Interview du secrétaire général du Hezbollah à la chaîne de son parti al-Manar, vendredi 12 juillet 2019. Capture d'écran/AFP
Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a affirmé vendredi que les nouvelles sanctions imposées cette semaine par le Trésor américain contre trois dirigeants de sa formation et ciblant, pour la première fois, des députés en exercice du parti chiite, constituaient une "insulte au Parlement et à l'Etat libanais". Lors d'un entretien fleuve sur la chaîne al-Manar, à l'occasion du 13e anniversaire du début de la guerre de juillet entre le Hezbollah et Israël, le leader chiite a par ailleurs réitéré ses menaces contre l'Etat hébreu et affirmé qu'"en cas de guerre, l'Iran viserait Israël". Il a en outre annoncé que le Hezbollah avait "réduit ses effectifs en Syrie", assurant cependant que cette mesure n'était pas liée aux sanctions, mais aux capacités de l'armée syrienne et de ses alliés russe et iranien.
L'administration américaine a élargi mercredi sa campagne de "pression maximale" contre l'Iran et ses alliés en imposant pour la première fois des sanctions contre Mohammad Raad, le chef du bloc politique du Hezbollah, le député Amine Cherri et le responsable de l'appareil sécuritaire du parti, Wafic Safa. C'est la première fois que des parlementaires affiliés au Hezbollah, considéré comme une organisation "terroriste" par Washington depuis 1997, sont visés par des sanctions américaines.
"Les sanctions contre des responsables du Hezbollah ne sont pas nouvelles", a affirmé Hassan Nasrallah, ironisant sur le fait qu'il est l'un des derniers de sa formation à ne pas en être la cible. Il a souligné que la nouveauté est que deux députés en exercice, "élus par le peuple libanais", ont été visés, ce qui constitue "une insulte au Parlement et à l'Etat libanais". "Que le pays le plus meurtrier au monde nous ajoute sur sa liste de terroristes est une grande fierté pour nous", a-t-il souligné. "Nous ne sommes pas du tout inquiétés par ces sanctions", a-t-il déclaré, ajoutant que comme, pour les autres personnes visées, les sanctions "n'ont pas un grand impact" pour les trois nouveaux responsables prises pour cible. "Nous avons été seulement irrités lorsque certaines banques libanaises ont par excès de zèle fermé un grand nombre de comptes bancaires" de responsables du Hezbollah par le passé, a-t-il précisé. "Il s'agit d'une partie seulement de la guerre que nous menons, a-t-il estimé. Nous sommes visés parce que nous défendons notre pays".
Hassan Nasrallah a dans ce contexte estimé que l'Etat libanais ne peut pas rompre ses relations avec les responsables du Hezbollah visés par les sanctions, comme Washington l'invite à le faire, sa formation faisant désormais partie du paysage politique libanais. "Si le Hezbollah n'est plus présent au Liban, le pays perdra un élément très fort", a-t-il estimé.
Hassan Nasrallah a par ailleurs affirmé que, parallèlement aux sanctions, l'administration Trump souhaite établir des canaux de dialogue avec le Hezbollah via des médiateurs, estimant que "certains Américains sont pragmatiques".
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"La résistance est plus forte que jamais"
"Depuis 2006, le Liban vit dans la sécurité, que les Libanais ont pu établir grâce à leur unité et à la résistance, qui est plus forte que jamais, malgré les sanctions (américaines)", a par ailleurs affirmé Hassan Nasrallah. Il a souligné que la formation chiite a, au cours des 13 dernières années, "développé ses capacités en matière de missiles, en nombre, qualité et précision". "Les responsables militaires israéliens craignent aujourd'hui la résistance", a-t-il affirmé. L'Etat hébreu "s'empêche de cibler le Liban parce qu'il a peur de notre réponse, a-t-il estimé. Ils savent qu'attaquer le Liban provoquerait une guerre bien plus dangereuse que celle de 2006".
L'enlèvement de deux soldats par le Hezbollah à la frontière libanaise en juillet 2006 avait déclenché une guerre de 34 jours entre le parti chiite et Israël. Le Hezbollah avait lancé des milliers de missiles contre l'Etat hébreu lors de ce conflit qui a fait plus de 1.200 tués au Liban, civils pour la plupart, et 160 tués, côté israélien, en majorité des militaires. Des négociations parrainées par l'ONU avaient permis de mettre un terme au conflit et abouti à l'adoption de la résolution 1701, qui prévoyait notamment le déploiement de la Force intérimaire de l'ONU au Liban-Sud (Finul).
