Le député du Hezbollah Hassan Fadlallah a fait parler de lui cette semaine en annonçant lundi qu’il allait transmettre à la justice des documents révélant selon lui de nombreuses irrégularités dans les écritures comptables, notamment sur la période 1993-2012, rendant leurs auteurs passibles de poursuites judiciaires. Le député a joint la parole aux actes dès jeudi, en faisant état au passage de milliards de livres libanaises qui auraient « disparu », selon lui, pendant cette période. Cette initiative a coïncidé avec la finalisation du travail de reconstitution des comptes publics effectué par le ministère des Finances couvrant la période allant de 1993 à 2017.
Une initiative qui a notamment fait réagir l’ancien député, membre du courant du Futur, Fouad Siniora, qui a occupé plusieurs postes au sein des gouvernements successifs sur cette période. Il a en effet d’abord été ministre d’État aux Affaires financières de fin 1992 à 1998, ministre des Finances de 2002 à 2004 ; ministre de l’Économie et du Commerce en 2004 ; et enfin Premier ministre de 2005 à 2009.
Bien qu’il n’ait pas été explicitement désigné par M. Fadlallah, l’ami d’enfance de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri assassiné en 2005, a tenu une conférence de presse hier au syndicat de la presse à Beyrouth au cours de laquelle il a exprimé son point de vue sur les polémiques liées à la gestion des fonds publics sur la période allant de 1993 à 2017.
M. Siniora avait déjà pris une première fois les devants en novembre dernier en niant toute implication dans d’éventuels détournements de fonds publics dans une lettre ouverte adressée au président de la République Michel Aoun (fondateur du CPL), quelques jours après les premières annonces concernant la fin de l’opération de reconstitution des comptes publics entamée par le ministère des Finances en 2010.
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Guerre civile
S’agissant des irrégularités évoquées par le député du Hezbollah, M. Siniora a invoqué le fait que le bilan d’ouverture à partir duquel il avait commencé à élaborer le premier budget de l’État depuis la fin de la guerre civile en 1993 s’était basé sur les documents disponibles qui avaient pu être récupérés à cette époque. « C’est la fameuse mise à zéro des comptes par M. Siniora évoquée à plusieurs reprises ces dernières années », confirme une source proche du dossier.
La gestion des finances publiques au Liban a été marquée par de nombreuses entorses à la loi depuis la fin des années 1980, d’abord à cause de la guerre civile, au cours de laquelle le ministère des Finances a été partiellement détruit, puis en raison de plusieurs facteurs liés à la vie politique libanaise. Un épisode sur lequel M. Siniora est revenu d’entrée en rappelant notamment que le ministère des Finances a arrêté de préparer les bilans de clôture (NDLR : qui doivent figurer sur les lois de règlement, lesquelles permettent de clôturer les comptes budgétaires) entre 1979 et 1992. Selon la Constitution, le budget d’une année (suivante) ne peut être publié avant que le Parlement ne vote la loi de règlement pour la précédente.
Face à l’impossibilité de reconstituer les comptes publics suite à la disparition ou la destruction des documents comptables pendant la guerre, le Parlement va ainsi « ignorer » les bilans de clôture de 1990 à 1992. En 1993, l’équipe de M. Siniora dresse le premier bilan d’ouverture en 13 ans en se basant sur l’état des finances à ce moment. À partir de là, le Parlement va adopter des budgets de 1994 à 2005, parfois dans les temps (avant la fin de l’année civile comme le prévoit la Constitution, et parfois hors des clous, un historique confirmé par un calendrier transmis par l’ancien ministre pendant la conférence de presse).
Les irrégularités comptables évoquées par M. Fadlallah et qui pourraient hypothétiquement concerner M. Siniora portent nécessairement sur les périodes où il a été ministre entre 1993 et 2005, dans la mesure où l’État va ensuite fonctionner sans budget jusqu’en 2017, en utilisant plusieurs artifices comptables et juridiques.
Le plus célèbre est l’extension – irrégulière du point de vue de la Constitution – de la règle du douzième provisoire. L’objectif de ce dispositif prévu par la Constitution est de permettre à l’État de se financer pendant le mois supplémentaire qui peut être exceptionnellement accordé au Parlement pour voter le budget lors de son année d’exécution, avant que l’exécutif ne soit autorisé à le promulguer par décret, si les députés ne parviennent toujours pas à s’entendre. Or les gouvernements successifs sur la période ont utilisé cette règle pour financer l’État pendant 12 ans, en se prévalant principalement de la nécessité d’assurer sa continuité.
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Traçabilité
C’est là qu’intervient la seconde ligne de défense de l’ancien Premier ministre, qui s’est également exprimé lors de la conférence de presse sur l’affaire des 11 milliards de dollars que le Courant patriotique libre lui a reproché depuis des années d’avoir dépensé sans accord du Parlement. Se réfugiant comme les gouvernements qui ont suivi jusqu’en 2017 dans la nécessité d’assurer la continuité de la gestion des affaires courantes pour justifier le détournement de la règle du douzième provisoire, l’ancien Premier ministre a néanmoins assuré que les fonds avaient bien servi à financer l’action de l’État sur cette période.
M. Siniora a notamment expliqué que les dépenses publiques avaient été supérieures sur la période allant de 2006 à 2009 que les 10 000 milliards de livres prévus par an – soit 40 000 milliards de livres au total (26,5 milliards de dollars) – via la règle du douzième provisoire, en raison notamment de la hausse des prix du pétrole ou des dépenses engagées suite à la guerre de juillet 2006 contre Israël. Des aléas qui ont porté le total des besoins de l’État, selon lui, à 56 590 milliards de livres (37 milliards de dollars) qui ont été financés par des avances du Trésor.
L’ancien ministre a en outre communiqué un tableau dans lequel il répertorie les différentes dépenses financées par les « 11,7 milliards de dollars » de différence. Sur ce total « 3 139 milliards de livres » (2,08 milliards de dollars) ont par exemple été versés à Électricité du Liban pour assurer son fonctionnement ; ou « 5 288 milliards de livres » pour payer le service de la dette publique. En outre, 2 990 milliards de livres (1,98 milliard de dollars) ont été dépensés pour couvrir des dépenses liées à l’exécution de loi antérieures engageant le gouvernement et 1 694 milliards de livres (1,12 milliard de dollars) correspondent à des sommes dues aux municipalités, entre autres. Des chiffres dont il est difficile de vérifier qu’ils correspondent à la réalité sans consulter les comptes reconstitués qui n’ont pas été encore rendus publics mais dont M. Siniora a assuré qu’ils pouvaient être retracés notamment via le ministère des Finances ou la Banque du Liban.
Parmi les autres sujets évoqués liés à la gestion des finances publiques, M. Siniora a enfin indiqué que le courant du Futur avait insisté à plusieurs reprises pour faire réaliser un audit des comptes publics par des organismes internationaux, ainsi que sur la traçabilité des dons faits au Liban après la guerre de 2006. Il s’est enfin interrogé sur le fait qu’un député ait eu accès au rapport sur la reconstitution des comptes publics alors qu’ils doivent en principe être transmis au Parlement après avoir fait l’objet d’un rapport de la Cour des comptes.
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C'est vraiment étonnant c'est toujours le Hezbollah qui trouve les scandales , je pense pour couvrir les siens, il faut dire ils sont malins ils ont appri une bonne leçon des perses
19 h 03, le 02 mars 2019