Le 6 février renvoie à deux dates importantes pour le Liban. En 1984, l’intifada du 6 février a permis aux miliciens du mouvement Amal de prendre le contrôle des quartiers dits de Beyrouth-Ouest, avec à cette époque l’aval du PSP de Walid Joumblatt, tout en créant une sorte de scission au sein de l’armée. L’émergence de la fameuse 6e brigade formée de chiites a consacré de fait une division des unités de l’armée selon la coloration confessionnelle et l’appartenance politique. Cette division a duré jusqu’en 1990, lorsque le commandant en chef en ce temps, le général Émile Lahoud, a initié le projet de mélange des brigades et rétabli le service militaire obligatoire pour resserrer les liens entre les différentes composantes communautaires.
Aujourd’hui, avec le recul, les analystes estiment que le 6 février 1984 a marqué une sorte d’intifada chiite pour permettre à cette communauté de participer de façon plus déterminante à l’appareil de l’État et au processus de prise des décisions, qui se concrétise désormais à travers l’accord de Taëf, dans les pouvoirs accordés au président de la Chambre et à travers la coutume adoptée récemment d’octroyer le portefeuille des Finances à la communauté chiite. Ce qui lui permet d’avoir une signature sur les décrets gouvernementaux, aux côtés de celles du président de la République (chrétien) et du Premier ministre (sunnite).
Trente ans plus tard, beaucoup de Libanais ont oublié cette date. Mais pas les principaux acteurs, à savoir le mouvement Amal et son chef, le président de la Chambre Nabih Berry, qui ont tenu à la célébrer à travers des conférences, une cérémonie centrale et des articles dans la presse.Pourquoi, cette année, la célébration de cet événement a-t-elle été plus marquée que lors des années précédentes ? C’est qu’entre-temps, le 6 février est aussi devenu la date anniversaire d’un autre événement, tout aussi, sinon plus, important. Il s’agit de la conclusion de l’entente de Mar Mikhaël entre le CPL et le Hezbollah en 2006. Pour son treizième anniversaire, cette entente a aussi eu droit à une célébration plus importante que d’habitude, pour de multiples raisons. D’abord, elle intervient après les tiraillements et les secousses causés par les élections législatives et les divergences sur plusieurs dossiers internes. Ensuite, elle s’accompagne cette année de la décision du Hezbollah d’être plus actif dans la vie politique locale en cherchant à intégrer l’administration publique et à être plus présent au sein du gouvernement. Ce qui a forcément poussé le mouvement Amal à vouloir rappeler qu’il reste à l’origine de ce que certains appellent « le réveil de la communauté chiite ».
(Lire aussi : Le CPL et le Hezbollah tentent d’afficher toujours un front commun)
Quelque part, les deux événements se retrouvent dans un même objectif qui porte sur la participation de la communauté chiite au pouvoir, mais ils restent très différents dans leur symbolisme. Le 6 février 1984 concrétisait la victoire du principe milicien et communautaire sur le principe national. Le 6 février 2006 couronne des mois de négociations entre deux parties que rien, au départ, ne réunissait autour d’un document dont l’axe principal est l’entente intercommunautaire autour du projet de l’État.
Des voix se sont d’ailleurs élevées pour critiquer une entente conclue entre une force armée parallèle à celle de l’État et un courant politique qui défend l’État et ses institutions. Mais, justement, selon ceux qui l’ont conclu, l’un des points fondamentaux de l’entente de Mar Mikhaël est la reconnaissance par le Hezbollah de la suprématie de l’État et du fait que sa propre force est utile pour compléter celles de l’État jusqu’au jour où ce dernier n’aura plus besoin de forces complémentaires...
Cette entente, dans laquelle beaucoup de parties internes n’ont vu que la rencontre provisoire d’intérêts politiques étroits, se veut pourtant un accord global sur une vision commune du rôle du Liban et des institutions.
En 2006, certains ont estimé que la rencontre entre le CPL – exclu du gouvernement et ostracisé par les autres formations du 14 Mars en dépit de sa victoire aux législatives de mai 2005 – et le Hezbollah – déçu par l’accord quadripartite qu’il avait conclu avec le mouvement Amal, le courant du Futur et le PSP et qui avait permis au 14 Mars d’obtenir la majorité parlementaire, avant d’être abandonné – était une simple réaction à leur isolement politique.
Les négociations entre des représentants du parti chiite et d’autres du CPL ont donc commencé dès l’été 2005, mais elles n’ont été couronnées par un accord que le 6 février 2006. Ce qui montre le sérieux des discussions et la volonté des deux parties d’aboutir à une entente de fond.
(Pour mémoire : Bassil réaffirme l'alliance avec le Hezbollah et s'en prend à nouveau à Amal)
Le hasard politique a voulu que la veille de l’annonce de l’accord, des manifestations se soient déroulées à Beyrouth et notamment à Achrafieh, avec une attaque d’église par des musulmans protestant contre les caricatures visant le Prophète publiées dans un journal danois. Ces manifestations et les actes de vandalisme fanatique qui les avaient jalonnées avaient choqué les habitants d’Achrafieh. La rencontre de Mar Mikhaël est donc arrivée à point nommé pour donner une autre image et une autre perspective aux rapports entre les différentes communautés. Treize années plus tard, l’entente de Mar Mikhaël tient bon et constitue toujours une nouvelle approche pour la vision de l’État et le renforcement de ses institutions. À travers les secousses et les multiples développements dans une région en pleine tourmente, elle a constitué un filet de sécurité contre toute tentative de discorde interne.
Certes, au cours de ses treize ans d’existence, l’entente de Mar Mikhaël a connu des secousses et des moments de doute entre les bases respectives des deux formations, mais elle a survécu aux crises et à toutes les tentatives locales, régionales et internationales de la briser. Elle s’apprête désormais à entamer une nouvelle phase avec la volonté des deux parties de faire de la lutte contre la corruption leur priorité. La rencontre-débat qui a eu lieu le 6 février à Mar Mikhaël entre des représentants des deux camps, en présence du chef du CPL Gebran Bassil, a permis d’évoquer tous les sujets avec franchise pour dissiper tout malentendu, avec une conclusion : chaque partie doit apprendre à respecter les différences de l’autre. Tout un programme...
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commentaires (7)
Nous rencontrons des gens qui ruent dans les brancards du matin au soir, dès que leurs divers dieux sont évoqués de façon non conforme à leurs propres définitions, tout en enjolivant leurs critiques frisant l'insulte avec des citations glanées un peu partout et surtout dans les langues de cette Europe critiquée et accusée sans cesse de tous les maux qui nous tombent dessus. Ces gens ont la chance de ne pas être atteints par la bave des crapauds...puisqu'ils volent là haut avec les blanches colombes... Irène Saïd
Irene Said
17 h 18, le 07 février 2019