Il est vrai qu’à travers les nouvelles sanctions américaines contre le Hezbollah entrées en vigueur la semaine dernière, l’administration Trump est passée à la vitesse supérieure, en ciblant pour la toute première fois deux députés du Hezbollah, à savoir le chef du bloc parlementaire du parti, Mohammad Raad, et Amine Cherri, député de Beyrouth, ainsi que Wafic Safa, haut responsable sécuritaire au sein du parti.
Mais il serait peu rigoureux de cerner cette décision américaine et ses effets à cette seule dimension. Et pour cause : dans cette nouvelle phase de la confrontation entre les États-Unis et l’Iran, Washington ne semble plus établir une nette distinction entre l’aile armée de la formation de Hassan Nasrallah et les intérêts du peuple libanais et de l’État, à en croire certains observateurs. Cela n’est certainement pas sans pousser les milieux de l’opposition à mener une action politique visant à délimiter des frontières claires, nettes et précises entre le Hezbollah et les intérêts de l’État libanais, comme on le souligne dans certains cercles politiques hostiles au compromis présidentiel de 2016. Dans les mêmes milieux, on va encore plus loin, jusqu’à assurer qu’établir une distinction entre le parti de Hassan Nasrallah et l’État est devenu « un devoir ».
C’est dans ce cadre qu’il conviendrait d’inscrire la rencontre, mardi dernier, au siège des Kataëb à Saïfi, entre le chef de ce parti, Samy Gemayel, et une délégation du Rassemblement de Saydet el-Jabal conduite par Farès Souhaid, le journaliste Radwan Sayyed, représentant le mouvement de l’Initiative nationale (connu pour son opposition au partenariat conclu entre le président de la République Michel Aoun et le Premier ministre, Saad Hariri), et notre confrère Assaad Béchara, délégué à Saïfi par Achraf Rifi, ancien ministre de la Justice et farouche opposant à l’entente de 2016. Étaient également présents Joseph Abou Khalil et Salim Sayegh, vice-présidents du parti Kataëb, ainsi que Michel Khoury, conseiller de M. Gemayel, et Samir Khalaf et Léna Jalkh Farjallah, membres du bureau politique Kataëb. L’occasion pour Saydet el-Jabal et le mouvement de l’Initiative nationale de remettre à M. Gemayel un document expliquant l’importance, voire même la nécessité de dissocier le Hezbollah de l’État libanais, dans le contexte de la confrontation entre Washington et Téhéran.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Farès Souhaid explique que le fait « de tracer des frontières claires, nettes et précises entre l’État libanais et le Hezbollah est désormais un devoir ». « Nous ne voulons pas mettre dans le même sac les intérêts du parti chiite, du peuple et du gouvernement libanais », ajoute-t-il avant de poursuivre : « Par la bouche de Hassan Nasrallah, le parti demande aujourd’hui à l’État libanais de condamner les nouvelles sanctions américaines, estimant qu’il s’agit d’une atteinte aux institutions du pays. Mais c’est le Hezbollah qui doit assumer tout seul les conséquences de ses actes. D’ailleurs, lorsqu’il a décidé de s’ingérer dans les conflits arabes, il a fait fi du pouvoir en place », rappelle M. Souhaid, insistant sur le fait que le Liban ne veut pas s’engager avec le Hezbollah dans sa confrontation avec la communauté internationale.
Sans vouloir préciser la prochaine étape de la tournée, Farès Souhaid fait savoir qu’elle pourrait englober les partis adhérents au compromis de 2016. Mais elle a commencé par les Kataëb dans la mesure où le parti, perçu comme le fer de lance de l’opposition, « est la voix au Parlement des opposants à la mainmise du Hezbollah sur le pays ». « Nous avons demandé à Samy Gemayel de défendre cette opposition à l’hémicycle, tout en insistant sur l’importance de distancier le Liban de la querelle entre le parti chiite et la communauté internationale, et d’affirmer que les sanctions US ne visent pas la législature dans son ensemble, mais des députés qui représentent le Hezbollah à la Chambre. »
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« L’État ne peut pas supporter le projet du Hezbollah »
À leur tour, les milieux proches de Samy Gemayel expliquent ce geste de la part de MM. Souhaid, Sayyed et Béchara en direction de Saïfi, par le positionnement politique du parti, qui lutte pour garder le Liban loin des conflits des axes. Il pourra donc porter cette cause au Parlement. Sauf que cette question n’a pas encore été abordée à l’hémicycle. Mais les Kataëb sont prêts à en discuter, confient les milieux de proches de Saïfi à L’OLJ.
