Le Liban officiel a réagi mercredi, par la voix du président, Michel Aoun, du président du Parlement, Nabih Berry et du Premier ministre, Saad Hariri, aux nouvelles sanctions américaines, annoncées la veille, qui ont visé pour la première fois deux députés du Hezbollah ainsi qu'un haut responsable de la formation pro-iranienne. La réaction la plus virulente est venue de Aïn el-Tiné, Nabih Berry dénonçant une "agression contre le Liban".
L'administration de Donald Trump a élargi mardi sa campagne de "pression maximale" contre l'Iran et ses alliés en imposant pour la première fois des sanctions contre Mohammad Raad, le chef du bloc politique du Hezbollah, le député Amine Cherri et le responsable de l'appareil sécuritaire du parti, Wafic Safa. C'est la première fois que des parlementaires affiliés au Hezbollah, considéré comme une organisation "terroriste" par Washington depuis 1997, sont visés par des sanctions américaines.
"Le Liban regrette le recours des Etats-Unis à ces mesures, en particulier celles qui visent deux députés élus", indique un communiqué publié dans la journée par le bureau de la présidence libanaise, indiquant que Beyrouth "va suivre ce dossier avec les autorités américaines concernées". "Ces mesures, qui sont prises de temps à autre, sont en contradiction avec les précédentes positions des Etats-Unis selon lesquelles le Liban et le secteur bancaire respectaient leurs engagements vis-à-vis des conventions internationales sur la lutte contre le blanchiment d'argent, l'utilisation de ces fonds dans le cadre des attaques terroristes ou toute autre pratique illégale", selon ce communiqué.
Adoptant un ton plus dur, le président du Parlement a estimé que ces nouvelles sanctions constituaient "une agression contre tout le Liban". "Il s'agit d'une agression contre le Parlement, et contre tout le Liban", a affirmé M. Berry dans un communiqué de la présidence du Parlement. "C'est pourquoi, au nom du Parlement libanais, je me demande si la démocratie américaine implique désormais d'agresser d'autres démocraties de par le monde? Je m'adresse à l'Union parlementaire internationale afin qu'elle adopte la position nécessaire face à cet acte irrationnel", a ajouté Nabih Berry, chef du mouvement Amal et un allié du Hezbollah.
Un "nouveau tournant"
Saad Hariri a de son côté parlé d'une situation qui prend une "nouvelle tournure". "Ces sanctions sont semblables aux autres sanctions déjà en vigueur. Mais il est indéniable qu'elles prennent une nouvelle tournure en visant des députés. Mais cela n'aura d'impact ni sur le Parlement ni sur le travail que nous effectuons au sein de la Chambre et du gouvernement. Il s'agit d'une nouvelle situation que nous allons traiter de la manière que nous jugeons adéquate. Nous exprimerons notre position à ce sujet", a dit M. Hariri, selon un communiqué publié par son bureau de presse. "L'important, c'est que nous préservions le secteur bancaire et l'économie libanaise. Cette crise sera surmontée tôt ou tard, si Dieu le veut, et nous espérons que cette question ne sera pas exagérée car elle n'est pas nouvelle. Il n'y a aucun besoin de se lancer dans des conjonctures, car cela compliquera à mon avis la situation politique", a encore estimé le chef du gouvernement. "Sans aucun doute, le Parlement s'oppose (aux sanctions américaines), car il est souverain et représente la volonté du peuple. Mais la question des sanctions est différente du reste. Il ne faut pas perdre le nord dans ce dossier (...)", a conclu M. Hariri.
Selon le communiqué du Trésor américain, le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Hassan Raad, "continue à donner la priorité aux activités du Hezbollah et à prendre en otage la prospérité du Liban".
Amine Cherri, député de Beyrouth, "exploite son poste officiel pour faire avancer les objectifs du Hezbollah qui sont souvent au détriment du peuple et du gouvernement libanais". M. Cherri est également accusé d'avoir menacé les responsables d'une banque et leurs familles après que l'établissement a gelé les comptes de membres du parti chiite placés sur la liste des sanctions américaines.
Dans son communiqué, le Trésor a diffusé une photo de M. Cherri aux côtés de Kassem Soleimani, chef de la Force Qods, la branche chargée des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution iraniens. Cette proximité "illustre l'absence de distinction entre les activités politiques et militaires du Hezbollah", a affirmé le ministère américain.
Une photo publiée par le Trésor américain montre le député hezbollahi Amine Cherri (d) aux côtés de Kassem Soleimani, l’un des hauts responsables des pasdaran.
"Aucune menace"
A son arrivée mardi à Aïn el-Tiné pour s'entretenir avec le président Berry, dans le cadre de la réunion hebdomadaire que tient le président du Parlement, le député Amine Cherri a été apostrophé par des personnes présentes qui lui ont dit en plaisantant: "Vous êtes recherchés (par Washington)". Ce à quoi le député chiite a répondu : "Je suis recherché par le président Berry".
Le nouveau président de l'Association des banques du Liban, Salim Sfeir, a de son côté démenti les informations américaines sur des menaces contre des banques libanaises. "Les banques libanaises n'ont reçu aucune menace", a-t-il affirmé à la chaîne LBCI.
