Le procureur général par intérim près la Cour de cassation, Imad Kabalan, a entamé hier son enquête sur le grave incident de dimanche à Qabr Chmoun, au cours duquel deux gardes du corps du ministre d’État pour les Affaires des réfugiés Saleh Gharib ont trouvé la mort, tandis qu’un adolescent étranger à la querelle était grièvement atteint d’une balle perdue. L’incident a en outre fait deux autres blessés.
M. Kabalan a inspecté « la scène du crime et pris connaissance des relevés de la police judiciaire », précise le communiqué publié par l’Agence nationale d’information (ANI, officielle). Le magistrat a ensuite pris connaissance des enquêtes menées par les services de sécurité (armée et FSI), soucieux surtout d’obtenir les vidéos qui ont pu être prises pendant les incidents afin d’en reconstituer le déroulement.
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Les versions des incidents sont en effet diamétralement opposées, le Parti démocratique de Talal Arslane et le Parti socialiste progressiste s’accusant mutuellement d’avoir été les premiers à tirer. Selon le PSP, le ministre Saleh Gharib a brandi son pistolet et participé à l’échange de tirs. En face, on fait état de la présence sur les toits d’éléments armés pour accréditer la thèse d’un attentat en bonne et due forme.
Aoun et la liberté d’expression...
Le déplacement du procureur général à Aley a suivi une réunion du Conseil de défense, sous la présidence du chef de l’État. Rendant compte des travaux, le secrétaire général du Conseil, Wajdi Chamseddine, a fait état à la fois des appels au calme lancés par le Premier ministre, soucieux d’offrir un climat opportun à une reprise économique, et des trois principes devant orienter l’action de l’État, selon le président Aoun : la liberté de croyance, le droit à la différence et la liberté d’opinion et d’expression. L’insistance sur la liberté d’expression a été interprétée comme une approbation tacite du droit du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, à continuer à faire campagne. Pour sa part, Saad Hariri a insisté sur la nécessité de « régler politiquement » le différend opposant les deux camps druzes et de tenir l’armée « à l’écart des différends partisans », se montrant sensible aux accusations lancées contre l’institution militaire par le parti de M. Arslane.
À l’heure de mettre sous presse, aucune arrestation n’avait encore été opérée dans les rangs des tireurs, pourtant bien visibles sur différentes vidéos des incidents. Le Parti démocratique affirme avoir identifié de nombreux tireurs et demandé que toute l’affaire, considérée comme un attentat mettant en danger la sûreté de l’État, soit déférée devant la cour de justice. Le PSP assure, lui, que des témoins oculaires ont vu le ministre d’État Saleh Gharib utiliser son revolver.
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L’effervescence liée à l’incident et aux deuils qui ont frappé la région n’était pas encore tombée hier. Elle s’est traduite notamment par des coupures répétées de l’autoroute Bhamdoun-Baalechmay avec des pneus enflammés, suivies à chaque fois de sa réouverture par les bulldozers de l’armée. Par ailleurs, dans toutes les régions où les partisans de MM. Joumblatt et Arslane sont présents, notamment dans les grandes agglomérations du littoral, la tension était perceptible et des patrouilles de l’armée ont circulé.
Le PSP invite Bassil à circuler librement
Le PSP, dont le chef Walid Joumblatt a été reçu hier par l’émir du Koweït, a fait paraître en soirée un communiqué dans lequel il a confirmé que « ce qui s’est produit est le résultat d’une accumulation d’incidents qui ont commencé avec l’incident de Choueifate, en mai 2018 ». Un incident au cours duquel un membre de la Défense civile relevant du PSP avait été tué par le chef du service de sécurité de Talal Arslane, que ce dernier n’a jamais voulu livrer à la justice. D’autres tireurs auraient trouvé refuge « hors des frontières », comprendre : en Syrie. « La justice ne saurait être sélective », poursuit le PSP dans son texte, où il est également souligné qu’il s’en remet entièrement à l’enquête judiciaire, ajoutant qu’il ne se laissera pas entraîner dans des polémiques de nature à enflammer les esprits et à attiser le réflexe confessionnel ; et qu’il s’en remet tout aussi entièrement à l’armée « qui a toute sa confiance ».
Pour finir, le parti joumblattiste a invité le chef du CPL à circuler librement où bon lui semble, aussi bien dans la Montagne druze qu’ailleurs, tout en l’invitant aussi à faire preuve « d’objectivité aussi bien dans la Montagne qu’ailleurs ».
Certes, dans l’analyse de l’incident de dimanche, on ne saurait négliger le facteur syrien, ni d’ailleurs le fil des frictions ayant opposé le PSP au régime de Damas, qui cherche par tous les moyens à trouver une alternative au leadership de Walid Joumblatt et à mettre fin à ce qu’il considère comme son hégémonie sur sa communauté.
Les incidents de dimanche ont fait deux morts, rappelle-t-on, Samer Abou Faraj et Rami Salmane, gardes du corps de Saleh Gharib, et trois blessés. Ils sont survenus au moment où le chef du Courant patriotique libre et chef de la diplomatie, Gebran Bassil, effectuait une tournée dans la région et se rendait auprès d’un dignitaire religieux druze rival du cheikh Akl officiellement reconnu par l’État.
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