Après la petite phrase du président de la Chambre, Nabih Berry, sur le fait que le dossier des conditions pour le travail des réfugiés palestiniens au Liban est clos, suivie de la déclaration du Premier ministre sur la volonté de soumettre cette question au Conseil des ministres, il est clair que la tempête provoquée par la décision du ministre du Travail est en train de se calmer.
Pourtant, pendant quatre jours, les protestations et les sit-in des réfugiés palestiniens dans la plupart des camps du Liban, et en particulier autour de la capitale, ont constitué un nouveau sujet d’inquiétude pour les Libanais, sans parler des polémiques politiques et médiatiques qu’elles ont provoquées. D’un seul coup, les anciens démons se sont réveillés et les vieux camps du début de la guerre civile se sont reconstitués, montrant que les rancœurs sont intactes.
Pourtant, de l’avis de nombreux observateurs, la décision du ministre du Travail de faire appliquer la loi sur la main-d’œuvre étrangère, y compris palestinienne, ne justifiait pas une telle réaction de la part des Palestiniens et des Libanais qui les appuient. La décision du ministre est donc devenue l’occasion et le prétexte pour certaines parties de régler de vieux comptes et, pour d’autres, d’en créer de nouveaux. Pour certains donc, la décision de M. Abousleiman s’inscrirait dans le cadre d’un plan préparé par les Américains et leurs alliés dans la région pour punir les Palestiniens et les Libanais à cause de leur refus de participer à la conférence de Bahreïn et de leur rejet de ce qu’on appelle « le deal du siècle ». L’idée serait donc de provoquer des remous internes au Liban entre d’une part les Palestiniens, toutes tendances confondues, et d’autre part les Libanais, de façon à augmenter encore plus le chaos qui règne dans le pays, en provoquant des frictions entre les manifestants et l’armée et même entre les manifestants et les partisans du Hezbollah dans la banlieue sud. Selon les partisans de cette thèse, l’objectif visé n’est pas difficile à atteindre, puisque dans les camps palestiniens de nombreux services de renseignements arabes et autres sont actifs, alors que les déplacés syriens pourraient aussi être tentés de manifester à leur tour.
En même temps, sur le moyen terme, il s’agirait de pousser un plus grand nombre de réfugiés palestiniens installés au Liban à l’exil loin de la région, pour qu’ils oublient définitivement toute idée de retour en Palestine. De plus, l’agitation et les fermetures de routes dans les camps autour de la capitale et au Sud (Aïn el-Héloué et Rachidiyé en particulier) mettent en cause la sécurité de la route qui relie la banlieue sud de Beyrouth à toute la région du Liban-Sud, considérée comme vitale pour le Hezbollah et son environnement populaire. Ce que n’a donc pas réussi à faire la participation du Hezbollah et du Hamas aux combats en Syrie, dans deux camps opposés (le premier aux côtés de l’armée syrienne et le second aux côtés de l’opposition), les nouvelles mesures sur le travail des réfugiés palestiniens au Liban pourraient ainsi le faire, en semant une discorde concrète sur le terrain entre les Palestiniens et le Hezbollah, qui aurait forcément un impact sur la coopération entre eux à Gaza et ailleurs.
(Lire aussi : Le précédent de Berry : tenter d’empêcher un ministre d’appliquer une loi)
Dans le camp adverse, ce serait au contraire le Hezbollah qui serait derrière les mouvements de protestation des Palestiniens pour deux raisons. D’abord, mettre en cause la crédibilité du ministre Abousleiman, membre du bloc de la République forte (FL), et ensuite empêcher toute organisation précise de la présence palestinienne au Liban qui permettrait aux autorités d’ouvrir le dossier des armes palestiniennes dans les camps comme prélude à celles du Hezbollah.
Selon une source palestinienne proche de l’OLP, les deux interprétations sont excessives et ne correspondent pas à la réalité. Selon cette source, M. Abousleiman n’était sans doute pas malintentionné lorsqu’il a pris sa décision. Il a voulu simplement appliquer la loi, oubliant sans doute que le dossier des relations libano-palestiniennes reste délicat et complexe et suscite les passions. Surtout que la décision intervient à un moment particulièrement sensible, avec le lancement plus ou moins officiel du plan de paix américain pour le conflit israélo-palestinien, qui occulte totalement le droit au retour des Palestiniens sur leur terre et prévoit leur implantation dans les pays d’accueil.
(Lire aussi : Abousleiman tente de résister à la pression des Palestiniens)
Toujours selon la source précitée, l’idée de départ était de réglementer la situation des déplacés syriens au Liban en exigeant l’obtention d’un permis de travail. M. Abousleiman aurait donc cherché à appliquer cette loi à tous les travailleurs étrangers, dont les réfugiés palestiniens. Ce qui est son droit, mais reste un sujet sensible, d’autant que la plupart des Palestiniens installés au Liban travaillent en réalité en dehors des camps. La réglementation de leur travail reste tributaire de la volonté du ministre en charge du dossier. En 2010, sous la présidence de Michel Sleiman, un décret avait été publié excluant les réfugiés palestiniens inscrits dans les registres de la Direction des affaires politiques et des réfugiés au ministère de l’Intérieur des frais du permis de travail accordé par le ministère concerné. Le ministre Sejean Azzi leur avait interdit pour sa part de pratiquer certains métiers, en 2014. Ce qui signifie que le ministre du Travail a la possibilité de prendre des décisions par décret dans ce domaine. Toujours selon la source précitée, le mieux serait de prendre des décisions radicales une fois pour toutes, en tenant compte de la particularité de la présence palestinienne au Liban.
C’est dans ce but que le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a envoyé un émissaire spécial au Liban. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’aucune des parties concernées ne souhaite réellement que les relations entre les Libanais et les Palestiniens ne s’enveniment.
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commentaires (5)
Belle analyse en profondeur. Le cas des palestiniens au Liban est malheureusement un héritage d'un pays de l'usurpation constitutionnelle, considéré comme exemplaire par certain(e)s chez nous.
FRIK-A-FRAK
12 h 36, le 19 juillet 2019