Imprégnée des velléités générales de lutte contre la corruption, la séance parlementaire qui s’est tenue hier – d’abord pour élire les députés de la Haute Cour de justice, ensuite pour voter des lois urgentes – a révélé les tensions existantes entre le parti chiite et ses alliés prosyriens, nouveaux chantres de la réforme d’une part, et le Premier ministre Saad Hariri qu’ils tendent à considérer comme premier responsable des faux pas financiers d’un cabinet à l’autre. Ces tensions sont restées toutefois contenues, nul n’ayant intérêt à les exacerber. « Je ne suis pas responsable (des mois passés sans budget en l’absence d’un cabinet, NDLR). La responsabilité est politique », partagée entre tous, pour avoir manqué de former un cabinet plus tôt : tel est le message fort de Saad Hariri aux députés du Hezbollah, réticents à autoriser le gouvernement à engager des dépenses sur la base du 12e provisoire, en l’absence d’un budget pour l’année courante, et ce jusqu’au 31 mai 2019.
Pas une seule fois le Hezbollah ne s’est mis sur la défensive, ni a tenté de défendre sa campagne contre la corruption. Il s’est employé toutefois, en s’appuyant principalement sur le député Hassan Fadlallah, à formuler des demandes claires au gouvernement, comme l’adoption d’une politique budgétaire d’austérité jusqu’au 31 mai, une demande qui n’a pas été retenue.
La séance a commencé presque sur un registre ludique : alors que le député Ali Ammar, membre du groupe parlementaire du Hezbollah, déplorait l’arrêt du financement de la caisse municipale, il s’est arrêté pour faire remarquer que « le Premier ministre Hariri ne l’entendait pas »… Ce dernier était effectivement assis, le dos tourné vers le président de la Chambre. Il a alors réajusté sa position, avec un léger sursaut et un sourire partagé avec les deux ministres Ghassan Hasbani et Élias Bou Saab, assis à ses côtés.
Nul n’a contesté le principe que « le meilleur moyen de combattre la corruption n’est pas d’accuser une personnalité mais d’appliquer la loi », selon les termes du député Yassine Jaber, qui rebondissait sur l’intervention de Imad Wakim et d’Alain Aoun. Le groupe du Futur a adressé une pointe discrète au Hezbollah, par la voix de Mohmmad Hajjar, sur la corruption douanière et la contrebande aux frontières (que le Hezbollah est soupçonné de couvrir).
Ménageant la chèvre et le chou, le député Alain Aoun a précisé en début de séance que le Courant patriotique libre – s’il a pris le relais du Hezbollah dans sa campagne contre la corruption, au détriment de Saad Hariri – « ne vise personne ».
(Lire aussi : Encore des mesures pour financer l’État avant même le budget)
La Haute Cour de justice
C’est sur fond d’une lutte diffuse contre la corruption que l’élection s’est tenue. Se positionnant en objectrice de conscience, la députée Paula Yacoubian s’est adressée au chef du législatif, en usant de mots de complaisance, pour dénoncer ce qui est « connu » de tous, à savoir que l’élection des membres de la Haute Cour de justice est de pure forme, parce que ces derniers ont fait l’objet d’un consensus en amont de la séance. Le président de la Chambre a vite interrompu son élan, la prenant de court, en rappelant que la possibilité est ouverte à tout député de se porter candidat. La Haute Cour se compose de sept députés élus par la Chambre et de huit des plus hauts magistrats pris par ordre hiérarchique ou, à rang égal, par ordre d’ancienneté, et dont les noms ont déjà été sélectionnés par le Conseil supérieur de la magistrature. Les nouveaux magistrats qui y siégeront ont été désignés jeudi par les présidents des chambres de Cours de cassation. Outre Jean Fahd, les nouveaux membres sont les juges Joseph Samaha, Claude Karam, Michel Tarazi, Souheir Haraké, Jamal Hajjar, Afif Hakim et Roula Jadayel.
L’élection d’hier a été précédée d’un débat inédit au Parlement autour de la validité du choix des juges par le Conseil supérieur de la magistrature. Relayant la déclaration du député Georges Adwan qui a ouvert les débats, le ministre Salim Jreissati a laissé entendre entre autres que l’ordre hiérarchique n’a pas été respecté : ce que le député Jamil Sayyed s’est employé assidûment à démontrer nom par nom, avec à l’appui une liste des juges, leur ordre hiérarchique et leur degré d’avancement, et ceux de leurs collègues qui seraient selon lui plus méritants. Alors qu’il est entendu que l’équilibre confessionnel ne s’applique pas à l’élection des députés membres de la Haute Cour, la question continuait de faire l’objet de divergences pour ce qui est des juges qui en sont membres.
Le débat a été poussé au point de compromettre la séparation des pouvoirs, comme l’a fait remarquer le député Marwan Hamadé, l’idée ayant même été avancée de suspendre l’élection par le Parlement de ses représentants, le temps de vérifier la régularité du choix des juges par le CSM. Cette idée a notamment été rejetée par Nabih Berry et le ministre de la Justice Albert Serhane.
À défaut d’un report des élections, celles-ci se sont tenues en prenant beaucoup plus de temps que prévu. Les sept députés membres titulaires auraient pu être élus d’office, n’était la décision – encouragée par le président de la Chambre – des députés Paula Yacoubian, Ali Darwiche et Élias Hankache. Ce dernier finira par être élu à la place du député Albert Mansour – qui s’était dit d’ailleurs étonné qu’on ait avancé son nom sur la liste initiale qui aurait pu être élue d’office.
Les parlementaires élus sont : Georges Okaïss (Forces libanaises), Ali Ammar (Hezbollah), Fayçal el-Sayegh (Rassemblement démocratique de Walid Joumblatt), Georges Atallah (Courant patriotique libre), Samir el-Jisr (courant du Futur), Hagop Pakradounian (Tachnag) et Élias Hankache (Kataëb).
Trois autres députés ont été élus d’office comme suppléants. Il s’agit de Ali Osseirane (Amal), Salim Aoun (Courant patriotique libre) et Roula Tabch Jaroudi (courant du Futur).
(Lire aussi : Campagne contre la corruption : les critiques contre le Hezbollah se poursuivent)
Le voile du point de vue du Hezbollah
Dans la foulée des doléances adressées au gouvernement, le député Ali Fayad a informé le ministre de la Justice de « l’interdiction faite aux femmes voilées d’intégrer le corps magistral », ce qui a paru étonner plus d’un, à commencer par Saad Hariri. « L’interdiction se fait de facto », a-t-il dit, en défendant l’idée que le voile n’est pas plus un symbole religieux que ne l’est un prénom à connotation religieuse. Il a invoqué enfin « le souci du pluralisme, spécificité » du Liban.
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commentaires (6)
C,ETAIT LA MARMITE A SOUS MAGIQUE AUTOUR DE LAQUELLE TOUS DANSAIENT ET Y PUISAIENT A TOUR DE ROLE... MAIS LES PLUS GRANDES PARTS ETAIENT INGURGITEES PAR LES BOYCOTTEURS-INTIMIDEURS !!! ET A RAISON...
LA LIBRE EXPRESSION
16 h 02, le 07 mars 2019