Le parti de Samy Gemayel est convaincu que les dernières sanctions américaines ne constituent pas une atteinte à l’État libanais, celui-ci n’étant concerné que par les décisions qu’il prend lui-même, assure-t-on de même source. Les Kataëb vont même jusqu’à estimer qu’en dépit de tous les motifs politiques ou idéologiques, l’État libanais ne doit et ne peut pas supporter le projet élargi du Hezbollah, d’où la nécessité de la rupture entre les institutions libanaises et le Hezbollah. Et les proches de Samy Gemayel de renvoyer ouvertement la balle dans le camp de Hassan Nasrallah, en l’exhortant à rompre tout lien entre son projet articulé autour de la nation islamique et l’État libanais.
Pour ce qui est des efforts menés par les opposants dans le cadre de cette lutte, des sources proches des Kataëb confient à L’OLJ que la rencontre de mardi ne restera pas orpheline. D’autant qu’il est du devoir de l’opposition de fédérer toutes les forces qui convergent avec elle pour infléchir le sens de la décision au niveau national.
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Le texte
Voici de très larges extraits du document remis mardi au directoire Kataëb : « C’est dans des circonstances nationales et régionales difficiles que le Hezbollah œuvre pour assurer ses propres intérêts aux dépens de ceux des Libanais en exerçant sa mainmise sur l’État, laquelle est devenue plus resserrée à la suite du compromis présidentiel de 2016. À travers cette fusion (entre l’État et le Hezbollah), le parti a transformé les Libanais en des boucliers humains dans le cadre de sa lutte contre ses adversaires dans le monde entier. En témoigne, bien entendu, le fait de considérer les sanctions américaines infligées à deux députés et un cadre haut placé (Wafic Safa) comme une insulte faite au Liban et demander à l’État libanais de “se défendre”, pour reprendre les termes de Hassan Nasrallah. Nous appelons les blocs parlementaires, notamment ceux qui ont pris part au compromis, à s’attacher aux intérêts des Libanais, et non du Hezbollah. D’autant que les sanctions US visent deux députés élus par ce parti et ne portent pas atteinte au Parlement dans son ensemble. Les députés ont une responsabilité historique de tracer les frontières entre la République libanaise et le Hezbollah. Et cela est possible, comme ce fut le cas en juillet 2006 lorsqu’une distinction a été établie entre le parti et le gouvernement (Siniora).
« La dernière vague de sanctions s’inscrit dans le cadre des pressions entre les États-Unis et l’Iran. Et si l’administration américaine considère le Hezbollah comme une ramification régionale de l’Iran, le parti ne le nie pas, notamment en justifiant son ingérence dans les conflits des pays arabes. Mais cela ne concerne que lui.
« Ce qui est nouveau dans ces sanctions, c’est le fait d’appeler l’État libanais à rompre tout lien avec le Hezbollah, à l’heure où celui-ci fait partie des institutions politiques à la faveur d’une légitimité électorale. Cela a mis les pouvoirs législatif et exécutif dans une situation critique dont ont témoigné les prises de position contradictoires des trois présidents (Michel Aoun, Nabih Berry et Saad Hariri), la semaine dernière.
« Le problème réside dans le fait que l’État n’a toujours pas recouvré sa décision souverainiste, trente ans après la fin de la guerre civile et quatorze ans après le retrait des troupes syriennes. Mais, jusqu’à ce qu’il puisse le faire, il a le devoir constitutionnel et national de prendre partie pour l’intérêt libanais. Cela a été le cas en juillet 2006. L’État osera-t-il aujourd’hui accomplir ses devoirs, notamment le respect des résolutions du Conseil de sécurité 1559 (2004), 1701 (2006), 1680 (2006) 1757 (2007) ? »
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commentaires (6)
Même si on a compris le fond de leur idée cependant c'est mal exprimé Il aurait fallu dire " la distanciation" et ne pas faire l'amalgame entre Liban officiel vs partis ( ou milices privées ou autres mouvements non officiels) Là ce serait mieux que de parler de frontière mais l'idée est bonne
LE FRANCOPHONE
13 h 08, le 20 juillet 2019