Ni la pluie ni l’obscurité n’ont découragé plusieurs dizaines de manifestants réunis face aux locaux de la Banque mondiale dans le centre-ville de Beyrouth, à l’appel de la Campagne nationale pour la préservation de la plaine de Bisri et du Mouvement écologique libanais (LEM), de manifester contre un barrage qui devrait noyer six millions de mètres carrés de cette région entre le Chouf et Jezzine. Les arguments contre ce mégaprojet – conçu pour assurer 125 millions de mètres cubes d’eau qui approvisionneront une zone s’étalant de l’Iqlim el-Kharroub à Beyrouth pour un budget de 1,2 milliard de dollars – ne manquent pas : du risque sismique à la perte de la biodiversité et de plus de 50 sites archéologiques, en passant par le risque plus que réel d’acheminer de l’eau polluée du Litani vers Beyrouth. Le coup d’envoi du projet devrait se situer autour du 14 mars.
Les organisateurs ont beaucoup insisté hier sur la pollution de l’eau. Paul Abi Rached, président du LEM, cite le rapport de la BM pour préciser que 60 millions de mètres cubes de l’eau du futur barrage proviendra du Litani (et du lac Karaoun), 60 millions du fleuve Awali et le reste de différentes sources de la région. Ce qui équivaut à priver une zone entière de ses sources et à faire parvenir de l’eau irréversiblement polluée dans les robinets de la capitale, souligne-t-il à L’Orient-Le Jour.
(Lire aussi : Barrage de Bisri : pour un principe de précaution archéologique)
22 000 signatures
Ils étaient nombreux à prendre la parole hier et à brandir des banderoles avec des slogans tels que : « Contre la destruction de 50 sites archéologiques », « Contre l’abattage de 300 000 arbres », « Arrêtez la politique des grands barrages »… Et ils n’étaient pas venus les mains vides : une pétition pour sauvegarder la vallée a déjà recueilli plus de 22 000 signatures. Elle a été remise à une représentante du directeur régional de la BM Saroj Kumar, qui leur a demandé, en son nom, de désigner un porte-parole afin de discuter de la question à son retour à Beyrouth. Elle a été accueillie par des cris de « À bas le barrage ! », ce qui a fait monter la tension d’un cran. Paul Abi Rached confirme à L’OLJ que le groupe d’écologistes « refuse de négocier » avec la BM, ayant fait remarquer que de précédents contacts « ont été une perte de temps, puisque le projet n’a pas bougé d’un pouce ».
Un autre moment fort de la manifestation a été l’arrivée du député Oussama Saad, pratiquement seul officiel présent. Dans son discours, il a qualifié le barrage de « crime écologique », dénonçant « une mainmise des mafias » sur le projet. Interrogé par L’Orient-Le Jour sur les raisons de son opposition au barrage, le député évoque « les conséquences pour le fleuve Awali qui alimente la ville de Saïda ». Mais il n’y a pas que cela. « La plaine de Bisri est au cœur de toute une région », dit-il. Pour lui, elle fait partie de son passé et de son présent. « Après le retrait israélien de cette région, j’y suis revenu pour planter 6 000 arbres, raconte-t-il. Jusqu’à ce jour, j’y passe une bonne partie de mes week-ends dans ce havre de biodiversité. Je ne comprends pas pourquoi on veut nous en priver, quand les alternatives existent et qu’il faut commencer par mettre un terme aux fuites dans les réseaux avant d’entreprendre de grands barrages ? »
M. Saad rappelle qu’il a été le seul à aborder ce sujet au Parlement, lors de la session de discussion de la déclaration ministérielle. Il ne sait pas si d’autres députés porteront cette cause, mais assure qu’il continuera à lutter contre ce barrage à l’intérieur comme à l’extérieur de l’hémicycle.
(Pour mémoire : Ils marchent pour dire non à la construction du barrage de Bisri)
« Nous fermerons la route aux bulldozers »
Les allocutions prononcées par les organisateurs étaient un concentré des arguments pour un rejet du projet de barrage. « Nous sommes là pour que Beyrouth ne boive pas une eau cancérigène », peut-on lire dans leur communiqué. Le texte évoque l’eau de l›Awali, qui doit continuer à irriguer les plaines de Saïda, les bois qui doivent être préservés, les plus de 50 vestiges à conserver…
« Nous refusons la construction d’un barrage sur le point de rencontre de deux failles majeures », poursuit le texte. Il énumère les échecs des autres barrages, estimant que « le Liban ne souffre pas d’une pénurie d’eau, mais de corruption dans le secteur de l’eau, avec plus de 40 % de fuites dans les canalisations ». Les organisateurs se sont adressés à la BM « qui veut prêter des centaines de millions de dollars au Liban en vue de construire ce barrage catastrophique », l’accusant de nuire aux populations les plus vulnérables et de rejeter le dialogue… « Nous vous soumettons aujourd’hui la première partie de cette pétition afin de vous demander de retirer votre financement de ce projet », conclut le texte.
La foule des manifestants était composée de personnes très motivées. « Abattre des arbres sur une si grande superficie accentuera la désertification qu’ils prétendent combattre par la construction du barrage, souligne Boutros Slim, militant écologiste de Jezzine. Le risque d’une hausse du taux d’humidité est bien réel, ce qui portera atteinte aux forêts des environs, qui sont parmi les plus belles du pays et qui absorbent une grande quantité de CO2 ». Croit-il dans l’arrêt du projet ? « Je peux vous dire que nous fermerons la route avec des bulldozers », affirme-t-il.
Hadi Mounla, venu de Beyrouth, se désintéresse du fait que ce projet pourrait améliorer l’alimentation en eau de la capitale et se réfère surtout au prix exorbitant de l’ouvrage, « qui cache certainement des commissions considérables ». Marie, originaire de Annan, dans le caza de Jezzine, renchérit : « Quand quelqu’un échoue, est-il rationnel de lui confier d’autres projets ? N’a-t-on pas vu ce qui s’est passé dans le cas des autres barrages ? » Les deux manifestants, qui connaissent bien la vallée, déplorent qu’on fasse si peu cas de la biodiversité de ce site. Le financement de la BM ? « Qu’ils consacrent l’argent à d’autres projets, plus adaptés », soulignent-ils.
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commentaires (6)
Bravo on arrete les barrages et on devient ECOLO ( ha ha )Laissons les rivieres de caca et pipi couler librement et on se contente de l'eau salée a boire et à se laver à Beyrouth .Tout d'un coup on se met a proteger quelques colonnes en granite...
aliosha
17 h 42, le 05 mars 2019