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Plus loin que la tolérance

Historique à tous points de vue, marquée par plus d’une première dans les annales du dialogue interreligieux, est la visite que vient d’effectuer le pape François à Abou Dhabi.


Messager de concorde et de fraternité entre fils d’un même Créateur, le chef de l’Église catholique a été largement payé de retour par ses interlocuteurs musulmans. Des serments ont été échangés, un document solennel a été signé par les deux plus hautes autorités morales de la chrétienté et de l’islam. Et même les princes émiratis ont dû entendre sans broncher les exhortations à la paix des armes lancées par le souverain pontife, lesquelles sonnaient pourtant comme une condamnation sans appel de cette guerre du Yémen tournant à la catastrophe humanitaire, et à laquelle l’État hôte prend une part active.


Une ombre au tableau cependant, une seule : dans ce bouillonnement de bonnes paroles et de saints sentiments, que de fois est revenu ce mot qui laisse sur sa faim, ce mot tristement réducteur, inadapté à la grandeur de l’évènement, celui de tolérance ! Car au fond tolérer l’autre, n’est-ce pas seulement supporter sa présence ? N’est-ce pas laisser passer, par indulgence, condescendance, mansuétude et même magnanimité, un accroc à la norme ? Et d’ailleurs plus d’un participant de haut rang au saint jamboree d’Abou Dhabi n’a-t-il pas souligné qu’il est grand temps de passer de la tolérance à l’acceptation et au respect ?


Mieux encore, on a vu l’imam d’al-Azhar, la plus haute instance sunnite, cautionner courageusement – verbalement et par écrit – l’appel du pape à la reconnaissance d’une pleine citoyenneté pour les minorités religieuses discriminées. On l’a même vu appeler haut et clair, à son tour, les musulmans à ouvrir leurs bras aux chrétiens : lesquels, a-t-il affirmé, font partie intégrante de l’Orient arabe et doivent eux-mêmes cesser de se considérer comme une minorité.


Mais encore faut-il faire une réalité concrète de ce qui n’est pour l’heure, et c’est bien le cas de le dire, qu’un vœu pieux. Et c’est là que se pose, pour plus d’un pays arabe ou musulman, la question des rapports entre l’autorité en place et la hiérarchie religieuse, de l’influence que peut avoir ou non cette dernière sur les décisions du gouvernement. Si, au contraire des Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite n’accueille pas une seule église, c’est parce que les Ikhwan wahhabites, qui s’y refusent, sont les cofondateurs du royaume dont ils demeurent l’ossature, malgré les idées modernistes du prince héritier Mohammad ben Salmane.

C’est bien en Égypte par ailleurs que siège le prestigieux al-Azhar, que l’on voit animé des plus nobles dispositions, mais qui est loin de jouer un rôle aussi décisif qu’en Arabie. Or c’est dans cette même Égypte que les coptes, pourtant la fraction de la population la plus anciennement installée sur la terre des pharaons, demeurent, jusqu’à nouvel ordre, des citoyens de seconde zone, en dépit des progrès apportés par la Constitution de 2014 : cela sans parler des agressions visant épisodiquement leurs lieux de culte malgré, cette fois, la répression conduite par le régime du Caire.


Ironie du hasard, les retrouvailles interreligieuses d’Abou Dhabi, clôturées hier par une grande messe célébrée en plein air, surviennent au moment où le modèle libanais tant chanté (notamment par des papes) n’en mène pas large. C’est en effet au nom des droits des communautés, et de leurs prétendus champions, qu’un temps précieux a été perdu en mesquins marchandages sur la composition d’un nouveau gouvernement d’unité nationale : lequel, à peine formé, est déjà en proie aux querelles intestines.


Cas typique d’intolérance. À la démocratie.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

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