Le chef du Hezbollah a encore conseillé à Israël de ne plus menacer de "faire revenir le Liban à l'âge de pierre" car il n'en est plus, selon lui, capable. Présentant une carte d'Israël et des territoires palestiniens, le chef du Hezbollah a affirmé que les missiles de sa formation pouvaient arriver "jusqu'à Eilat", dans le Sud. Il a toutefois souligné que la région la plus importante à cibler se situait le long du littoral "où se trouvent toutes les institutions militaires, politiques et financières officielles" de l'Etat hébreu. Le Hezbollah peut infliger "d'énormes dommages" à Israël, a-t-il menacé. Il a espéré que, "selon la logique actuelle des choses", il pourrait un jour se rendre lui-même à Jérusalem pour y prier à la mosquée al-Aqsa.
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Incident de Qabr Chmoun
S'exprimant par ailleurs sur les incidents de Qabr Chmoun, au cours desquels deux partisans du Parti démocrate libanais (du député druze Talal Arslane) ont été tués, Hassan Nasrallah a annoncé avoir tout de suite "entamé des contacts pour apaiser la situation", appelant à "éviter toute escalade". "Toutes les rumeurs selon lesquelles le Hezbollah veut faire imploser les relations interdruzes dans la Montagne sont dénuées de sens", a-t-il déclaré. Il a souligné être opposé à "toute paralysie de l'action du gouvernement" et a dans ce cadre qualifié de "sage" la décision (du Premier ministre Saad Hariri) de reporter le Conseil des ministres. Le chef du Hezbollah a nié "tout blocage du gouvernement initié par les forces du 8 Mars". "Mais nous nous tenons aux côtés de Talal Arslane et du ministre d'Etat pour les Affaires des réfugiés, Saleh el-Gharib. Leur demande d'une saisine de la Cour de justice est logique", a-t-il ajouté, en référence à la revendication de M. Arslane d'avoir recours à ce tribunal d'exception, ce que le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt refuse catégoriquement.
Le 30 juin, alors que des partisans de Walid Joumblatt s'opposaient à la venue dans certains villages du caza de Aley du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, des échanges de tirs ont eu lieu à Qabr Chmoun entre le convoi du ministre Gharib, allié de M. Bassil et membre du PDL, rival traditionnel de M. Joumblatt sur la scène druze, et des partisans joumblattistes. Deux personnes se trouvant dans le convoi de M. Gharib sont décédées des suites de leurs blessures. Le PDL affirme que les partisans du PSP ont "tendu une embuscade" au ministre Gharib et dénonce une tentative d'assassinat, tandis que le parti joumblattiste affirme que ses partisans n'ont fait que répondre à des tirs provenant du convoi de M. Gharib.
Hassan Nasrallah a estimé qu'il est du "droit naturel" de Gebran Bassil en tant que chef de parti d'effectuer des tournées dans les différentes régions du Liban. Il a toutefois refusé de s'exprimer sur le contenu des discours de M. Bassil. "Si j'ai des commentaires à faire, je les lui transmettrai personnellement, pas dans les médias", a-t-il souligné.
(Lire aussi : Cour de justice : toujours pas de compromis en vue)
Négociations au point-mort
En ce qui concerne le litige avec Israël sur la délimitation des frontières maritimes et terrestres, qui fait actuellement l'objet d'une médiation américaine, Hassan Nasrallah a affirmé que "depuis 2000 (date du retrait des forces israéliennes du Liban-Sud, ndlr", il "insiste pour que cela se fasse sous la responsabilité de l'Etat" libanais. "Si l'initiative est parrainée par les Etats-Unis, ces derniers donneront toutes nos terres et notre pétrole aux Israéliens", a-t-il déclaré, accusant Washington de vouloir "écarter l'ONU" de ces négociations. Il a expliqué que la demande du Liban, et surtout, selon lui, du président de la Chambre, Nabih Berry, concernant la concomitance de la délimitation des frontières terrestres et maritimes, est techniquement logique, "la délimitation de la frontière maritime se basant à partir d'un point terrestre", soulignant toutefois que les négociations semblaient "au point mort".