Outre les deux élus, le responsable de l’appareil sécuritaire du Hezbollah, Wafic Safa, a été visé par les sanctions. Proche du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, il est responsable de la coordination du parti avec la communauté internationale et avec les forces de sécurité libanaises, selon le Trésor américain.
En vertu de ces sanctions, "tous les biens et intérêts des responsables du Hezbollah visés, et qui se trouvent aux États-Unis ou sont contrôlés par des citoyens américains, doivent être bloqués et signalés à l'OFAC (l'agence du Trésor américain chargé des sanctions financières)", précise le Trésor US dans son communiqué. Tout citoyen américain ou personne se trouvant aux Etats-Unis et qui engage une transaction avec ces responsables s'exposent également à des sanctions de la part de l'administration américaine.
"Humiliation pour le peuple libanais"
Réagissant à ces mesures, le député Ali Ammar, membre du Hezbollah, a affirmé mercredi à la chaîne LBCI que "ces nouvelles sanctions sont une médaille d'honneur pour nous". Il a estimé que les mesures américaines sont "une agression contre la souveraineté libanaise", appelant le gouvernement "à défendre cette souveraineté".
Le président du Conseil supérieur islamique chiite, le cheikh Abdel Amir Kabalan, a lui aussi estimé que ces sanctions "sont une agression contre tous les Libanais qui défendent leur Résistance et ses symboles", en référence au Hezbollah. "Ces sanctions portent atteinte à la souveraineté libanaise et défient la volonté du peuple qui a choisi ses élus, ce qui fait qu'elles sont contraires aux valeurs démocratiques", a dit le dignitaire, appelant l'administration américaine à revenir sur sa décision.
Mardi, le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, membre du mouvement Amal, avait lui aussi condamné les nouvelle sanctions. Et Ali Fayyad, membre du bloc parlementaire du Hezbollah, les avait qualifiées d'"humiliation pour le peuple libanais". Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah pourrait commenter ces sanctions lors d'une interview prévue à la chaîne al-Manar vendredi soir.
"Contrer l'influence corruptrice du Hezbollah"
Le secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, a pour sa part affirmé mardi que les nouvelles sanctions "font partie des efforts américains pour contrer l'influence corruptrice du Hezbollah au Liban". M. Pompeo a également appelé les alliés de Washington à "classer le Hezbollah, dans son intégralité, comme organisation terroriste", alors que l'Union européenne, à l'exception du Royaume-Uni, considèrent uniquement la branche armée du parti chiite comme organisation terroriste, faisant ainsi une distinction avec sa branche politique.
En novembre 2018, les Etats-Unis avaient renforcé leurs sanctions à l'encontre de la formation chiite après la signature, par Donald Trump, de la loi "Hezbollah International Financing Prevention Amendments Act (HIFPAA) of 2018", une version amendée (S.1595) d'une loi précédente, votée par le Sénat le 5 octobre 2017. La S.1595 impose notamment des sanctions à toute personne, entité ou Etat étrangers aidant directement ou indirectement le parti pro-iranien.
Récemment, le Washington Post rapportait que les sanctions américaines contre l'Iran avaient drastiquement réduit le financement de Téhéran au parti chiite.
Dans ce cadre de sanctions renforcées, le département d'Etat américain avait sanctionné mercredi dernier un cadre militaire du Hezbollah, Hussein Ali Hazimé, en charge d'une unité du renseignement au sein du parti chiite. Et en avril dernier, les Etats-Unis avaient imposé des sanctions à l'égard de deux personnes et trois entités, deux basées en Belgique et une en Grande-Bretagne, liées au Hezbollah. Le même mois, le département d'Etat américain a offert des récompenses allant jusqu'à 10 millions de dollars à toute personne susceptible de fournir des informations sur les mécanismes de financement du Hezbollah et nommément identifié trois des grands bailleurs de fonds du parti. En tout, 50 membres ou entités liés au Hezbollah ont été placés depuis 2017 sur la liste des sanctions américaines pour terrorisme.
Créé au début des années 80, le Hezbollah est classé comme "organisation terroriste" par les Etats-Unis. Depuis sa création, plusieurs attentats lui ont été attribués notamment en France, au Liban ou en Bulgarie. Il est l'un des principaux alliés du régime syrien dans sa guerre contre les rebelles en Syrie. Avec la fin de la guerre civile libanaise en 1990, le Hezbollah est la seule formation à avoir maintenu son arsenal. Cette question divise la classe politique libanaise entre ceux qui défendent la légitimité de cet arsenal qui est censé être dirigé contre Israël, et ceux qui rejettent la présence de ces armes en dehors du cadre étatique.
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commentaires (17)
Puisque le Liban - et on ne peut le lui reprocher - n'a pas les moyens de se débarrasser de la pieuvre iranienne, il devrait applaudir (au moins au for intérieur) à chaque mesure qui peut l'aider à retrouver son autonomie.
Yves Prevost
07 h 21, le 11 juillet 2019