Le Premier ministre désigné, Saad Hariri. Photo Wikimedia Commons
Le 22 novembre, alors qu’il recevait, au palais présidentiel, des dignitaires pour la célébration du jour de l’Indépendance, le Premier ministre désigné Saad Hariri a soudainement quitté la haie d’honneur pendant quelques minutes. Apparemment, c’était parce qu’il avait besoin de boire un verre d’eau. La véritable raison, cependant, réside dans le fait qu’il avait remarqué l’arrivée de l’ambassadeur de Syrie au Liban, Ali Abdel-Karim Ali, à la tête d’une délégation et qu’il ne voulait pas avoir à lui serrer la main.
Hariri agit ainsi pour la seconde année consécutive. Mais cette année, le contexte est très différent. En novembre 2017, Hariri était un Premier ministre à part entière. Il dirigeait un gouvernement d’« unité nationale » opérationnel formé après une élection présidentielle consensuelle qui s’était déroulée un an auparavant. Il se préparait alors à mener son grand bloc parlementaire aux élections législatives de mai 2018.
En 2017, la situation syrienne était également différente. Le régime du président Bachar el-Assad se trouvait alors dans des circonstances difficiles, n’ayant pas encore repris le contrôle d’un grand nombre de zones encore acquises à l’opposition. Cependant, entre-temps, nombre de ces zones ont été reconquises par le régime, à l’exception de la province d’Idleb et des zones sous contrôle kurde, turc et syrien. Il est désormais question de reconstruire l’économie, mais aussi les réseaux du régime, dans des modalités axées sur la modification de certaines dispositions de la Constitution, avant la tenue d’une élection présidentielle en 2021.
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Condition suicidaire
Pour sa part, Hariri est beaucoup plus faible qu’il ne l’était. Son bloc parlementaire a perdu des sièges aux élections de mai dernier, et plusieurs de ses rivaux sunnites, qui soutiennent le régime syrien, ont été élus au Parlement. Pendant sept mois, il a lutté pour former un cabinet selon une combinaison à même de refléter le nouveau paysage politique du pays, mais qui lui permette de conserver un niveau minimal de pouvoir politique et ce qui reste de son prestige. De plus en plus, l’on dit que Saad Hariri pourrait être contraint de démissionner pour laisser quelqu’un d’autre former et diriger un nouveau gouvernement.
De manière simpliste, on peut expliquer cette impasse politique en arguant que les rapports de force internes induits par les élections ont produit des réalités impossibles à traduire en une combinaison gouvernementale à même de satisfaire tous les partis. De fait, durant des mois, Hariri a dû surmonter une série d’obstacles politiques pour une répartition des portefeuilles au sein de son gouvernement répondant aux exigences de tous. Pourtant, au moment où ce gouvernement était sur le point d’être constitué, le Hezbollah a posé une condition qui a suspendu tout le processus et démontré que le problème était plus profond qu’une simple question de répartition gouvernementale.
Début novembre, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a exigé qu’un ministre sunnite prosyrien soit nommé au gouvernement, parmi les personnes désignées par Hariri. Nasrallah a souligné que cette condition avait été posée dès le début des consultations menées en vue de la formation d’un nouveau gouvernement, ce que Hariri a fini par avouer. Mais le Premier ministre désigné a ajouté qu’il avait indiqué au président Michel Aoun avoir rejeté une telle demande, qu’il considérait comme suicidaire pour lui d’un point de vue politique.
Ce que Hariri n’a pas précisé, cependant, c’est que la condition posée par le Hezbollah a été, dès le début, reprise et amplifiée par le régime syrien. Les Syriens ont souligné à leurs interlocuteurs de Beyrouth que Hariri ne deviendrait pas Premier ministre s’il ne s’engageait pas à rétablir les « relations privilégiées » qui existaient entre le Liban et la Syrie avant 2005, relations gravement endommagées après l’assassinat du père de Saad Hariri, Rafic, cette année-là. On avait alors fortement soupçonné une implication syrienne dans ce meurtre.
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Nouvelle réalité
Derrière l’insistance du Hezbollah pour qu’un sunnite pro-Assad prenne part au gouvernement et le refus obstiné de Hariri d’accepter cette condition, il faut tenir compte des facteurs régionaux qui viennent, comme c’est souvent le cas dans la politique libanaise, complexifier le tout. Depuis les élections, la nature de l’évolution de la situation régionale du pays a conduit certains camps politiques rivaux à faire le pari d’une situation à même de renforcer leur pouvoir de négociation.
Par exemple, du fait de la nouvelle vague de sanctions américaines contre l’Iran, nombreux sont ceux qui ont commencé à croire en la possibilité d’un affaiblissement sévère du régime de Téhéran. Ces sanctions sont arrivées de manière concomitante avec le renforcement des sanctions contre le Hezbollah. Cette conjoncture peut expliquer pourquoi le parti est potentiellement tenté de se servir du Liban comme d’un bouclier, à la fois humain et économique, et de signaler ainsi que si le Hezbollah est amené à tomber, le Liban tombera aussi. Ce pari est risqué car si Hariri était contraint d’abandonner la formation d’un gouvernement, le Hezbollah perdrait ce confortable « tampon » vis-à-vis de la communauté internationale. Du fait de la situation économique désastreuse du Liban, tout retard pourrait également précipiter l’effondrement économique du Liban, et cet effondrement toucherait de plein fouet la base sociale du parti, ouvrant la porte à des risques de révolte sociale dans un pays jusqu’ici épargné par les bouleversements arabes.
Puis il y a la Syrie. Avec la perspective d’une victoire du régime dans la province d’Idleb et une Russie qui insiste pour que le président syrien soit réhabilité via un processus de reconstruction, le Liban pourrait bien être le premier pays à devoir s’adapter à cette nouvelle réalité. La volonté affichée par Hariri de faire en sorte que le Liban tire profit de la reconstruction syrienne le place dans une position plus vulnérable encore.
Cela explique pourquoi certains commentateurs cyniques ont fait observer que, bien qu’il ait cherché à s’éclipser pour ne pas saluer la délégation de l’ambassade syrienne le jour de la fête de l’Indépendance, Hariri pourrait un jour devoir, cadeau ô combien empoisonné, donner l’accolade à Bachar el-Assad en personne, au moins s’il souhaite revenir au pouvoir et gouverner.
Ce texte est aussi disponible en anglais et arabe sur le site de Diwan, le blog du Carnegie Middle East Center.
Joseph Bahout est chercheur invité au Carnegie Endowment (Washington D.C.).
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commentaires (16)
M.Hariri, vous n'êtes porteur d'espoir pour moi de voir un Liban souverain. Vous cherchez à constituer un gouvernement avec des arrangements avec les different représentants des confessions connues et ce gouvernement vivra sous la pression du Président de la République allié du Hezbollah sous les ordres de HN. On s'en fiche de la Syrie. C'est ingouvernable !!!!!
FAKHOURI
21 h 47, le 09 décembre 2018