À mesure que surgissent les obstacles qui retardent la formation du gouvernement, se renforce la pénible impression que nous sommes engagés dans une guerre civile froide, dans une épreuve de force qui, comme le souligne le chef de l’État, le général Michel Aoun, a pour objectif d’instaurer de nouvelles règles constitutionnelles. Heureusement, cette guerre civile reste pour le moment « civilisée ». Par contre, elle a tout d’une guerre d’usure. En 1975, la guerre civile a éclaté dans les esprits d’abord, quand nous n’avons pas su faire la part des choses, quand chacun a prétendu que la vérité était exclusivement de son côté. On dirait que nous n’avons rien appris. Ainsi, au niveau des ministères, chacun veut délimiter son territoire politique, et c’est de force que des comptes sont parfois demandés par les médias ou la société civile. Depuis quelques jours, la foire aux ministères est une véritable guerre de tranchées. Comme des réfugiés affamés qui se ruent sur des aides alimentaires, on se dispute le portefeuille de l’Environnement, pour lequel des fonds de 1,4 milliard de dollars sont prévus dans le cadre de la conférence de Paris, la CEDRE. C’est absolument honteux.
(Revisiter la guerre du Liban : une nécessité et un défi, la tribune de Dima de Clerck et Carmen Abou Jaoudé)
Un jour de bienveillance et de bonne inspiration, le président de la Chambre Nabih Berry a affirmé que par un mot aimable, on pouvait obtenir de lui ce que des mois de manière forte n’obtiendraient pas. Bon, c’est une image, mais quelque part, il y a là une vérité. Nous sommes tous sensibles à l’amabilité. Essayons la manière douce. C’est bien l’un des principes des arts martiaux asiatiques. C’est en cédant que l’on gagne. Le premier médiateur venu vous le dira ; dans certains conflits, c’est la courtoisie, les bons rapports personnels, les liens de confiance que l’on parvient à établir qui feront le travail. Faut-il que Confucius se réveille de sa tombe pour faire découvrir aux Libanais leur patrimoine véritable, cette courtoisie qui est au cœur du vivre-ensemble, quel que soit le conflit qui nous oppose, quelles que soient nos différences ? Faudrait-il que Confucius revive pour réaliser que respecter les droits des autres et parler avec respect, sans défier l’autre, est la seule garantie que l’on se conduira de la même manière à notre égard ?
Abstraction faite du paternalisme prédémocratique que ces phrases charrient, le fait que le chef de l’État soit présenté comme étant « le père de tous les Libanais » et que Saad Hariri se dise « le père de la communauté sunnite », quelque part ces phrases vont dans le bon sens, celui de la modération. Ces images signifient, d’abord, « Parlons ». Eh bien, parlons ! Le protocole interdit aux trois présidents de se déplacer librement, soit. Mais qu’est-ce qui les empêche de téléphoner ? Qu’est-ce qui empêche n’importe lequel de nos politiciens de prendre l’appareil, et de composer le numéro de son adversaire politique, pour régler certaines choses ?
(Citoyens libanais, reprenons vraiment notre indépendance!, la tribune de Pierre Issa, cofondateur et ancien directeur général de l'association Arcenciel)
« Hassan Nasrallah va prendre la parole ! » Cette annonce sonne parfois comme une menace. Le secrétaire général du Hezbollah saura-t-il donner raison à de Gaulle qui disait qu’une victoire n’est rien si elle se limite à n’être qu’une victoire ? Saura-t-il être sage dans la victoire, comme il l’a été jusqu’à présent ?
Le luxe d’une guerre d’usure et d’un retard indéfini dans le processus de formation du gouvernement, nous aurions pu nous le permettre si les institutions fonctionnaient convenablement, si le malaise social et politique était moins aigu. Si la pauvreté ne frappait pas aux portes. Ce luxe est inacceptable quand on est dans l’indigence et les dettes jusqu’au cou, comme nous le sommes. Il y a certainement des enjeux de pouvoir, des priorités politiques, des préséances à respecter, mais ils passent bien loin après les avantages incomparables que l’on tirera, notamment sur le plan économique, si les institutions fonctionnent.
Passer de la parole aux actes, tenir les promesses faites à la population, voilà la priorité des priorités. Voilà ce qui doit venir en premier dans le champ de conscience de tous, du sommet à la base de la pyramide. Tenir parole, tenir parole devant le pays tout entier, devant les pauvres surtout, les doux et les humbles qui n’en peuvent plus d’attendre un métier, une aide hospitalière, un jugement de tribunal, une loi, une formalité moins compliquée. Ceux qui ont accompli leur « devoir d’attendre », comme on accomplit son service militaire, et qui, étranglés, n’en peuvent plus. Que peut la guerre que ne peut la paix ?
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C'est la faute à Norma! Brrrrr
19 h 07, le 07 janvier 2019