'est pas inscrite dans la loi égyptienne, les homosexuels sont toutefois régulièrement condamnés à des peines de prison sous l'ombrelle de la débauche, l'immoralité ou le blasphème. Une dénomination extrêmement vague qui inclut tout type de comportement jugé inacceptable au regard d'une société qui demeure extrêmement conservatrice, notamment sur les questions de sexualité.

Entre octobre 2016 et septembre 2017, les organisations recensent au moins 26 arrestations pour des cas d'homosexualité. Un chiffre qui monte aujourd'hui à 83 en un an, très certainement sous-évalué. « L'Égypte est l'un des pires pays au monde concernant les droits des personnes LGBTQ », rappelle Asmaa. « Le régime de Sissi est obsédé par la dissidence et par les menaces imaginaires. En outre, il crée un sentiment de panique concernant la sexualité et le genre afin de renforcer ses pouvoirs moraux sur la population », note Scott Long, militant LGBT qui a longtemps apporté une aide clandestine aux victimes de la violence étatique en Égypte. « Cette panique est tellement intense que ça devient de la folie collective. L'arrestation des personnes LGBT n'est qu'une des multiples violations des droits de l'homme par le régime. »

 

(Pour mémoire : Consciente de ses tabous, la jeunesse égyptienne se met à en parler)

 

Attendre que ça passe
Dans les milieux LGBTQ, on se terre et attend que la crise passe, en espérant ne pas être le prochain sur la liste. Beaucoup, d'habitude ouverts à la discussion, se font plus discrets.
Les autorités ont réactivé leurs techniques usuelles pour identifier et réprimer les homosexuels. Elles surveillent les passants et arrêtent ceux présentant des signes exacerbés de non-appartenance à leur genre de naissance, les communications sur les réseaux sociaux sont utilisés à charge et certaines applications de rencontres, type Grindr (équivalent de Tinder, dédié aux rencontres homosexuelles), sont infiltrées pour identifier les utilisateurs. Des policiers créent de faux profils et donnent des rendez-vous guet-apens.
Il y a la menace des autorités, bien sûr, et puis il y a le poids de la société et du qu'en-dira-t-on. « Si mon père apprenait que je suis queer, il en mourrait. Ce serait un choc trop fort pour lui », assure Karim, jeune homme de 27 ans qui découvre une identité sexuelle plus fluide que celle qui lui a été inculquée par ses parents conservateurs. Un malaise ressenti à grande échelle dans la société égyptienne et qui s'observe dans les réactions satisfaites après ces arrestations. « Ma mère, par exemple, elle m'a dit qu'il fallait prendre tous les gens de la communauté LGBT et les brûler », commente Nour, 21 ans, fan de Mashrou' Leila, « ça reste compliqué. Je pense que dans notre génération, les jeunes à l'université en ce moment s'ouvrent un petit peu plus, mais la majorité s'oppose toujours énormément à ça. »

Pour Karim, la folie anti-gay est due à une société qui voit dans l'homosexualité une menace pour ses valeurs. « Les Égyptiens ont peur que s'ils acceptent les homosexuels, ça veut dire que tout le monde va devenir homosexuel demain et que cela va devenir incontrôlable. On les a convaincus que s'ils acceptent un concert de Mashrou' Leila, la prochaine fois ce sera une grande fête qui finira en orgie », dit-il en riant. « Il y a cette idée que des gens qui s'expriment sur leur sexualité différente de la majorité peuvent influencer celle de tout un peuple. Comme si soudain, vous êtes convaincus de devenir homosexuel si vous entendez quelqu'un parler de ça. C'est de la profonde ignorance », confirme Kaldas.

Dans ce sens, les autorités civiles, mais aussi religieuses, imposent leurs points de vue. Peu après le concert controversé, un prêcheur de l'institution sunnite al-Azhar a indiqué « qu'elle s'opposerait aux appels incitant à la perversion sexuelle, de la même façon qu'elle s'oppose aux groupes extrémistes ». L'Église copte a elle aussi réagi en annonçant la tenue prochaine d'une conférence intitulée Le volcan de l'homosexualité, visant à « aider les homosexuels à se libérer de leurs vices en un temps record ». Un projet qui fait écho aux déclarations du pape Tawadros qui a affirmé que « l'homosexualité était une maladie nécessitant un traitement » et que sa pratique « violait les instincts naturels et les lois célestes. »

Dans le même temps, le Conseil suprême de régulation des médias a mis en place une nouvelle règle prohibant l'apparition de personnes homosexuelles dans les journaux et à la télévision, à moins que celles-ci ne fassent acte de repentance. « C'est scandaleux. C'est juste une nouvelle illustration du rejet des autorités de toute pensée critique », déplore Kaldas. « Plutôt que d'accepter que le public ait un débat ouvert, que de laisser les gens se faire leur propre opinion, on se retrouve avec un État et des institutions paternalistes qui disent aux gens ce qu'ils sont autorisés à entendre et la seule manière dont il faut en parler. »

Pour la première fois mardi, Mashrou' Leila est sorti de sa réserve. Sur son compte Facebook, le groupe a publié un long message à l'adresse de ses fans égyptiens, mais aussi des autorités égyptiennes. « Nous ne pouvons pas vous dire à quel point nous sommes attristés d'être témoins de cette nouvelle vague de tyrannie arriérée qui s'abat sur un pays et une audience chers à notre...

commentaires (2)

DANS LES SOCIETES ARABES OU L,OBSCURANTISME EST MAITRE INCONTESTÉ S,ATTENDAIT-ON VRAIMENT A D,AUTRES REACTIONS ?

LA LIBRE EXPRESSION

16 h 52, le 06 octobre 2017

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Commentaires (2)

  • DANS LES SOCIETES ARABES OU L,OBSCURANTISME EST MAITRE INCONTESTÉ S,ATTENDAIT-ON VRAIMENT A D,AUTRES REACTIONS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 52, le 06 octobre 2017

  • Avant de poser un regard accusateur, suspicieux sur ses concitoyens un peu différents, que les politiciens, les intellectuels (écrivains, artistes et surtout médecins...) prennent la parole et diffusent leur lumière, leurs connaissances scientifiques et éclairées sur ces sujets qui concernent toute l'humanité ...évitant ainsi la monopolisation de l'espace public par des fanatiques, religieux obscures qui ne cessent de restreindre les libertés fondamentales et constitutionnelles de leur pays en matière des droits de l'homme. Je me souviens de cette phrase de Peyrefitte : Quand la Chine s'éveillera… le monde tremblera. Et bien dix ans plus tard la Chine s'éveilla et nous en sommes heureux de leur éveille qui ne fait que s’accroitre en apportant au monde leur précieuse contribution économique, scientifique ... A quand l'éveil de l'orient ?

    Sarkis Serge Tateossian

    13 h 46, le 06 octobre 2017

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