Ces dernières semaines, l'émissaire américain David Satterfield a fait de nombreux aller-retours entre Tel Aviv et Beyrouth dans le cadre d'une médiation américaine concernant le litige libano-israélien sur le tracé des frontières, qui bloque le processus d'exploitation des ressources hydrocarbures offshore. Le Liban a posé plusieurs conditions à l'ouverture de discussions indirectes avec Israël sur ces sujets, dont l'examen simultané du tracé des frontières maritime et terrestre, et la non-limitation dans le temps des négociations prévues avec les Israéliens sous la médiation des Etats-Unis et la houlette des Nations unies, sachant qu’Israël exigeait de définir un délai de 6 mois pour la durée de ces négociations. La semaine dernière, un ministre israélien avait accusé le Hezbollah de faire pression sur l'Etat libanais dans le cadre de ces négociations.
(Pour mémoire : Hydrocarbures : Russes et Européens intéressés par le Liban, selon Boustani)
Présence réduite en Syrie
Sur un autre plan, Hassan Nasrallah a annoncé que sa formation a réduit le nombre de ses combattants engagés aux côtés du régime de Damas dans la guerre qui ravage la Syrie depuis plus de huit ans. "Nous avons réduit les effectifs de nos forces sur le territoire syrien", a-t-il affirmé, précisant que ce retrait n'a "aucun lien avec les sanctions (américaines) ou des restrictions financières", mais était dû aux "nécessités de la situation actuelle" et aux capacités de l'armée syrienne et de ses alliés russe et iranien. "Nous sommes présents dans toutes les zones où nous l'étions par le passé. Nous sommes toujours là, mais nous n'avons plus besoin d'être aussi nombreux s'il n'y a plus de besoin réel", a-t-il déclaré.
Hassan Nasrallah a en outre commenté les raids israéliens contre des cibles en Syrie. "Les Israéliens justifient leurs frappes en Syrie en disant qu'ils veulent empêcher l'arrivée d'armes au Hezbollah. Il faut qu'ils sachent que ces armes sont bien arrivées", a-t-il affirmé. "Les responsables israéliens mentent à leur peuple", a-t-il souligné. S'adressant au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, il a déclaré : "Faites ce que vous voulez, les Iraniens (qui soutiennent également le régime syrien, ndlr) resteront en Syrie".
Le "deal du siècle"
Commentant le plan de paix au Proche-Orient préparé par Jared Kushner, le conseiller de Donald Trump, Hassan Nasrallah a affirmé espérer que le "deal du siècle échoue". Il a souligné que le principal élément qui fera échouer le plan de paix de l'administration américaine est la façon dont cette administration considère Jérusalem. "Aucun chrétien ni aucun musulman n'acceptera de livrer ses sites sacrés aux Israéliens", a-t-il affirmé. Les Etats-Unis ont "tiré la dernière balle sur le plan de paix en reconnaissant Jérusalem comme capitale" de l'Etat hébreu, a-t-il estimé. Selon lui, l'échec de toute médiation américaine au Proche-Orient est également dû "à l'unité des Palestiniens, à la résilience de l'Iran et à la victoire en Syrie" de l'axe de la résistance. "Aucun pays arabe ne soutient" le plan Kushner, a-t-il affirmé, ajoutant que "même le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane ne peut affirmer qu'il est en faveur de ce deal du siècle".
Concernant l'implantation des réfugiés palestiniens, que cherche à encourager le plan de paix de Jared Kushner, Hassan Nasrallah a souligné que cette éventualité "ne dépend pas de la volonté de Trump ni de Kushner, mais des pays hôtes et des Palestiniens eux-mêmes" qui, selon lui, rejettent l'implantation. Et de demander : "Si tous les Libanais refusaient l'implantation, qui pourrait les forcer à l'accepter ?"
Fin juin, M. Kushner avait présenté lors d'une conférence à Bahreïn, le volet économique de son plan, comprenant notamment une promesse d'investissements de 50 milliards de dollars pour les territoires palestiniens. Ce plan prévoit 6,325 milliards de dollars d'investissements au Liban, sous forme de subventions et de prêts publics ou privés, alors que le pays du Cèdre abrite quelque 175.000 réfugiés palestiniens selon un recensement officiel datant de 2017. Le plan ne concerne pas directement ces réfugiés palestiniens mais vise à remettre sur pied les infrastructures libanaises. Le Liban s'était abstenu de participer à cette conférence. La semaine dernière, M. Kushner avait plaidé, auprès de médias arabes, pour une meilleure intégration des réfugiés palestiniens aux pays arabes qui les ont accueillis après 1948, estimant que le Liban était favorable à une solution "équitable" à une des questions les plus complexes d'un éventuel règlement du conflit israélo-palestinien. Il avait en outre affirmé qu'il annoncerait très rapidement les prochaines étapes de son plan de paix.
(Lire aussi : Les fondations douteuses du plan Kushner)
"L'Iran a la capacité de bombarder Israël"
Interrogé sur la possibilité d'une guerre entre l'Iran et les Etats-Unis, le leader chiite a déclaré que "l'Iran ne lancera pas la guerre contre l'Amérique et les Etats-Unis s'éloignent également de l'éventualité d'une guerre". Il a dans ce contexte estimé qu'Israël ne resterait pas "neutre" en cas de conflit entre l'Iran et les Etats-Unis. "L'Iran a la capacité de bombarder Israël avec force et férocité", a-t-il lancé. Et de toutefois poursuivre : "Nous devons tout faire pour éviter une guerre entre l'Iran et les Etats-Unis, qui risque d'être dévastatrice".
Hassan Nasrallah a par ailleurs remis en cause la déclaration de Donald Trump qui avait annoncé annuler une frappe sur l'Iran "dix minutes avant son lancement" par crainte qu'un tel raid ne fasse trop de victimes. "Aucun général n'avait précisé lors des réunions le nombre de victimes ?", a-t-il ironisé. Il a souligné que le président américain avait plutôt décidé d'arrêter la frappe "après avoir reçu, via un pays tiers, une missive iranienne qui menaçait de frapper des cibles américaines en cas de frappe en Iran".
Le leader chiite a en outre souligné que l'Iran est "ouvert au dialogue avec l'Arabie saoudite (son principal rival pour l'influence sur le Moyen-Orient, ndlr), ce qui serait dans l'intérêt de tout le monde", mais que l'inverse n'est pas vrai.
(Lire aussi : Le Hezbollah va-t-il s’inviter dans la danse régionale ?)
Les tensions ne cessent de monter dans la région stratégique du Golfe, entre l'Iran et ses alliés et les Etats-Unis, depuis le retrait américain en mai 2018 de l’accord international sur le nucléaire iranien, suivi du rétablissement de lourdes sanctions américaines contre Téhéran. Ces tensions se sont intensifiées avec de récentes attaques contre des pétroliers dans le Golfe, imputées par Washington à Téhéran, qui dément toute implication. La situation s'est encore resserrée après que l'Iran a abattu, il y a plusieurs semaines, un drone américain, qui, selon Téhéran, survolait son territoire. En représailles, des frappes US avaient été prévues mais ont été annulées par Donald Trump en dernière minute. Dernièrement, c'est l'arraisonnement par Londres, au large de Gibraltar, d'un pétrolier iranien à destination présumée de la Syrie, qui a remis de l'huile sur le feu. Dans ce climat de tensions exacerbées, l'Iran a annoncé lundi produire désormais de l'uranium enrichi à au moins 4,5%, au-delà de la limite autorisée par l'accord nucléaire conclu à Vienne en 2015.
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commentaires (12)
Depuis qu‘ il a remporté les législatives le camp du Hezbollah chevauche le Liban comme bon lui semble. Mais feudataire d’une théocratie perse en tourment il peine à ménager sa monture. Privé de ressources étrangères, il se sert sur la bête en rackettant marché publics et autres missions douanières . En reprenant la rhétorique du sacrifice et du martyr des mollah il la dirige vers le précipice. ….Car le Hezb veux l’entraîner dans une confrontation suicidaire avec l’État Hébreux António Guterres répète à qui veux entendre depuis 2 ans l’urgence absolue à démilitariser le Hezbollah . Avec un possible scenario du chaos il regrette même de pas en avoir fait plus. Florence Parly a rendu visite cette semaine aux forces de la Finul au Sud-Liban... ultimes consignes et encouragement aux soldats sur le risque à venir pour cet instant de vérité sur la loyauté du Hezb à sa nation.
ANDRE HALLAK
14 h 10, le 14 juillet 2019